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La musique sans le théâtre

Paris
Opéra Bastille
09/24/2025 -  et 28 septembre, 1er, 4, 7, 10*, 13, 16, 19, 22 octobre, 1er, 4 novembre 2025
Giuseppe Verdi : Aida
Krzysztof Bączyk (Il Re), Eve-Maud Hubeaux*/Judit Kutasi (Amneris), Saioa Hernández/Ewa Plonka* (Aida), Piotr Beczala*/Gregory Kunde (Radames), Alexander Kőpeczi (Ramfis), Roman Burdenko*/Enkhbat Amartüvshin (Amonasro), Manase Latu (Un messaggero), Margarita Polonskaya (Sacerdotessa)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, Ching‑Lien Wu (cheffe des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Michele Mariotti*/Dmitry Matvienko (direction musicale)
Shirin Neshat (mise en scène, vidéo), Christian Schmidt (décors), Tatyana van Walsum (costumes), Felice Ross (lumières), Dustin Klein (chorégraphie), Yvonne Gebauer (dramaturgie)


(© Bernd Uhlig/Opéra national de Paris)


Une production nouvelle pour l’Opéra de Paris, mais que l’on a pu voir à Salzbourg, en 2017 et 2022. Pas tout à fait le même spectacle : Shirin Neshat l’a chaque fois revu et corrigé. Elle met de plus en plus l’accent sur l’horreur des régimes théocratiques, sur l’atrocité des guerres, sur les malheurs de l’exil. A travers force vidéos, souvent très réussies, images de désert où des femmes voilées creusent une tombe, de mer où errent des barques de migrantes, scènes de massacres et de viols, qui sont partie intégrante de la production.


La cinéaste iranienne, exilée aux Etats-Unis, sait de quoi elle parle. Elle nous présente un Orient éternellement blessé, déchiré entre l’archaïsme – Radamès sacrifie un agneau et une jeune vierge – et une modernité confisquée par la dictature. Non sans prendre quelques libertés avec l’histoire : on exécute sommairement, par exemple, les prisonniers dont Radamès a obtenu la grâce.


Le spectacle aurait dû étreindre, il laisse toujours aussi indifférent. On se lasse très vite de l’unique décor, ce cube bunker tournant sur lui‑même. De ces visages d’opprimés, fort beaux au demeurant, qui défilent interminablement entre les actes. Mais il eût surtout fallu, pour nous toucher, une vraie direction d’acteur, alors que les chanteurs sont abandonnés à eux‑mêmes sans que se crée la moindre tension. Aucun théâtre ici, comme si la vidéo suffisait et que les personnages n’existaient que par la musique. Bref, tout retravaillé qu’il est, le spectacle ne s’avère pas plus abouti.


Elle est, heureusement, bien servie. Prévue dans la seconde distribution, Ewa Plonka remplace Saioa Hernandez souffrante. Qui s’en plaindrait ? Belle voix de soprano lyrique, à la tessiture homogène, à l’émission parfaitement maîtrisée, à la ligne pure, voilà une Aïda de premier choix, d’une fragilité frémissante, dont l’air du Nil est impeccablement tenu. Elle forme un très beau couple avec Piotr Beczala. Certes le ténor polonais trahit quelque dureté dans l’aigu, esquive le pianissimo sur le si bémol final de « Celeste Aida », mais le velours mordoré du timbre, la noblesse du phrasé demeurent chez ce Radamès plus lyrique qu’héroïque, rien moins que stentor, à la fois tourmenté et raffiné.


Méforme passagère en ce soir de cinquième représentation ? On ne reconnaît pas l’Amnéris impérieuse qu’incarnait à Salzbourg Eve‑Marie Hubeaux. La voix se dérobe à partir du bas‑médium, les registres se dessoudent, il faut attendre l’acte III pour que la tessiture retrouve son assise, du moins jusqu’aux aigus, toujours désespérément bas – pour ne pas dire faux. Dommage : l’incarnation s’est plutôt affinée. Si son Amonasro n’égale pas son Michele du Tabarro puccinien, si le « Su dungue! Sorgete » l’embarrasse un peu, Roman Burdenko déploie en roi vaincu son baryton Verdi de haute tenue. Alexander Kőpeczi fait un estimable Ramfis, Krzysztof Bączyk un Roi imposant, aux graves profonds. Manase Latu donne du relief aux quelques mesures du Messager, Margarita Polonskaya, à écouter sa prêtresse, est destinée aux grands rôles.


Pas d’Aïda sans chœur : celui de l’Opéra est superbe. La direction de Michele Mariotti aussi, par sa fluidité et sa subtilité – il revisite le ballet. Le tableau du temple baigne dans un mystère ténébreux, l’introduction du IV dans un halo d’exotisme diffus – quelle flûte ! Lui reprochera‑t‑on de privilégier les atmosphères plutôt que la théâtralité ? Cela tient à sa conception de l’œuvre : il dirige une partition intimiste, une tragédie de l’amour malheureux, dont il distille scrupuleusement toutes les nuances, pas un opéra à grand spectacle, rebelle à tout pompiérisme dans la scène du triomphe. Fidèle à Verdi.



Didier van Moere

 

 

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