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Un fou sublime pour un rêve lyrique Lausanne Opéra 10/05/2025 - et 7, 10*, 12 octobre 2025 Jules Massenet : Don Quichotte Stéphanie d’Oustrac (Dulcinée), Nicolas Courjal (Don Quichotte), Marc Barrard (Sancho), Andrea Cueva Molnar (Pedro), Herlinde Van de Straete (Garcias), Maxence Billiemaz/Carl Ghazarossian* (Rodriguez), Jean Miannay (Juan), Giulio Foresto (Chef des bandits), Nicolas Charoud, Gabriel Colin, Romain Favre (Bandits), Pier‑Yves Têtu, Mohamed Haidar (Laquais)
Chœur de l’Opéra de Lausanne, Alessandro Zuppardo (préparation), Orchestre de Chambre de Lausanne, Laurent Campellone (direction musicale)
Bruno Ravella (mise en scène), Romeo Gasparini (assistant à la mise en scène), Leslie Travers (décors), Gabrielle Dalton (costumes), Ben Pickersgill (lumières), Rebecca Howell (chorégraphie)
 N. Courjal, S. d’Oustrac (© Carole Parodi)
L’Opéra de Lausanne vient d’ouvrir sa saison 2025-2026 avec Don Quichotte, le dernier ouvrage lyrique de Massenet, créé à Monte‑Carlo en 1910. L’œuvre s’inspire indirectement de Cervantès via la pièce Le Chevalier de la longue figure (1906) de Jacques Le Lorrain. La partition – brève, à peine 2 heures de musique – mêle lyrisme chaleureux, tendresse mélancolique ainsi que quelques touches dramatiques. Après un Guillaume Tell qui avait inauguré la précédente saison lyrique lausannoise (voir ici), Bruno Ravella opte pour une version onirique de l’ouvrage de Massenet. Le metteur en scène nous transporte en effet dans l’imagination de Don Quichotte. Dulcinée apparaît ici comme une meneuse de cabaret, descendant des cintres sur un trapèze, au milieu de fringants danseurs en frac, haut‑de‑forme et gants blancs, agitant des éventails rouges. Un dispositif original de cercles lumineux et d’arches évoque le cerveau du Chevalier, avec de splendides jeux de lumières pour représenter ses angoisses et ses crises de folie. Une des scènes les plus réussies est certainement celle du combat contre les moulins, que Quichotte prend pour des géants, et au cours de laquelle descendent des cintres les deux pieds énormes d’une créature immense. Comme il l’explique dans le programme de salle, Bruno Ravella voit dans Quichotte un personnage atteint de démence sénile, touché par des moments d’illumination et de grâce, « un fou, mais un fou sublime » comme le dit si bien Dulcinée à l’acte IV. Cette esthétique accentue la poésie et la mélancolie plutôt que le pittoresque espagnol traditionnel et donne tout son charme et sa magie au spectacle. Une réussite.
La distribution vocale comble, elle aussi, toutes les attentes. Nicolas Courjal offre une composition saisissante de Don Quichotte, tant le chanteur semble être entièrement habité par son personnage de vieil homme fatigué et fragile, terriblement humain, avec un chant d’une grande noblesse et d’une immense profondeur d’émotion. Son agonie est un moment de grâce absolu. En meneuse de revue aux bas résille qui laissent voir ses jambes superbes, Stéphanie d’Oustrac incarne avec beaucoup de brio une femme aguicheuse, jouant de tous ses charmes, espiègle et mutine aussi, à la voix puissante et corsée. Malgré un timbre un peu nasal, Marc Barrard est un Sancho particulièrement empathique et bienveillant, pétri d’humanité, à la diction irréprochable. Les rôles secondaires sont tous excellents, de même que le chœur. A la tête de l’Orchestre de Chambre de Lausanne, Laurent Campellone sait rendre à merveille toutes les finesses et les couleurs de la partition de Massenet. Un magnifique spectacle, qui a ouvert en beauté la saison lyrique lausannoise.
Claudio Poloni
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