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Une vitalité réjouissante Versailles Opéra royal 10/11/2025 - et 12, 14, 16, 18 octobre 2025 Gioachino Rossini : Cendrillon Gaëlle Arquez (Cendrillon), Patrick Kabongo (Don Rodolphe), Gwendoline Blondeel (Eléonore), Eléonore Pancrazi (Isabelle), Jean‑Gabriel Saint‑Martin (Perruchini), Alexandre Baldo (Fabio), Alexandre Adra (Don Magnifico), Amandine Schwartz, Céline Delhommeau, Max Spuhler, Romain Burnier, Marceau Ehrmann (acrobates, danseurs)
Chœur et Orchestre de l’Opéra Royal, Gaétan Jarry (direction musicale)
Julien Lubek, Cécile Roussat (mise en scène, chorégraphie, décors, costumes, lumières)
 (© Baptiste Lacaze)
Parmi les spectacles phares de la saison versaillaise, Cendrillon (1817) de Rossini fait un retour attendu dans sa version française de 1868 : à l’Opéra royal, voilà un nouveau trésor du répertoire lyrique mis à l’honneur dans la langue de Molière, après deux productions mozartiennes consacrées à La Flûte enchantée en 2020 (disponible en disque et en streaming), puis à L’Enlèvement du sérail l’an passé (à retrouver en disque et DVD).
Directeur de Château de Versailles Spectacles depuis 2007, Laurent Brunner n’hésite pas à casser ce tabou bien français consistant à préférer systématiquement les versions originales, alors que les traductions étaient encore en vogue jusque dans les années 1970 dans tout l’Hexagone, ce qui permettait à un large public, notamment aux « primo‑accédants », de profiter de toutes les subtilités du livret. S’il est vrai que le confort du surtitrage a permis aux versions originales de s’imposer durablement, il faut reconnaître que les allers‑retours entre les écrans et la scène ne favorisent pas une concentration optimale sur les péripéties, surtout pour les spectateurs moins habitués à cette gymnastique. On notera par ailleurs que les pays germaniques n’ont jamais renoncé aux traductions pour les ouvrages comiques, comme on a pu le constater maintes fois, y compris pour des maisons d’opéra de premier plan, à Francfort (voir notamment Mascarade en 2021 et Les Brigands en 2021) ou à Berlin (voir La Belle Hélène en début d’année). Dans le même esprit, l’Opéra Comique à Paris proposera en avril prochain une version française très attendue de Lucie de Lammermoor de Donizetti, avec Sabine Devieilhe dans le rôle‑titre.
A Versailles, la distribution entièrement francophone joue aussi la carte du prestige avec rien moins que Gaëlle Arquez en Cendrillon : on ne présente plus la carrière internationale de la mezzo‑soprano originaire de Saintes, qui s’illustre ici par ses qualités de souplesse dans les phrasés, entre beauté suave des graves et mise en valeur d’une variété de couleurs. Seules les accélérations périlleuses de Rossini la mettent quelque peu en difficulté dans la nécessaire diction, à l’instar de la plupart de ses partenaires, à l’exception notable de l’admirable Jean‑Gabriel Saint‑Martin. Entre qualités dramatiques et projection insolente, le baryton rivalise d’énergie et de roublardise pour imposer un valet désopilant, qui vole la vedette à son prince, interprété par le pourtant expérimenté Patrick Kabongo. Invité régulier du festival Rossini de Bad Wildbad (voir récemment encore pour Le Comte Ory), le ténor français originaire du Congo impressionne une nouvelle fois par sa classe interprétative, tout particulièrement dans les effluves aériens de la seconde partie de soirée, où ses piani et ses qualités d’articulation en voix de tête font merveille. Il ne lui manque qu’un rien de puissance dans les ensembles et face à l’orchestre pour pleinement nous emporter.
Parmi les découvertes bienvenues, Alexandre Adra (né en 1998) s’épanouit dans le rôle du père ridicule : ce jeune membre de l’Académie de l’Opéra royal a toutefois encore à progresser dans l’outrance comique attendue, à l’instar de Gwendoline Blondeel (Eléonore) et Eléonore Pancrazi (Isabelle), trop portées sur le « beau chant ». Enfin, la grande satisfaction de la soirée revient à la prestation superlative d’Alexandre Baldo (Fabio), lauréat du Concours Talents Adami Classique en 2023 : entre maîtrise du souffle et de prononciation, sans parler de la facilité de projection, chacune de ses interventions fait mouche, donnant beaucoup de crédibilité à son rôle de « Monsieur Loyal », tour à tour bienveillant et facétieux. Assurément un artiste à suivre.
On retrouve à Versailles une production donnée par deux fois à Liège, en 2014 et 2019, que Laurent Brunner a eu l’idée opportune de reprendre pour le public francilien, à l’instar d’autres spectacles comiques dans le passé (notamment Don Quichotte chez la duchesse de Boismortier, d’abord créé à Metz en 2015). Ce projet consiste à faire appel à nouveau au duo composé de Julien Lubek et Cécile Roussat, qui a fait rire plusieurs fois le public versaillais avec ses productions baroques (voir notamment Didon et Enée en 2015). Le pari est tenu face à une salle comble, étonnée par l’apport d’une troupe d’acrobates-danseurs entourant le personnage de Fabio, qui agit comme autant de bonnes fées pour l’héroïne, tout au long de l’action. Tels des explorateurs farfelus venus du futur pour nous raconter un conte bien connu (dont la version italienne diffère pourtant grandement du récit de Perrault), la troupe rivalise de gesticulations tantôt burlesques et poétiques, en un comique joyeux et bon enfant. Il faut évidemment se souvenir de l’enfant qui sommeille en nous pour se divertir de cet art sans prétention, émaillé de plusieurs surprises scénographiques.
Outre la prestation de bonne tenue du Chœur de l’Opéra Royal, l’Orchestre du même nom confirme qu’il est devenu un ensemble de qualité, depuis sa formation il y a six ans pour Les Fantômes de Versailles et les nombreuses tournées à l’étranger, de la Chine aux Etats‑Unis. A la baguette, Gaétan Jarry donne une leçon d’équilibre et de rebond rythmique parfaitement maîtrisée, conférant à son Rossini une vitalité enthousiasmante.
Florent Coudeyrat
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