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Chaos en coulisse, triomphe sur scène Bergamo Teatro Donizetti 11/14/2025 - et 22, 30* novembre 2025 Gaetano Donizetti : Caterina Cornaro Carmela Remigio (Caterina Cornaro), Enea Scala (Gerardo), Vito Priante, Wonjun Jo (Lusignano), Fulvio Valenti (Andrea Cornaro), Riccardo Fassi (Mocenigo), Francesco Lucii (Strozzi, Un cavaliere del re), Vittoria Vimercati (Matilde)
Coro dell’Accademia Teatro alla Scala, Salvo Sgrò (préparation), Orchestra Donizetti Opera, Riccardo Frizza/Aram Khacheh* (direction musicale)
Francesco Micheli (mise en scène), Matteo Paoletti Franzato (décors), Alessio Rosati (costumes), Alessandro Andreoli (lumières), Alberto Mattioli (dramaturgie), Matteo Castiglioni (vidéos)
 (© Studio U.V./Donizetti Opera - Fondazione Teatro Donizetti)
Un chanteur indisposé devant être remplacé au pied levé, c’est chose relativement courante à l’opéra. Un chef d’orchestre, c’est déjà beaucoup plus rare. Les deux, c’est une situation unique et – on imagine – extrêmement ardue à gérer. C’est ce qui est arrivé à Bergame pour la troisième et dernière représentation de Caterina Cornaro. Avant le lever de rideau, un responsable du Festival Donizetti est monté sur scène pour expliquer au public que le maestro Riccardo Frizza, par ailleurs directeur artistique et musical de la manifestation, n’a pas pu se rendre comme prévu à Bergame pour diriger l’ouvrage. Comme il aurait été compliqué, pour ne pas dire quasiment impossible, de trouver un autre chef disponible, étant donné que l’opéra Caterina Cornaro n’est pratiquement jamais représenté, il a été décidé de faire appel à l’assistant du chef, le jeune Iranien Aram Khacheh, qui, vu les circonstances, a fait bien plus que simplement sauver la représentation, dirigeant de manière superbe et mettant en valeur toute la richesse de l’écriture orchestrale de Donizetti, un travail absolument remarquable ! Une trentaine de minutes après le début de la représentation, le baryton Vito Priante perd sa voix en plein milieu d’un air. Le rôle est alors immédiatement chanté en coulisse par sa doublure, le Sud‑Coréen Wonjun Jo, qui prendra la place de son collègue sur scène pour le second acte. Il a droit, lui aussi, à toute la reconnaissance du public pour avoir permis la poursuite de la représentation.
Créé en 1844 au Teatro San Carlo de Naples, l’opéra Caterina Cornaro est la dernière tragédie lyrique de Gaetano Donizetti. La version originale de l’œuvre a subi d’importantes modifications dues à la censure napolitaine, avec notamment une fin qui altérait considérablement la portée dramatique voulue par le compositeur. La production présentée à Bergame est fondée sur une nouvelle édition critique visant à restaurer l’œuvre selon les intentions initiales de Donizetti. Considéré comme le « testament artistique » du compositeur, l’opéra marque l’apogée de sa maturité de musicien, se distinguant par une écriture orchestrale raffinée, des chœurs imposants et une ligne lyrique pure. Riccardo Frizza considère d’ailleurs l’ouvrage comme la « quatrième reine » de Donizetti (après Maria Stuarda, Anna Bolena et Elisabetta al castello di Kenilworth), unique par sa structure théâtrale et musicale. Et il est vrai que c’est un opéra splendide, sans conteste l’un des plus beaux du compositeur.
L’ouvrage, en un prologue et deux actes, raconte l’histoire de Caterina Cornaro, une noble vénitienne qui devient reine de Chypre au XVe siècle sur fond de machinations politiques. Caterina et Gerardo sont amoureux et veulent se marier, mais le Conseil des Dix de Venise a d’autres projets, exigeant que Caterina épouse le roi de Chypre, Lusignano, pour des raisons politiques. Gerardo est alors contraint de renoncer à elle. A Chypre, où Lusignano et Caterina sont désormais mariés, arrive Gerardo, reconnu immédiatement par Caterina. Les deux amoureux se retrouvent déchirés entre leur histoire passée et leurs obligations actuelles. Gerardo révèle un complot visant à assassiner le roi. Les conspirations s’intensifient et Lusignano finit par être mortellement blessé. Il confie alors le destin de son peuple et le trône à Caterina mourante, qui accepte son devoir de reine devant le peuple de Chypre, dans une fin tragique et puissante, restituée pour la première fois, on l’a dit, selon la volonté du compositeur.
La production présentée à Bergame suscite des sentiments mitigés par son côté déroutant et terriblement alambiqué. Francesco Micheli a voulu introduire un récit parallèle contemporain. C’est ainsi qu’on voit sur scène une autre Caterina, enceinte, dans la salle d’attente d’un hôpital, en quête de nouvelles de son mari malade, qui est sur le point d’être opéré. Cette intrigue moderne est censée faire écho à l’histoire originale de la reine de Chypre, créant des parallèles entre les personnages. Les décors, conçus par Matteo Paoletti Franzato, alternent une façade d’un palais Renaissance et un environnement clinique. Il en va de même pour les costumes, signés Alessio Rosati, les personnages passant de tenues d’époque à des vêtements modernes (par exemple, Gerardo en médecin avec un scalpel à la main au lieu d’une épée). Si l’idée de faire de la politique un environnement presque chirurgical où les destins sont manipulés, peut sembler intéressante au premier abord, elle finit par lasser tant elle paraît compliquée, n’apportant pas grand‑chose à l’intrigue.
La distribution est d’excellent niveau. Carmela Remigio a incarné Caterina avec autorité et une grande présence scénique, alliant émotion, noblesse et maîtrise vocale, avec notamment un phrasé exemplaire. Gerardo vaillant et héroïque, Enea Scala a impressionné par l’assurance de son chant et ses vocalises lancées avec aplomb, quand bien même on aurait souhaité davantage de nuances et de raffinement dans la voix. Riccardo Fassi est un Mocenigo de luxe, avec son timbre puissant et expressif. On mentionnera également la belle prestation du Chœur de l’Académie du Teatro alla Scala, préparé par Salvo Sgrò, remarquable de puissance et de précision.
Claudio Poloni
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