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L’Orchestre Colonne fait son cinéma

Paris
Théâtre Mogador
02/10/2004 -  
Jacques Loussier : Dark of the sun (suite) – Concerto pour trompette
Vladimir Cosma : Concerto ibérique pour trompette – Suite d’après «La Gloire de mon père» et «Le Château de ma mère»

Bernard Soustrot (trompette)
Orchestre Colonne, Mélanie Thiébaut (direction)


Excellente initiative de l’Orchestre Colonne que de proposer au public d’entendre, dans les conditions du concert, des musiques de films. Musiques originales s’entend, car il y aurait évidemment fort à dire sur le recours, au cinéma, à des oeuvres, des plus rares aux plus célèbres, qui n’y étaient initialement pas destinées. Car ces musiques originales, si elles sont certes ainsi privées du support ou de l’inspiration des images, gagnent à une restitution vivante, le soin généralement apporté à leur orchestration constituant l’une de leurs marques de fabrique.


Car ce n’est pas la moindre des curiosités des partitions originales écrites pour le cinéma: leur fonction semble moins importante que le statut de leurs compositeurs. D’un côté en effet, les contributions au septième art des compositeurs «sérieux», qui ont, depuis Saint-Saëns, presque tous été tentés par l’expérience, trouvent régulièrement leur place au disque ou à l’affiche, à commencer par celles de Prokofiev ou de Chostakovitch; de l’autre, les compositeurs qui se consacrent essentiellement aux musiques de films ne sont pas souvent programmés, et encore moins lorsqu’il s’agit de leurs oeuvres «sérieuses». Bref, une frontière particulièrement étanche semble avoir été tracée, reléguant au second plan la musique de film et ses compositeurs.


L’Orchestre Colonne accrédite d’ailleurs explicitement cette distinction, en distribuant un programme au contenu informatif indigent et, surtout, un questionnaire qui tend à opposer «concerts de musique classique» et «concerts de musiques de films». Et il adopte en même temps une conception extensive de la «musique de film», dans la mesure où il s’agissait plutôt en l’espèce d’oeuvres (et pas seulement de musiques de films) de compositeurs spécialisés dans ce répertoire. Pourtant, la frontière est non seulement incertaine – comme certains de ces chefs d’orchestre compositeurs qui sont plutôt des compositeurs chefs d’orchestre, à moins que cela ne soit le contraire – mais aussi mouvante. Il suffit de considérer l’évolution du statut de musiciens tels que Korngold, Rozsa ou Rota – que l’on aurait pourtant cantonnés sans hésitation, il n’y a pas si longtemps, à Hollywood ou à Cinecittà – pour mesurer la relativité de ces classements.


Toujours est-il que la France peut s’enorgueillir d’une superbe tradition dans ce domaine, avec, entre autres, Maurice Jaubert, Joseph Kosma, Maurice Thiriet, Maurice Jarre, Claude Bolling, Michel Legrand, Jacques Loussier, Vladimir Cosma, Jean-Claude Petit ou Laurent Petitgirard, qui, à des degrés divers, ont également eu l’ambition d’écrire de la musique que l’on qualifiera – encore une fois par défaut – de «sérieuse», comme si travailler pour la scène et le grand ou le petit écran n’était pas une affaire sérieuse. Certes, le développement des thèmes et les problèmes de structures ne sont sans doute pas au centre de leurs préoccupations, mais ils se caractérisent tous par un métier très sûr et une invention mélodique féconde.


L’Orchestre Colonne a choisi de rendre hommage à deux de ces figures de ce que l’on appellera, selon que l’on est plus ou moins bienveillant, la fusion des styles, la musique légère ou le cross-over, Loussier et Cosma, en interprétant de chacun d’entre eux un concerto pour trompette et des extraits de musiques de films.


C’est surtout dans les années 1960 que Loussier s’est illustré au cinéma (Le Doulos) et à la télévision (Thierry la Fronde). Dans les cinq extraits de sa musique pour Dark of the sun (1968) de Jack Cardiff (The Mercenaries, également connu sous le titre Le dernier train du Katanga), les ostinatos, les grands fracas de percussion, un orchestre très cuivré (pas de bois, hormis deux flûtes, mais les cors, trompettes et trombones par quatre) et les grand thèmes lyriques paraissent appeler la tension, le drame et les grands espaces. Cette manière de planter un décor en quelques notes et à suggérer beaucoup en quelques secondes est décidément celle d’un grand professionnel. On remarque en outre un bref morceau de jazz symphonique, daté, dans le bon sens du terme, tant il est emblématique du style de ces années 1960.


Le Concerto pour trompette (1987) rappelle bien davantage ce qui a fait la renommée mondiale de Loussier depuis son fameux Play Bach (1959): la greffe entre le jazz et la musique baroque. Car dans un cadre d’apparence traditionnelle (trois mouvements d’une durée totale de vingt et une minutes, selon le schéma vif/lent/vif, cadences solistes, accompagnement limité aux cordes), il introduit non sans finesse des rythmes syncopés et des harmonies. Et le mouvement lent – dans lequel la partie soliste, tenue par Bernard Soustrot, est soigneusement ornementée et confiée à une trompette bugle, au timbre plus voilé – revendique une parenté avec le blues.


Plus jeune de six ans, Cosma, venu assister à ce concert, est, bien plus que Loussier, un homme de cinéma – son coup d’essai, Alexandre le bienheureux, fut un coup de maître suivi d’innombrables autres musiques (des Aventures de Rabbi Jacob au tout récent Albert est méchant, en passant par Diva et Le Père Noël est une ordure) – et de télévision (Médecins de nuit, Châteauvallon). Mais il compte également plusieurs concertos à son actif, dont un Concerto pour trompette (1996) commandé par Bernard Soustrot et dont les thèmes sont liés aux partitions qu’il composait alors pour deux films, Cuisine et dépendances (1993) de Philippe Muyl et Sables mouvants (1996) de Paul Carpita. Sous-titré «Concerto ibérique», il révèle en effet une influence espagnole, plus extérieure qu’envahissante, avec un orchestre coloré, à l’effectif de type romantique tardif. Un petit peu plus développé (vingt-trois minutes) que celui de Loussier, il obéit au même découpage classique, avec cadence dans le premier mouvement, romance centrale (à nouveau pour trompette bugle) et final d’autant plus brillant qu’il fait appel à la trompette en .


Mais c’est le compositeur de cinéma qui aura le dernier mot, avec la suite qu’il a constituée à partir des deux films réalisés en 1990 par Yves Robert sur les deux premiers volumes des souvenirs d’enfance de Pagnol, La Gloire de mon père et Le Château de ma mère. Trois danses, magnifiquement orchestrées, se succèdent: une valse à l’élan irrésistible de celles de Chostakovitch ou Khatchaturian, une sorte de ragtime, qui n’est pas sans évoquer le Satie du Piccadilly, et une habanera qui, d’abord agrémentée par le chant des cigales, monte progressivement en intensité à la manière du Boléro de Ravel.



Simon Corley

 

 

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