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Audace et élégie Paris Maison de la radio et de la musique 11/18/2025 - Mieczyslaw Weinberg : Concerto pour flûte n° 1, opus 75 – Concertino pour violon en sol mineur, opus 42
Dimitri Chostakovitch : Symphonie n° 14 en sol mineur, opus 135 Ausrinė Stundytė (soprano), Alexei Botnarciuc (basse), Mathilde Calderini (flûte), Gidon Kremer (violon)
Philharmonique de Radio France, Mirga Grazinytė‑Tyla (direction)
 M. Calderini, M. Grazinytė‑Tyla
La Maison de la radio et de la musique surprend cette année par l’audace de sa programmation, en choisissant de consacrer un cycle de quatre concerts au compositeur polonais Mieczyslaw Weinberg (1919‑1996), associé à son ami Dimitri Chostakovitch (1906‑1975). L’estime et l’influence réciproque de ces musiciens ont été maintes fois évoquées ces dernières années, à l’occasion de la mise en lumière et de l’ascension irrésistible de la musique de Weinberg en Occident. On doit ainsi au Festival de Bregenz la résurrection du bouleversant chef‑d’œuvre lyrique de Weinberg, La Passagère, dès 2010, en même temps que les efforts conjoints du Quatuor Danel (voir notamment en 2011 à Paris) ou du violoniste Gidon Kremer (voir notamment en 2017 à Baden‑Baden), pour faire connaître une partie de son legs considérable en musique de chambre.
Le flambeau a également été repris par la cheffe lituanienne Mirga Grazinytė‑Tyla (née en 1986), qui s’est imposée ces dernières années comme l’une des personnalités les plus en vue du monde musical, en devenant tout d’abord directrice musicale de l’Orchestre symphonique de Birmingham entre 2016 et 2022, puis en engageant un partenariat avec Deutsche Grammophon : son premier disque consacré à Weinberg a montré toute l’ambition de cette artiste, qui vient d’être nommée comme première cheffe invitée du Philharmonique de Radio France. On la retrouve précisément pour le troisième concert du cycle polono‑russe, qui montre plusieurs facettes du style de Weinberg en première partie de soirée.
Le concert débute en effet avec l’étourdissant Premier Concerto pour flûte (1961), dédié au virtuose russe Alexandre Korneïev : pour lui succéder, la supersoliste du Philharmonique Mathilde Calderini assume crânement la place prépondérante offerte à son instrument, d’une sensualité débordante face à l’orchestre réduit à vingt cordes. Le caractère enjoué et entraînant qui domine donne un sentiment d’urgence toujours captivant, tant les phrasés entremêlés semblent couler de brio et de naturel. Le climat d’apaisement qui suit, au tempo très mesuré, bénéficie de l’allégement de l’accompagnement de Gražinytė‑Tyla : peu à peu, quelques notes plus sombres envahissent le discours d’ensemble, tout en laissant quelques éclaircies affleurer. Plus déstructuré et dissonant, le finale montre davantage d’audace, avant une accélération puis une conclusion abrupte.
La flûtiste repart sans offrir de bis pour laisser la place au violoniste Gidon Kremer (né en 1947), qui fait l’étalage de toute sa classe dans le Concertino pour violon (1948) de Weinberg. Les phrasés expressifs, parfois à peine effleurés, font mouche, malgré quelques accrocs au niveau de la justesse, dans les passages rapides. Tout l’esprit néoclassique de cet ouvrage appartenant à la première période de Weinberg, peu après son arrivée en Russie, bénéficie de ce langage clair et narratif, proche de l’élégance des ouvrages pour violon de Prokofiev. La fin marquée par des scansions rythmiques se montre très réussie, à l’instar du bis, la Sérénade de Valentin Silvestrov, tout en délicatesse. S’exprimant en français face au public, Kremer dédie le concert aux Ukrainiens victimes de l’invasion russe.
Après l’entracte, le Philharmonique de Radio France retrouve des terrains plus connus avec la Quatorzième Symphonie (1969) de Chostakovitch, qu’il a enregistrée au disque avec son ancien directeur musical Mikko Franck, voilà déjà deux ans. Du fait de son aspect plus sombre et introspectif, cet ouvrage tardif reste moins souvent donné au concert que les grandes symphonies plus spectaculaires des années 1940. Touché par un premier infarctus en 1966, Chostakovitch montre là sa hauteur d’inspiration face à une mort qu’il juge prochaine, tout en dédiant l’ouvrage à son ami Benjamin Britten, lui aussi malade. La réduction de l’effectif orchestral à seulement vingt cordes, percussions et célesta donne aussi un ton plus intime, propice à mettre en avant les interventions des deux solistes, souvent poignantes.
On retrouve la basse Alexei Botnarciuc, qui vient précisément de s’illustrer dans le premier opéra de Chostakovitch, Le Nez à Munich l’an passé, pour affronter une partie redoutable, en ce qu’elle convoque des qualités de diseur à même de faire ressortir tout le caractère élégiaque des poèmes assemblés. Le Moldave affronte toutes ces difficultés sans aucun effort apparent, nous délectant de son timbre riche et profond, porté par une projection insolente sur toute la tessiture. On aime aussi l’art des phrasés d’Ausrinė Stundytė, très sollicité en première partie de symphonie, avant que la fin ne convoque davantage son tempérament et sa capacité à s’enflammer en pleine voix. Assurément deux atouts décisifs de la soirée, avec la direction toute en finesse de Grazinytė‑Tyla.
A l’issue de ce cycle, on ne peut que conseiller de se rendre à l’Opéra de Toulouse en janvier prochain, afin d’assister à la création française de La Passagère de Weinberg (voir notamment la production de l’Opéra de Francfort en 2015). Assurément l’un des grands événements pour débuter l’année !
Florent Coudeyrat
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