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L’anti-héros de Janácek

Innsbruck
Tiroler Landestheater
11/02/2025 -  7, 9, 13, 23, 30 novembre, 6, 21, 27* décembre 2025, 9, 25 janvier 2026
Leos Janácek : Die Ausflüge des Herrn Broucek
Paul Curievici*/Florian Stern (Matej Broucek), Alexey Sayapin (Mazal,Sternfriedn, Peter), Marcel Brunner (Sakristan, Mondkristan, Domsik), Hazel Neighbour (Malinka, Etherea, Kunka), Erwin Belakowitsch/Alec Avedissian* (Würfl, Zauberlicht, Schöffe), Anastasia Lerman (Piccolo, Wunderkind, Student), Abongile Fumba (Kedruta), William Blake*/Junghwan Lee (Komponist, Harfenklang, Miroslav der Goldschmied), Michael Gann/*Esewu Nobela (Maler, Farbenspiel, Vojta), Qi Wang (Dichter, Wolkengrau, Vacek)
Chor und Extrachor des Tiroler Landestheaters Innsbruck, Michel Roberge (chef de chœur), Tiroler Symphonieorchester Innsbruck, Matthew Toogood (direction musicale)
Tobias Ribitzki (mise en scène), Stefan Rieckhoff (scénographie, costumes), Paul Barritt (vidéo), Diana Merkel (dramaturgie)


H. Neighbour, F. Stern (© Nurith Wagner-Strauss)


Créé en 1920, Les Excursions de M. Broucek demeure une rareté à la scène. Le récit suit un protagoniste peu conventionnel – Matej Broucek, dont le nom se traduit prosaïquement par « scarabée » – un propriétaire pragois alcoolique, borné, facilement irascible et assez antipathique. Sous l’emprise d’une trop grande quantité d’alcool, il fait deux rêves fantastiques : un voyage sur la Lune où il rencontre une colonie d’artistes dont l’idéalisme poétique tranche violemment avec sa propre vulgarité; puis, un retour dans le Prague du XVe siècle pendant les guerres hussites, bouleversements historiques qu’il observe avec son détachement et sa lâcheté caractéristiques.


La production de Robert Carsen pour l’Opéra d’Etat de Berlin en 2025, avec Simon Rattle à la direction musicale, transposait les deux récits dans les années 1960, créant le portrait d’un homme pris entre fantasme spatial et révolution politique. L’opéra devrait être donné cet été à Bregenz mais son étrangeté, son refus d’offrir un personnage central sympathique, sa structure épisodique continuent de défier les théâtres et les publics. C’est donc tout à l’honneur du Théâtre du Land du Tyrol de l’avoir monté et de l’avoir confié à Tobias Ribitzki qui avait déjà réalisé la production de Falstaff pour cette même maison.


Plutôt que de surcharger l’action de concepts superflus – piège dans lequel des metteurs en scène sont parfois tombés –, Ribitzki laisse le récit se déployer avec transparence. La mise en scène fait référence à la qualité naïve et onirique de l’animation tchèque des années 1950, un choix culturellement approprié et visuellement efficace. Décors et vidéos soutiennent cette esthétique, créant des mondes qui oscillent entre réalité et fantasme sans étouffer le drame musical. Il y a aussi beaucoup de justesse et de caractérisation dans la direction d’acteurs, aussi bien pour les chanteurs que pour le chœur. Les costumes sont imaginatifs avec des jeux bienvenus sur des touches de couleur.


Si la traduction allemande employée dans cette production s’accorde parfois mal avec la prosodie tchèque, compromis inévitable dans une maison servant un public majoritairement germanophone. Dans la fosse, la musique laisse entendre ce que Janácek fera bientôt dans La Petite Renarde rusée et L’Affaire Makropoulos avec cette orchestration personnelle et foisonnante de détails, pleine de nervosité. Le court duo lyrique si touchant qui clôt le premier acte est du pur Janácek. A plusieurs reprises, on se demande ce qu’aurait donné cette musique si Matthew Toogood à la baguette avait eu un orchestre plus fourni et équilibré entre cordes et vents mais l’ensemble est globalement solide.


Les chanteurs du Théâtre du Land du Tyrol forment une troupe qu’on retrouve régulièrement dans de multiples rôles le long de la saison. Cette polyvalence est à la fois une force et une limite. Paul Curievici, remplaçant un chanteur local, démontre de réelles qualités de chanteur et d’acteur. Le rôle de Broucek exige un ténor capable de maintenir une présence dramatique à travers deux actes contrastés sans jamais gagner véritablement la sympathie du public, tâche ingrate mais accomplie avec conviction. Janácek est souvent exigeant avec ses ténors. Alexey Sayapin a de belles notes aiguës, sa diction est un peu faible mais cela est peut‑être dû au fait qu’il s’agit d’une traduction. Hazel Neighbour bénéficie dans ses trois incarnations d’une belle projection et d’une grande solidité même si la voix est également un peu monochrome. Comme souvent dans cette salle, le chant le plus accompli de la soirée est venu d’Abongile Fumba dans le petit rôle de Kedruta.


Préparés par Michel Roberge, le Chœur du Théâtre du Land du Tyrol, augmenté du chœur supplémentaire, constituent l’un des éléments les plus solides de cette production. Le chant allie précision et engagement théâtral, avec une cohésion remarquable à travers les exigences variées de la partition, dans une œuvre où l’écriture chorale va de textures de musique de chambre à des cris de bataille à pleine voix.


Voici en fin de compte une soirée réussie, une œuvre intelligente et originale qui mérite d’être plus jouée, la confirmation du talent de Tobias Ribitzki mais surtout la confirmation qu’une bonne soirée d’opéra est plus que la somme des parties.



Antoine Lévy-Leboyer

 

 

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