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Chants de douleur

Paris
Théâtre Mogador
01/22/2004 -  et 23 janvier 2004
Marc-André Dalbavie : Ciaccona (création française)
Luciano Berio : Stanze (création) (*)
Gustav Mahler : Das klagende Lied

Dietrich Henschel (baryton) (*), Susan Anthony (soprano), Dagmar Peckova (alto), Paul Groves (ténor)
Chœur de l’armée française, Pascale Jeandroz (chef de chœur) (*), Chœur et orchestre de Paris, Didier Bouture et Geoffroy Jourdain (chefs de chœur), Christoph Eschenbach (direction)


Beaucoup de monde pour cet hommage à Luciano Berio, disparu le 27 mai dernier: Madame Berio, Pierre Boulez, Philippe Manoury, Pascal Dusapin, Renzo Piano, Claude Pompidou, Catherine Tasca et Claude Samuel, pour ne citer qu’eux, étaient venus assister à la création d’une commande de l’Orchestre de Paris, qui constitue en même temps la dernière partition achevée par le compositeur italien, Stanze (2002-2003).


Cette cantate d’une durée de vingt-huit minutes fait appel à un baryton solo, à trois chœurs d’hommes (en l’espèce, le Chœur de l’armée française réparti en trois groupes) et à un très grand orchestre, dont les instruments à vent sont eux-mêmes éclatés en trois ensembles de bois et cuivres mêlés, chacun associé à l’un des chœurs. De ce fait, la répartition sur scène des instruments, très élaborée, ne manque pas de surprendre, puisque certains pupitres restent unis mais ne sont pas placés de façon habituelle – les flûtes, par exemple, se retrouvent ainsi sur la droite – tandis que d’autres sont répartis entre deux groupes (clarinettes, cors, trombones). Au premier plan, comme de coutume, la masse des cordes, mais dans une disposition ici aussi tout à fait inhabituelle avec, de gauche à droite, les violoncelles (et les contrebasses derrière), les seconds violons, les altos et les premiers violons.


Stanze consiste en cinq chants sur des poèmes de Paul Celan, Giorgio Caproni, Edoardo Sanguineti, Alfred Brendel et Dan Pagis, les textes étant – en version originale ou dans des traductions – présentés en allemand, en italien ou en anglais. Selon Berio lui-même, le titre ne fait pas référence, malgré les apparences, aux stances en tant que strophes, mais aux «stanze», soit l’équivalent, en italien, de pièces (d’une maison), c’est à dire les «espaces habitables d’un édifice». Il faut sans doute y voir un clin d’œil à l’architecte du Centre Georges Pompidou, auquel l’œuvre est dédiée. D’ailleurs, avant que les premières notes ne s’élèvent, Renzo Piano, visiblement ému, brosse un rapide portrait de son ami, en quelques traits à la fois simples et poétiques évoquant «l’artisan furieux» et «l’architecte de l’impossible».


Si chacun des poèmes retenus possède son propre climat (terreur, imprécation, ironie, …), l’ensemble trouve sa cohérence dans un thème unique: «un autre et un ailleurs innommables», autrement dit, pour ce non-croyant épris de spiritualité, la quête du divin, avec plus de doutes et d’hypothèses que de certitudes. En même temps que de Dieu, et d’une manière nécessairement émouvante s’agissant d’ultima verba, c’est bien évidemment de la mort qu’il s’agit aussi. Le choix de Celan, en ouverture du cycle, incite en outre à une lecture historiquement marquée, déploration d’un humaniste face aux tragédies du siècle, à l’image du Survivant de Varsovie de Schönberg ou du Requiem pour un jeune poète de Zimmermann.


C’est dire si Berio n’hésite pas à placer l’émotion au centre de sa démarche. Les chants s’enchaînent quasiment sans interruption, formant une structure en arche qui fait porter le poids expressif sur les numéros impairs, les chœurs n’intervenant ni dans le premier, ni dans le quatrième. Dans les mouvements extrêmes (Tenebrae et La Bataille), d’esprit post-bergien, le lyrisme de la partie soliste est soutenu par un orchestre sensuel et raffiné. Le chant central, sur des bribes de textes de Sanguineti, présente un aspect plus dramatique et théâtral. Par symétrie, les chants pairs introduisent, comme dans le Concerto pour orchestre de Bartok, une certaine détente, même si l’évocation sonore des trains à vapeur dans Congé du voyageur cérémonieux ou la parodie grinçante de Johann Strauss (sujet du poème de Brendel) renvoient également à une sinistre mémoire. Si, une fois de plus, l’acoustique de Mogador ne rend pas justice aux masses chorales, Dietrich Henschel, quant à lui, s’en sort mieux. Surtout, il caractérise admirablement ces cinq moments, avec un timbre ainsi qu’une intelligibilité et une intelligence du texte qui rappellent Dietrich Fischer-Dieskau.


La musique s’est éteinte, mais Christoph Eschenbach ne repose la baguette qu’après un très long moment de silence. Pour paraphraser la conclusion du troisième mouvement de sa Sinfonia: «Thank you, Mr. Berio».


En lever de rideau, ce fut la première française de Ciaccona (2002) de Marc-André Dalbavie, écrite entre Color (voir ici) et Double jeu (voir ici), dédiée à Kaija Saariaho et créée il y a près d’un an à Hambourg par Eschenbach: soixante-quinze minutes de musique orchestrale en moins de trois ans, c’est à tout le moins impressionnant. Pour le «compositeur en résidence» à l’Orchestre de Paris depuis 2000, cette chaconne destinée à une grande formation (bois par trois, piano, harpe) se veut révérence à Bach et à Bartok, mais, surtout, fusion d’une forme ancienne et des acquis de l’école spectrale. C’est plutôt l’impression d’une superposition de styles, y compris des références tonales, qui prédomine au fil de ces vingt minutes d’une musique assez dépouillée et statique, toujours admirablement faite, procédant par petites touches qui se greffent sur de longs unissons et des transformations progressives du son ou des hauteurs.


En seconde partie, dans le cadre du cycle Mahler qu’il dirige au cours de cette saison (voir par ailleurs ici, ici et ici), Eschenbach a judicieusement sélectionné Das klagende Lied (1880), dont il donne la révision de 1899, c’est à dire amputée des trente minutes du volet initial (Waldmärchen) de la version originale. Même si l’influence de Wagner ou même de Bruckner se fait encore sentir dans ce premier essai littéraire, vocal et orchestral, achevé par Mahler dans sa vingtième année, il est fascinant d’y trouver déjà tout l’univers de ses deux premières symphonies: au-delà des quasi-citations, l’hymne à la nature ainsi que l’atmosphère légendaire de la Première et l’effectif de la Deuxième (solistes, chœur, petit ensemble placé derrière la scène et orchestre). En même temps, les deux parties conservées (Der Spielmann et Hochzeitsstück), d’une durée de vingt minutes chacune, établissent, tant par leur thématique que par la formation qu’elles requièrent, un pont entre les ultimes ballades de Schumann et les futurs Gurre-Lieder de Schönberg. Elles sont servies par la direction efficace d’Eschenbach mais aussi par les voix puissantes et expressives de Dagmar Peckova, Susan Anthony et Paul Groves ainsi que par l’excellent Chœur de l’Orchestre de Paris.



Simon Corley

 

 

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