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La profonde modernité de Berlioz München Herkulessaal 12/19/2025 - et 19 décembre 2025 Maurice Ravel : Le Tombeau de Couperin
Anders Hillborg : Concerto pour piano n° 2 « The MAX Concerto »
Hector Berlioz : Symphonie fantastique, opus 14 Emanuel Ax (piano)
Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, Esa‑Pekka Salonen (direction)  E.-P. Salonen (© Bayerische Rundfunk/Astrid Ackermann)
Dès le début du Tombeau de Couperin, le futur chef principal de l’Orchestre de Paris, Esa‑Pekka Salonen, impose une vision personnelle. Dirigeant sans baguette, à mains nues, le chef finlandais opte pour des tempos rapides dans le Prélude, mettant immédiatement Stefan Schilli, premier hautbois solo, sous les feux de la rampe. La partie soliste, redoutable d’entrée de concert, est négociée avec une assurance remarquable – un moment qui méritait à lui seul les applaudissements.
Si les cordes mettent quelques instants à trouver leur articulation dans ce premier mouvement, la machine se rode rapidement. Dès la Forlane, l’orchestre trouve sa pleine mesure : la musique avance avec une clarté cristalline et une énergie rythmique affirmée. Le Menuet confirme cette approche apollinienne, sans aucun alanguissement, privilégiant la délicatesse des textures. On remarque particulièrement le travail fin de l’orchestration, notamment dans le soutien des contrebasses – un détail que les orchestres français ne mettent pas toujours autant en évidence, mais qui fait partie d’une certaine tradition munichoise.
Le Rigaudon final, enlevé dans un tempo rapide, impressionne par la qualité de la mise en place et la clarté des attaques. L’élégance prédomine, révélant une musique solaire qui fait sourire musiciens et public. Voici un Ravel lumineux et presque néoclassique.
La création munichoise du Deuxième Concerto pour piano « The MAX Concerto » d’Anders Hillborg, composé en 2023 pour Emanuel Ax, bénéficie de la présence du compositeur dans la salle. L’œuvre, créée à San Francisco l’année dernière, explore différentes facettes du piano à travers dix sections aux titres évocateurs : « Grand Piano », « Toy Piano », « Hard Piano », « Soft Piano »...
Emanuel Ax déploie une présence indéniable et une palette de couleurs pianistiques remarquable. Les effets d’orchestration de Hillborg, notamment dans les registres aigus des cordes, sont souvent séduisants. Mais l’œuvre souffre d’un défaut structurel majeur : elle demeure une succession de moments, sans véritable développements organiques. Le discours musical reste en surface, trop souvent ancré dans une tonalité facile qui manque d’audace moderniste. On aurait souhaité plus de densité, plus de risque.
Le bis offre une parenthèse bienvenue : « Ständchen » de Schubert dans la transcription de Liszt. Ax y révèle sa véritable musicalité, avec de belles couleurs et une subtilité dans les changements de tonalités qui fait défaut au concerto de Hillborg.
La Symphonie fantastique de Berlioz constitue le sommet de la soirée. Salonen y affirme sa présence et son autorité, avec une clarté des indications, des entrées et une précision de battue exemplaires. Le niveau instrumental atteint ici des sommets : les cordes évitent tout « savonnage », proposant des articulations d’une netteté remarquable et une expressivité maîtrisée.
L’approche générale privilégie l’absence de ralentis et des phrasés volontairement secs. Même lors du retour de l’idée fixe, Salonen ne ralentit pas, faisant de cette œuvre de la musique pure de manière très convaincante. « Un bal » (joué dans la version avec cornets à pistons) manque peut‑être un peu de ce charme viennois traditionnel, mais c’est clairement la conception voulue par le chef. Il porte un soin méticuleux à la polyphonie, et les tutti, puissants et équilibrés, permettent aux bois de ressortir avec une clarté inhabituelle. Les effets d’orchestration du dernier mouvement en deviennent étonnants de modernité. Les interventions de Tobias Vogelmann au cor anglais sont remarquables.
Ce Berlioz se révèle plus martial que fiévreux, moins halluciné que structuré avec une pulsation implacable. Loin d’être un défaut, cette approche fait prendre conscience de la modernité radicale de l’œuvre. On comprend mieux pourquoi Stravinsky appréciait tant la Symphonie fantastique : la lecture de Salonen dévoile une sauvagerie moderne et une subtilité rythmique qui n’est pas sans présager ce que sera le Sacre du printemps.
Antoine Lévy-Leboyer
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