About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Cléopâtre et César

Paris
Théâtre de Poissy
11/12/2002 -  
Georg Friedrich Haendel : Jules César en Egypte
Marijana Mijanovic (César), Magdalena Kozena (Cléopâtre), Charlotte Hellekant (Octavie), Eirian James (Sesto), Pascal Bertin (Ptolémée), Alan Ewing (Achilla)
Les Musiciens du Louvre, Marc Min kowski (direction)

Quatre-vingts ans après leur résurrection, les amants mythiques du plus célèbre opéra de Haendel n'avaient toujours pas, à notre connaissance, roucoulé de concert dans leur tessiture d'origine, barytons puis mezzos (mâles et femelles) s'y accouplant d'ordinaire avec un soprano léger pour le pire - souvent - et le meilleur - rarement. Il aura fallu cette tournée, et le disque à suivre, pour entendre le mezzo aigu de Cléopâtre chavirer l'alto de César. Marjiana Mijanovic offre au conquérant romain l'incroyable androgynie de son timbre de velours sombre admirablement assis jusqu'au tréfonds d'un grave barytonant qu'explore des cadences inédites, étalant une vocalisation d'un insolent relief. Manquent encore les ultimes fleurs de l'ornementation (après le miracle David Daniels en septembre à Garnier sous la direction du même chef, la messa di voce de " Aure per pietà " peut paraître fibreuse, les nuances peu sensibles), ainsi qu'une progression dramatique mieux dessinée : d'un bout à l'autre, Mijanovic s'en tient au même délicieux mélange de pathos et d'espièglerie. Reproche qu'on n'adressera nullement à Magdalena Kozena, dont chaque prestation nouvelle témoigne des progrès en termes d'expressivité, de style et de diction ; d'autres, avec la voix du ciel, auraient moins travaillé. Jamais le parcours du personnage, de la rouerie vipérine et déjà orgueilleuse vers l'abandon sensuel puis la puissance tragique, avant la jubilation majestueuse du final, n'aura sonné aussi juste. Le timbre ample, homogène et lumineux baigne le public de lait et de miel , la technicienne infaillible le nourrit de perles à la cuillère : cette virtuosité assortie d'une telle subtilité, ces abellimenti et ces demi-teintes d'un goût parfait qui jamais ne troublent ni la précision rythmique, ni la plénitude du soutien ! L'aigu est fier, bien qu'imperceptiblement tendu ou brièvement détimbré dans " Venere belle " et certains récitatifs (d'une intonation cependant idéale, notons-le) : dans sa conquête des tessitures intermédiaires entre le mezzo et le soprano, Magdalena Kozena devra veiller à assurer progressivement l'extrémité de son registre sans l'épuiser par un rythme trop intensif de représentations ou l'alternance trop rapprochée entre rôles graves et aigus. Elle pourrait ainsi au fil du temps s'emparer, avec les moyens que Bartoli n'aura jamais, non seulement de tout un répertoire baroque italien et français, mais aussi mozartien (Fiordiligi tombe sous le sens), voire des emplois d'une Malibran chez Rossini et Bellini.
Les autres rôles n'ont pas, hélas, l'éclat de l'équipe de Garnier, ni de celle qui prend sa relève la semaine prochaine pour l'enregistrement du disque, à Vienne. Arrivé à la dernière minute en remplacement de Denis Sedov, Alan Ewing ne peut faire mieux qu'exposer une voix solide. Pascal Bertin double un Bejun Mehta idéal (il sera de retour pour le disque) avec d'excellentes intentions dramatiques, mais des moyens trop fragiles. Eirian James fait les notes dans les passages lyriques, et disparaît dans la virtuosité. On regrette surtout Anne-Sofie von Otter dans le duo Sesto - Octavie, où le concours de larmes, soupirs et déchirements avec Charlotte Hellekant vaudra sans doute son pesant de Kleenex. Contestable sur le strict plan technique et musical (de legato, guère, et les registres changent deux fois par mesure), cette dernière n'en offre pas moins une incarnation saisissante de la fière patricienne que tout le monde Antique se dispute, justement pathétique, mais farouche et racée dans chaque accent.
Sortis de l'étouffoir de Garnier, les Musiciens du Louvre retrouvent la plénitude de leurs couleurs et l'arrête des phrases : splendide continuo, violoncelle d'une éloquence admirable (dommage qu'il ne dialogue avec personne dans " Caro speme "), solo de violon d'un beau délié et d'une rare homogénéité de timbre de Florian Deuter. Marc Minkowski allume ses feux sans se soucier des limites de tel ou tel chanteur, suscitant chez certains d'entre eux une réponse inespérée - les airs de Tolomeo. Mais c'est naturellement avec les deux héroïnes de la soirée qu'il porte au sommet cet échange émotionnel et musical où le jeu virtuose fait corps avec l'intensité expressive. Mariage auquel on espère que nul invité ne fera défaut devant les micros.



Vincent Agrech

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com