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L'ombre de Bartok

Paris
Conservatoire national de région de Cergy-Pontoise
06/06/2003 -  

Arnaud Petit : Acedia
George Crumb : Music for a summer evening (Makrokosmos III) [extraits]
Roberto Sierra : Mano a mano
Suzanne Giraud : Le Rivage des transes


Dominique Kim et Line Marand (pianos), Michel Gastaud et Alain Huteau (percussion)

Deux pianos et percussion: l’empreinte de Bartok, plus précisément de la Sonate qu’il destina en 1937 à cette formation instrumentale alors sans doute inouïe, est telle qu’on ne peut pas ne pas l’avoir à l’esprit lorsqu’on écoute d’autres œuvres écrites pour ce même ensemble ou peut-être même lorsqu’on les compose…


Dans Music for a summer evening (1972-1974), troisième numéro (sur quatre, à ce jour) de sa série des Makrokosmos, George Crumb s’inscrit dans la descendance de Bartok – ne serait-ce que par son titre et son sous-titre, dont l’un s’inspire des Mikrokosmos tandis que l’autre rappelle toutes les musiques nocturnes du compositeur hongrois – quoiqu’évidemment de manière très personnelle, comme à son habitude. De cette ample partition (plus de quarante minutes), Dominique Kim et Line Marand (pianos) ainsi que Michel Gastaud et Alain Huteau (percussion) ne donnent que les deux derniers des cinq mouvements.


Indéniablement marqué par son époque, Myth fait appel à des modes de jeu fort peu traditionnels, dont le résultat sonore et même visuel prête plus ou moins sciemment à sourire tant pour les pianistes (frottement de plaquettes de médicaments; différents morceaux de métal, de tissu ou de papier placés sur les cordes mais aussi jeu direct sur les cordes) que pour les percussionnistes (recours à une flûte à bec ou à une bouteille de verre dont on souffle au travers du goulot), les quatre musiciens étant par ailleurs appelés à prononcer diverses onomatopées. Après ce grand bazar primitif, Music of the starry night, non moins planant mais d’aspect nettement plus familier, fait alterner de grands éclats lumineux à la façon de Messiaen et la citation d’une fugue du second livre du Clavier bien tempéré de Bach, avant qu’un carillon, d’abord joyeux et frénétique, ne s’éteigne progressivement, dans une sorte d’engourdissement dont témoigne la lente réduction des phrases et de l’intensité sonore.


Commande du conseil général du Val-de-Marne, Le Rivage des transes (1991) de Suzanne Giraud (née en 1958) comprend sept sections enchaînées d’une durée totale de dix-sept minutes. Pour le compositeur, qui a entamé depuis 1996 un cycle de pièces baptisé Envoûtements (voir par exemple Envoûtements V ici) et dont chacune porte un numéro désignant non seulement la fois l’ordre dans lequel elle a été créée mais le nombre d’instruments qu’elle requiert, la transe se distingue de l’envoûtement, en ce sens qu’elle suppose une participation plus active, même si, en l’espèce, cette transe est observée avec une certaine distance, comme depuis un rivage imaginaire.


C’est d’abord une incantation autour d’une note, donnée par l’un des pianos et qui pourrait évoquer aussi bien le basson du Sacre du printemps de Stravinski que la clarinette du Mandarin merveilleux de Bartok ou les Danses rituelles de Jolivet. Les résonances sont ensuite mises en valeur (cloches, marimba), avec les pianos dans le grave. Dans la transe qui suit, menée par les bongos et les congas, de nombreux éléments font songer à Bartok: la rythmique puissante, la sonorité métallique des pianos, voire le langage, à commencer par cette hauteur de vues et cette si rare synthèse de rigueur et de spontanéité, d’accessibilité et d’exigence. Les pianos s’effacent progressivement pour revenir à la note centrale de l’incantation initiale. Difficile de ne pas penser ensuite à nouveau à Bartok, lorsque sur un fond apaisé de sonorités graves, de brèves interjections des pianos s’apparentent aux «musiques nocturnes» de En plein air. Après une parenthèse colorée par les résonances des cloches et du vibraphone, le rythme reprend ses droits, dans une sorte de développement fugué, encore très bartokien, menant à un vigoureux duo antagoniste de timbales, qui finissent toutefois par se rejoindre, même si la conclusion laisse la place à des résonances métalliques.


Chacune de ces partitions ambitieuses était opportunément précédée d’une pièce de moindre portée, faisant appel aux seules percussions et entretenant des affinités de climat avec l’œuvre qu’elles introduisaient, qu’il s’agisse de la nuit énigmatique de Crumb ou de la transe saisissante de Giraud.


Acedia (2002) d’Arnaud Petit (né à Metz en 1959) s’inscrit dans un cycle de pièces écrites pour deux instruments jumeaux. Ici, durant quatre petites minutes, ce sont deux marimbas qui dispensent de façon à la fois ludique et virtuose, sans prétention excessive, syncopes, notes répétées et harmonies cocasses et déglinguées, dans une sorte d’objectivité à la Hindemith. Si l’acedia, selon Saint Thomas d’Aquin, est un péché capital qui traduit un état permanent de tristesse ou de dégoût des choses divines dans nos rapports avec elles, qui génère une torpeur spirituelle, c’est décidément encore un péché qui présente bien des attraits et bien du dynamisme…


Dans Mano a mano (1987), Roberto Sierra (né en 1953) oppose deux groupes de percussions essentiellement sud-américaines. Né à Porto Rico, il enseigne à l’Université Cornell, où il a succédé à Karel Husa, après avoir notamment étudié à Hambourg avec Ligeti. Cela s’entend dans cette pièce où, dès que les maracas ont ouvert la voie aux bongos et aux congas, les superpositions et décalages de rythmes complexes se succèdent. Le titre rend bien compte de cette opposition non seulement entre les deux percussionnistes, mais de l’accent porté sur l’autonomie des deux mains. Malgré la relative brièveté du morceau (huit minutes), le risque était celui d’une certaine monotonie de couleurs, mais, outre le renouvellement des rythmes, la variété des modes de jeu (bongos et congas frappés tour à tour avec la main mais aussi avec diverses baguettes) et le recours à des instruments moins mats – templeblocks, cencerros (cloches de vache chromatiques) – permet de soutenir l’intérêt.


Les quatre compositeurs sont admirablement servis par les interprètes, longuement salués par un public enthousiaste, nullement abattu par la chaleur étouffante de la petite salle du Conservatoire national de région dont il remplit les gradins. Un seul regret: la relative brièveté du programme (quarante-six minutes), malgré ses indéniables exigences artistiques et physiques, aurait justifié qu’il fût complété. Et que la Sonate pour deux pianos et percussion de Bartok eût admirablement couronné cette merveilleuse soirée!



Simon Corley

 

 

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