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Sirène sous tension, Chopin au salon

Strasbourg
Palais de la Musique
12/04/2025 -  
Frédéric Chopin : Concerto pour piano n° 1 en mi mineur, opus 11
Alexander von Zemlinsky : Die Seejungfrau

Bruce Liu (piano)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Jonathan Nott (direction)


B. Liu, J. Nott (© David Amiot)


Arnold Schoenberg a dirigé la création de la fantaisie pour orchestre Die Seejungfrau de Zemlinsky à Vienne, le 25 janvier 1905. Au même programme figurait rien moins que la création de Pelléas et Mélisande du même Schoenberg. Jeunes trentenaires à l’époque, les deux compositeurs étaient déjà liés à plus d’un titre : Schoenberg, essentiellement autodidacte, fut un temps l’élève de Zemlinsky, avant de lui devenir apparenté, en épousant sa sœur, en 1901. Et, au cours du travail d’élaboration simultané de ces deux projets de musique à programme, il est évident que les deux compositeurs se sont beaucoup influencés l’un l’autre.


Resituons bien l’époque : 1905. On est en pleine période Jugendstil, esthétique où aucune surenchère de l’arabesque n’est jugée excessive, et où, musicalement, le monde germanique est encore en train de gérer un vieil antagonisme irréconciliable entre les partisans de Wagner et ceux de Brahms. Ici, l’un des buts évidents est de jeter de nouveaux ponts entre les deux mondes, sous l’influence par ailleurs prégnante des grands poèmes symphoniques de Richard Strauss, dont en particulier Une vie de héros, qui a fonctionné pour les deux compositeurs comme un modèle majeur. Un exemple qu’ils jugeaient sans doute aussi séduisant qu’un peu pompier et réactionnaire, mais qui méritait en tout cas des tentatives de réponse.


Le destin des deux œuvres, après leur création conjointe, a très vite divergé. Zemlinsky a rapidement ressenti que Schoenberg creusait l’écart par une approche plus visionnaire, voire encore plus chargée. Et, quelque part aussi, son joli scénario de musique à programme d’après le conte d’Andersen tenait moins la route que l’évocation des ténèbres symbolistes de Maeterlinck. La Sirène a donc été retirée assez vite par son auteur, qui en a même dispersé la partition en plusieurs morceaux. L’ensemble n’a pu être « recollé » et rejoué que dans les années 1980, à une époque où l’on redécouvrait de toute façon, pans par pans, les œuvres d’un musicien tombé jusque‑là dans un oubli quasi total.


Aujourd’hui, grâce à l’engagement actif de quelques rares chefs, dont Jonathan Nott, qui dirige ce soir, on rejoue davantage La Sirène, peut‑être même plus que la Symphonie lyrique, elle un véritable chef‑d’œuvre, mais plus complexe à monter. Un relatif engouement dont on comprend les raisons : une musique luxuriante qui met l’orchestre en valeur, l’anecdote du conte qui facilite un peu l’accès, une durée de trois quarts d’heure, finalement assez concise pour un pavé postromantique... Reste que, même après des écoutes répétées, l’ouvrage livre mal ses clefs d’accès, du fait d’un travail thématique riche mais tellement enchevêtré que sa lisibilité en souffre, donnant la prégnante impression que la musique tourne en rond au lieu d’avancer. On a affaire à une sorte d’élégante frise décorative continuellement chargée, à laquelle on pourrait à volonté ajouter (ou retrancher) quelques mètres linéaires sans que sa valeur en tant que proposition esthétique s’en trouve vraiment modifiée. Ce soir, Jonathan Nott essaie d’en tirer le maximum, à la tête d’un Orchestre philharmonique de Strasbourg en bonne forme, y compris des cuivres relativement sûrs (encore qu’ils aient décidément perdu l’habitude d’attaquer vraiment ensemble), mais ne parvient pas à clarifier des textures qui restent opaques. Les transitions paraissent fluides, les tempi, larges mais souples, essaient autant que possible de différencier les épisodes, cela dit, il faudrait sans doute une lecture plus analytique pour dépasser ce stade de simple immersion dans un océan de sonorités douillettes. Dommage, mais sans doute inévitable dans le cadre d’une simple mise au point rapide avant un concert d’orchestre.


Avec quoi coupler une telle œuvre ? Evidemment avec le Pelléas et Mélisande de Schoenberg, comme à la création, mais, en termes de box‑office, un désastre serait sans doute à redouter. Et la proposition paraît de toute façon indigeste. Donc pourquoi ne pas opter plutôt pour quelque chose de ludique et de détendu pour commencer ? Avec le Premier concerto de Chopin, joué de surcroît par un jeune et sympathique pianiste en devenir, voilà au moins de quoi remplir correctement la salle (c’est le cas ce soir, mais sans plus, et le concert n’est pas dédoublé).


En tout cas une bonne occasion de faire connaissance avec le pianiste canadien d’origine chinoise Bruce Liu : très joli toucher, doigts impeccables, et aussi une intéressante sensibilité, ou du moins une recherche, dans Chopin, de quelque chose de frais et de spontané qui peut retenir l’attention. Au problème près qu’à force de rester en surface du clavier, d’enfiler des perles digitales d’une eau rare et de décaler les mains pour faire plus poétique, on finit par obtenir une curieuse lecture, pour le moins démantibulée. Est‑ce vraiment un concerto de Chopin que cette succession imprévisible d’accidents de parcours délicieusement effleurés ? On n’arrive pas à s’en contenter, d’autant qu’il manque ici une composante essentielle : un véritable dialogue avec l’accompagnement, simplement standard (comme souvent), voire insuffisant, avec une Romance tout juste fonctionnelle et un solo de basson à peine esquissé. Edifiante aussi la comparaison avec ce même Premier Concerto interprété par Bruce Liu en finale du Concours Chopin de Varsovie 2021 : un pianiste plus droit, plus direct, plus naturellement musical, et effectivement un premier prix plausible. Le remporterait‑il encore aujourd’hui ?


Deux bis : un délicieux Vingtième Nocturne, mais joué comme s’il s’agissait prioritairement de charmer de belles écouteuses affalées sur leur méridienne, et une Valse opus 64 n° 1 précipitée à ce point Prestissimo (et non Molto vivace), qu’elle mériterait peut-être d’être rebaptisée, pour la circonstance, « Valse demi‑minute ».



Laurent Barthel

 

 

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