About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Deux opéras de l’ironie!

Paris
Palais Garnier
03/21/2004 -  et 24, 28, 30 mars, 2, 4, 5, 7 avril 2004
Maurice Ravel : L’Heure espagnole
Giacomo Puccini : Gianni Schicchi

Sophie Koch (Concepcion), Yann Beuron (Gonzalve), Jean-Paul Fouchécourt (Torquemada), Franck Ferrari (Ramiro), Alain Vernhes (Don Inigo Gomez)
Alessandro Corbelli (Gianni Schicchi), Patrizia Ciofi (Lauretta), Elena Zilio (Zita), Roberto Sacca (Rinuccio), Jean-Paul Fouchécourt (Gherardo), Jeannette Fischer (Nella), Alain Vernhes (Betto), Donato Di Stefano (Simone), José Fardilha (Marco), Tiziana Tramonti (La Ciesca), Orazio Mori (Maestro Spinelloccio), Roberto Accurso (Amantio di Nicolao), Josep Miquel Ribot (Pinellino), Armando Noguera (Guccio)
Caroline Ginet et Florence Evrard (décors), Joël Adam (lumières), Agathe Mélinand (dramaturge et collaboratrice à la mise en scène)
Chœur d’enfants et Orchestre de l’Opéra National de Paris, Seiji Ozawa (direction musicale)
Laurent Pelly (mise en scène, costumes), Florence Evrard, Caroline Ginet (décors), Joël Adam (lumières), Agathe Mélinand (dramaturgie)

Présentée en tournée au Japon au printemps dernier, cette nouvelle production de L’Heure espagnole de Maurice Ravel couplée avec Gianni Schicchi de Giacomo Puccini remporte un véritable triomphe car elle est défendue par une distribution excellente et homogène, un metteur en scène à qui les idées ne manquent pas et par un chef exceptionnel qui tire le maximum de ces deux compositeurs.



L’idée d’associer ces deux oeuvres aussi différentes n’est pas nouvelle et Jean-Louis Martinoty avait déjà soutenu ce projet en 1985 à l’Opéra-Comique. Le lien entre un opéra français qui traite des déboires amoureux d’une Espagnole et un opéra italien qui s’attache à décrire la cupidité de la famille et des amis d’un mort est assez mince mais Agathe Mélinand, fidèle dramaturge de Laurent Pelly, justifie ce choix ainsi: “Concepcion utilise les horloges comme des placards à amants tandis que le lit clos des Donati cache un mort bien vivant: Gianni Schicchi…”. Et c’est parfaitement démontré dans la mise en scène! Comme toujours Laurent Pelly inonde la scène d’objets et il transforme la boutique de Torquemada en un véritable capharnaüm où les accessoires les plus divers se croisent: quelques souvenirs espagnols, comme un taureau, se mêlent à des bicyclettes, à un squelette (!) sans oublier les multiples horloges, toutes différentes et qui s’éclairent à chaque entrée d’un personnage. Le rideau officiel de l’Opéra s’ouvre sur un second rideau qui peu à peu dévoile, pendant toute l’ouverture, le désordre qui règne dans cette pièce et un Torquemada en train de dormir sur sa table. Les costumes placent l’action dans les années 40/50 et ne sont guère d’une grande élégance. Si Concepcion porte une robe rose avec une sorte de sur-robe à fleurs qu’elle se fait un plaisir d’enlever pour recevoir tous ses “amants”, Gonzalve n’est pas avantagé avec son ensemble orange vif qui ne passe pas inaperçu. Les autres costumes restent dans la tradition du travail de Laurent Pelly, c’est-à-dire assez neutres et intemporels.
La distribution, entièrement française, est remarquable. Sophie Koch, bien connue pour son interprétation subtile du Compositeur, explose littéralement dans le rôle de Concepcion. Elle tente de souligner les failles du personnage et la déception qu’elle ressent face à tous ces amants plus ridicules les uns que les autres. La jeune femme en devient alors touchante surtout lorsqu’elle prend son fer à repasser à la fin de l’opéra et qu’elle se résigne à revenir à une vie domestique bien peu attirante et gratifiante. La voix de la mezzo ne cesse de s’arrondir, de s’épaissir et elle assume toutes les difficultés de la partition avec une grande maîtrise notamment dans l’air “Ah, la pitoyable aventure”. Elle sait aussi se montrer mutine, charmeuse dans la phrase à Ramiro“ Je ne voulais pas vous en prier”.
Yann Beuron débute dans le rôle de Gonzalve et il accorde toute la niaiserie possible à ce personnage. Il en fait un chanteur-poète assez horripilant qui n’a que ses vers et sa poésie à la bouche. Certes mais le ténor apporte toute son élégance vocale naturelle et son timbre de voix si particulier pour embellir la musique de Ravel comme dans la sorte de complainte amoureuse qu’il chante au début de l’opéra “c’est le jardin du bonheur”. Mais on sent qu’il prend une certaine distance avec le rôle pour essayer de le rendre plus humain et plus séduisant grâce à ses merveilleuses notes tenues sur un pianissimo , par exemple dans “comme font deux amants sur l’écorce des trembles…”. Yann Beuron se sent de plus en plus à l’aise scéniquement et il fait rire le public quand il sort de son horloge plusieurs fois, le temps de placer un bon mot. Une superbe interprétation pleine de nuances et de finesse!
Habitué aux personnages assez nobles tels que Escamillo ou Scarpia, Franck Ferrari se glisse dans la peau du muletier Ramiro avec une facilité confondante. Il prend un air pataud, et le baryton apporte une certaine naïveté à Ramiro mais qui se dissipe au cours de la représentation car il se montre bien plus actif et entreprenant à la fin de l’opéra. Les grandes qualités de ce chanteur n’étaient plus à prouver mais il semble trouver dans ce rôle le moyen de démontrer qu’il est capable de nuancer à l’envie sa voix et de lui donner des couleurs à la fois douces et simples dans la sorte de leitmotiv “Voilà ce que j’appelle une femme charmante” en tenant particulièrement la dernière note.
Alain Vernhes impose, comme toujours, sa grande aisance scénique et vocale. Il campe un Don Inigo souverain et assez peu ridicule même lorsqu’il se retrouve coincé dans l’horloge. Sorte de vieux beau pomponné pour séduire sa belle, il apporte des accents touchants et expressifs dans son air où il décide de se cacher dans l’horloge et notamment dans la montée “les conseils de ma dignité”. Ses différents “coucou” sont d’autant plus drôles qu’ils sont secondés par la mise en scène qui demande au chanteur de sortir à chaque fois de sa “prison” comme un vrai coucou de pendule.
Pour l’avoir déjà chanté à Londres en 2002 et au Japon l’année dernière, Jean-Paul Fouchécourt connaît bien le rôle de l’horloger Torquemada et il s’y montre excellent. Il dessine un personnage rusé et intelligent notamment quand il distille la phrase “vous en aurez pour votre argent”, vengeance du mari trompé et qui le sait. La voix est toujours aussi incisive, précise et il se sert de son excellente prononciation pour donner un sens à chaque mot comme à la fin dans “vous n’aurez pas encore d’horloge, chère amie” où on perçoit nettement la revanche du mari. Il utilise aussi la clarté et la brillance de ses aigus pour terminer l’explication de son nom et ses “i” sont dans “est le diminutif” d’une grande pureté. Visiblement Jean-Paul Fouchécourt s’amuse à interpréter ce personnage et Laurent Pelly tient le pari de ne pas trop le ridiculiser mais d’en faire une sorte de savant fou aux gestes saccadés comme le tic-tac d’une horloge…


Changement de décor et de distribution pour la deuxième partie du spectacle. Nous sommes maintenant à Florence, soi-disant à l’époque des Médicis mais Laurent Pelly décide de situer l’action dans les années 40-50. Le décor est beaucoup plus austère et la scène est occupée par un lit et divers meubles. Pour représenter la ville italienne, les décoratrices Caroline Ginet et Florence Evrard utilisent des meubles, des horloges (!) et tous ces objets suggèrent plus qu’ils ne reproduisent Florence. Mais tout cela fonctionne bien, crée l’illusion et on croit bien reconnaître la couleur orangée des toits italiens. Le rideau s’ouvre sur les membres de la famille qui sont en train de prier ou de pleurer, rassemblés autour d’un lit où se trouve le mort. L’ambiance est assez morne et grise, propre à un deuil.
La distribution de Gianni Schicchi est également solide à commencer par le rôle-titre interprété et chanté par un magnifique Alessandro Corbelli. Ce chanteur est un grand spécialiste de ce type de rôle un peu bouffe mais ici il insuffle au personnage une certaine noblesse et surtout une grande intelligence. Il se montre aussi roué quand il prévient la famille des répercussions qui pourraient se produire en cas de faux témoignage. Le passage “addio Firenze” est chanté tout en douceur avec une lenteur solennelle dans laquelle perce une légère ironie qui annonce la suite de l’intrigue. Alessandro Corbelli contrefait avec justesse sa voix et on sent beaucoup d’humour dans les notes piquées sur “Gianni Schicchi” dans la scène avec le notaire.
Patrizia Ciofi incarne une Lauretta fraîche mais également déterminée à épouser son Rinuccio et la mise en scène la présente constamment en conflit, gentil, avec son père, sans se conduire non plus comme une petite fille capricieuse. La voix est toujours aussi charmante, à défaut d’être puissante, et le léger voile qui s’attache à son timbre dans le medium rend son interprétation encore plus émouvante et convaincante. Elle chante avec beaucoup de conviction le fameux “O mio babbino caro” et suspend les notes aiguës sur un piano “pieta” avant de redescendre en voix pleine.
Roberto Sacca possède toutes les qualités pour être un excellent Rinuccio, il a des aigus faciles et brillants, une homogénéité dans la voix et il serait parfait s’il mettait davantage d’émotion et d’expressivité dans son interprétation. Peut-être que les représentations suivantes lui permettront-elles de mieux cerner le personnage et de ne pas en faire seulement un ténor avec une belle voix mais aussi un amoureux transi et sensible car son duo avec Lauretta, sous forme de refrain humoristique, “Addio speranza bella”, ne se justifiait pas vraiment.
Les parents de Buoso sont assez pittoresques, ne serait-ce qu’à cause de leurs costumes, tailleur et chignon pour les dames et costumes gris pour les hommes. La cousine Zita, coiffée de bigoudis, est assez vindicative et Elena Zilio se jette corps et âme dans ce personnage pour accentuer le côté vieille fille acariâtre et âpre au gain. Alain Vernhes prête ses traits au beau-frère Betto et il en donne l’image d’un vieux monsieur qui va de sa chaise au canapé. Tout cela est bien loin de Don Inigo Gomez mais tout aussi criant de vérité! On retrouve également Jean-Paul Fouchécourt, particulièrement déchaîné quand son personnage découvre le testament en faveur de l’église et il accentue particulièrement les consonnes de sa phrase “Allegri, frati, ed arrotate i denti!”. Les deux femmes, Jeannette Fischer et Tiziana Tramonti, sont aussi très bonnes et leur trio, au moment où elles transforment Gianni Schicchi en Buoso, est un véritable morceau d’anthologie. Sortes de harpies du 20ème siècle, elles tentent de charmer le paysan en même temps que les hommes font tourner le lit sur un rythme de valse. Laurent Pelly n’a pas manqué le rôle fugitif du notaire et il en fait un bègue particulièrement ridicule, jeu auquel se prête très bien Roberto Accurso. Il exploite aussi le rôle du témoin chanté par un Josep Miquel Ribot qui pleure à souhait!


La direction de Seiji Ozawa est somptueuse, élégante et intelligente. Il donne des couleurs magnifiques à Ravel et fait ressortir l’ambiance parfois un peu étrange qui se dégage de l’harmonie des instruments employés. Il s’attache à souligner tous les petits détails comme la mort de la trompette dans la scène avec Don Inigo quand il est enfermé dans son horloge. Seiji Ozawa interprète aussi magistralement l’opéra de Puccini et il en sort des sons magnifiques et troublants. Il adopte un tempo vif pour l’ouverture puis ralentit le rythme dans les passages qui introduisent le thème lancinant du début, tout cela sur un decrescendo. Il parvient à mêler le tragique de la situation à l’humour avec une grande habileté. Dès les premières notes, que ce soit dans Ravel ou dans Puccini, il plante le décor, dresse la scène. Et puis il y a cette magie que l’on ne peut que difficilement retranscrire et qui se ressent quand on le regarde diriger. Le public ne s’y trompe d’ailleurs pas et lui fait une ovation finale plus que méritée. Du grand Art!



Le pari est amplement réussi et ces deux oeuvrettes sont lues avec beaucoup d’idées et d’humilité. On rit beaucoup, on apprécie de superbes voix et l’ensemble redonne ses lettres de noblesse à deux petites oeuvres riches musicalement et qui ne demandaient qu’à revivre avec de tels interprètes, surtout en ce qui concerne L’Heure espagnole qui est assez rarement donné. Une véritable réussite!!



A noter:
- Seiji Ozawa reviendra avec son orchestre de Saito Kinen le 27 mai prochain au Théâtre des Champs-Elysées pour un concert consacré à Bartok et Tchaïkovski.
- Le chef sera reçu Doctor Honoris Causa à la Sorbonne le 29 mars 2004.


Manon Ardouin

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com