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Malaise

Paris
Cité de la musique
10/10/2004 -  
Richard Wagner : Les Maîtres chanteurs de Nuremberg (prélude)
Robert Schumann : Concerto pour violon
Anton Bruckner : Symphonie n° 4 «Romantique», G.A. 96

David Grimal (violon)
Orchestre du Conservatoire de Paris, Oswald Sallaberger (direction)


La Cité de la musique accueille jusqu’au 9 janvier une exposition sur «Le Troisième Reich et la musique», autour de laquelle sont organisés pas moins de quatre cycles d’événements divers: le premier, sous-titré «(Compositeurs) officiels et diffamés», comprend ainsi, jusqu’au 17 octobre, un forum, sept concerts ainsi que la diffusion de deux films. Le moindre mérite d’une telle démarche, conduite sous l’autorité du musicologue Pascal Huynh, n’est certainement pas d’inciter à la réflexion sur «… cette terrible époque [qui] met à nu des tensions extrêmes entre musique et pouvoir qui résonnent encore de par le monde…».


Car l’horreur a voisiné, douze années durant, avec l’expression la plus parfaite de la culture allemande, l’omniprésence de la musique dans la société ayant été instrumentalisée comme vecteur de propagande interne et externe, avec une réécriture de l’histoire destinée à faire prévaloir, comme dans tous les autres domaines, une «pensée» fondée sur le racisme, la haine, l’exclusion et la destruction.


Le malaise vient toutefois de ce qu’en mettant sur le même plan des «officiels» disparus bien avant l’accession au pouvoir de Hitler et des «diffamés» qui n’ont, pour certains d’entre eux, que trop connu cette période, la Cité de la musique prend le risque de la confusion. Et ce, dans un début se siècle qui paraît dépourvu de repères, prompt à vilipender le «fascisme» des Troyens d’un Berlioz réputé proche du Second empire ou à parler, comme le faisait récemment un hebdomadaire culturel francilien, de «Richard Strauss dirigeant en concert inaugural des jeux Olympiques de Nuremberg un hymne de sa composition».


En effet, plutôt que Schumann, Wagner ou Bruckner, le pendant des Weill, Hartmann ou Schulhoff ne serait-il pas leurs contemporains Orff, Egk ou même R. Strauss et Pfitzner, pour autant que toute la clarté ait d’ailleurs été faite sur leur comportement? Et pourquoi d’ailleurs limiter la perspective au monde germanique, puisque le Troisième Reich a entraîné bon nombre de pays européens dans sa tragique aventure idéologique et militaire? Qu’est-ce qu’un «compositeur officiel»? R. Strauss? Orff? Prokofiev? Berlioz? Palestrina? Et Chostakovitch? «Officiel» ou «diffamé»? Les deux, peut-être?


Surtout, à regrouper pour un même concert Schumann, Wagner et Bruckner sous la bannière infâmante de «Compositeurs officiels», on oublie que les intéressés, et pour cause, n’ont évidemment jamais demandé à «bénéficier» d’un tel statut, en même temps qu’on s’expose en fin de compte à mettre en valeur la «récupération» et la falsification opérées par le régime et à donner l’impression d’accréditer des raccourcis du type «Bruckner est un nazi» ou même, à supposer que cela ait un sens, «la musique de Bruckner est nazie». Goebbels a certes affirmé, à l’occasion de l’inauguration, le 6 juin 1937 en présence du Führer, du buste de Bruckner au Walhalla, que celui-ci symbolisait «l’indéfectible communauté de destin spirituel qui lie l’ensemble du peuple allemand». Mais il faut redire avec force que la véritable descendance de Bruckner, victime d’un grossier détournement des faits que l’on veut par ailleurs dénoncer avec les meilleurs intentions du monde, c’est au moins autant Mahler, l’un de ses élèves, totalement banni des scènes du Reich, qu’Orff ou Pfitzner.


De même en décrivant un Schumann enrôlé trois quarts de siècle après sa mort dans un bien odieux combat contre le «Juif Mendelssohn», s’agit-il de condamner des artistes et des œuvres pour la seule raison que les Nazis les avaient éhontément faits leur? Heureusement, le texte de présentation d’Eric Denut, concédant sans peine à la Quatrième symphonie de Bruckner le label de «chef-d’œuvre d’expressivité et de cohérence», ne va pas jusque là. Sans quoi il faudrait d’ailleurs se priver de la Neuvième symphonie de Beethoven, que, depuis près de deux cents ans, bon nombre de totalitarismes ont trouvée fort à leur goût…


Cependant, la redécouverte dans les archives soviétiques puis la réédition des enregistrements réalisés par Furtwängler durant la Seconde Guerre mondiale, jusque dans les premières semaines de l’année 1945, avaient déjà soulevé un malaise, naissant du contraste entre les atrocités du moment et ces témoignages d’une qualité musicale souvent exceptionnelle. C’est un peu le même type de malaise que l’on ressent en écoutant, dans le cadre d’un tel programme, le Prélude des Maîtres chanteurs de Nuremberg. Doit-on conserver en mémoire les images noires que l’histoire a plaquées sur cet opéra? Ou faudra-t-il au contraire essayer, pendant ces trois mois de manifestations (et même après), de ne s’en tenir qu’à la musique, si cela est simplement possible?


C’est l’Orchestre du Conservatoire de Paris qui devait, dans ce contexte difficile, se coltiner le Prélude des Maîtres chanteurs (1868) de Wagner. Etrangement, alors qu’il dispose de seulement cinquante cordes, Oswald Sallaberger a choisi de renforcer les vents (cinq flûtes!), de telle sorte que si son approche, notamment grâce à un tempo vif, tourne le dos aux fastes associés à cette apologie du heilige deutsche Kunst (représentée à Bayreuth vingt-huit fois en 1943 et 1944 sous la direction d’Abendroth et Furtwängler, et de retour dès 1951 sous la baguette de Karajan…), le résultat tourne trop souvent à un capharnaüm sonore.


Indépendamment de son exhumation en 1937 comme «antidote» au Second concerto de Mendelssohn, le Concerto pour violon de Schumann (1853) n’appartient pas au meilleur de sa production, même s’il a des partisans aussi importants que Gidon Kremer. Mais il est vrai que l’étrangeté de certaines de ses tournures, qui rappelle les circonstances de son écriture, à quelques mois du basculement dans la folie, peut le rendre attachant, voire poignant, dans son imperfection, d’autant qu’accompagné par une formation allégée (trente-cinq cordes), David Grimal le défend avec toute l’énergie requise. En bis, il donne le Grave de la Deuxième sonate de Bach, ce qui permet de se souvenir que le Cantor a été revendiqué aussi bien par l’Allemagne hitlérienne qu’ensuite par la RDA communiste…


Dans la Quatrième symphonie «Romantique» (1874) de Bruckner, le doublement des bois, un cinquième cor et une quatrième trompette ne soulèvent pas les mêmes problèmes d’équilibre que plus tôt dans Wagner. Et c’est tant mieux, car dans cette interprétation rondement menée (cinquante-cinq minutes, avec un Andante effectivement quasi allegretto), le chef autrichien fait rebondir les rythmes pointés et dégraisse au maximum les textures, sans pour autant que le discours manque en quoi que ce soit d’éclat. Comme Marek Janowski quelques jours plus tôt avec l’Orchestre de Paris dans la Cinquième (voir ici), voilà sans nul doute la meilleure manière qui soit de tordre le cou à certains mythes: loin des extases mystiques et des péroraisons ronflantes auxquelles ces symphonies sont trop souvent réduites, Sallaberger souligne ici la parenté schubertienne (Neuvième symphonie) et la filiation mahlérienne. Un Bruckner austro-hongrois plutôt qu’allemand, en somme, beau refus de l’Anschluss.



Simon Corley

 

 

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