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Invitation au voyage

Paris
Salle Erard
10/12/2025 -  
Hector Berlioz : Harold en Italie, opus 16 : 2. « Marche des pèlerins chantant la prière du soir » (arrangement Franz Liszt) [*]
Franz Liszt : Tristia, S. 723 – Deux Mélodies russes, S. 250 : « Le Rossignol » (arrangement Henriette Renié)
Marcel Tournier : Etude de concert (Au matin)
Jean Cras : Quintette avec piano

Saskia Lethiec, Takashi Hamano (violon), Marc Desmons (alto), François Salque (violoncelle), Delphine Armand [*], Jérôme Granjon (piano), Françoise de Maubus (harpe), Laurent Lévy (présentation, récitant)




Sous le titre « Voyages, de Franz Liszt à Jean Cras », la quatrième édition du Festival Erard, du 9 au 12 octobre, a structuré sa programmation autour de deux grands musiciens voyageurs. Le premier est connu, le second gagne à l’être, à l’image des cinq concerts, qui font alterner figures célèbres – Clara Schumann, Brahms, Duparc, Mahler, Debussy, Ravel, Satie, Poulenc... – et compositeurs négligés, voire oubliés, aussi différents que Cesare Galeotti, André Caplet ou Maurice Ohana.


Si le piano Erard mobilisé pour l’occasion a exactement cent cinquante ans, la première soirée, avec l’association La Nouvelle Athènes, a été l’occasion de découvrir un instrument de  1806 autour d’une classe de maître (en partenariat avec le Conservatoire à rayonnement régional de Paris) puis d’un concert lecture de Luca Montebugnoli « Aux origines de la maison Erard, de Louis Adam au jeune Liszt ». Et si la manifestation fondée par la violoniste Saskia Lethiec et le pianiste Jérôme Granjon a adopté ce nom, c’est avant tout parce qu’elle se déroule salle Erard, dans ce qui fut l’hôtel particulier de la famille des facteurs de pianos et harpes, entre les Halles et la Banque de France : non seulement Liszt avait fait siens les Erard, mais, ainsi que le précise une plaque apposée sur la devanture de l’immeuble, « dans cette maison le maître hongrois François Liszt fut accueilli par la famille Erard de  1823 à 1878 ». Datant de la seconde moitié du XIX e siècle, la salle, cernée par des miroirs et de hautes baies vitrées, est dotée d’une excellente acoustique – de nombreux disques, naguère, y ont été enregistrés.


Intitulé « De la Bretagne à la Chine, voyage avec Jean Cras », le concert de clôture n’est pas exclusivement consacré au compositeur brestois, tant s’en faut. Il commence avec un autre grand voyageur, Berlioz, mais en même temps avec Liszt, qui dès 1836, adapta au piano l’orchestre d’Harold en Italie (1834). On n’en entend que le deuxième mouvement, la « Marche des pèlerins chantant la prière du soir », mais Marc Desmons, soliste du Philharmonique de Radio France, et Delphine Armand montrent que ces pages n’ont rien perdu de leur pouvoir évocateur, entre les arpèges sul ponticello de l’alto et le lancinant do du piano – originellement des cors et de la harpe – complètement étranger à l’harmonie de mi majeur.


Liszt toujours, et encore une âme tourmentée : bien qu’évidemment inspirée du roman de Senancour,  Vallée d’Obermann », sixième pièce de la Première Année (Suisse) des Années de pèlerinage (1855), porte également en épigraphe un extrait de l’ode de Byron qui avait inspiré Berlioz – cela tombe bien puisque, comme le rappelle Laurent Lévy, qui, en complément des excellentes notes de programme de Jacques Bonnaure, présente les œuvres et lit quelques textes, il n’y a pas plus de pèlerins dans le poème de Byron que de vallée dans le roman de Senancour... Vers 1880, Liszt, avec l’un de ses élèves, le Belge d’origine danoise Eduard Lassen, en réalisa une adaptation pour trio avec piano sous le nom de Tristia : aux fondateurs du festival se joint l’exceptionnel François Salque dont l’autorité, la sonorité et le phrasé sidèrent littéralement.


La maison Erard est également réputée pour ses harpes, de telle sorte que Françoise de Maubus, soliste de l’Orchestre Lamoureux, avait toute légitimité pour une (trop) courte intervention. Par couches successives, il ne reste plus grand‑chose du Rossignol (1826) d’Alexandre Alabiev, sur laquelle Glinka écrivit par ailleurs des variations : une adaptation par Liszt (1842/1853), puis un arrangement pour harpe d’Henriette Renié (1875‑1956). Dans cette page, comme juste avant, en bonus imprévu, dans l’Etude de concert (Au matin) de Marcel Tournier (1879‑1951), successeur d’Hasselmans et prédécesseur de Lily Laskine au Conservatoire, tout n’est que brio, subtilité et nuances.


Duparc avait fait don au « fils de son âme », Jean Cras, d’un quart de queue Erard, mais à bord des navires qu’il commandait, le contre‑amiral avait préféré un Pleyel. Qu’à cela ne tienne, on ne regrettera pas d’avoir eu la très rare occasion d’entendre son Quintette avec piano (1922), le festival ayant eu la bonne idée de programmer la veille au soir le merveilleux Quintette pour flûte, harpe et trio à cordes. Une véritable invitation au voyage que ces quatre mouvements – de l’aveu même du marin-compositeur, qui mentionne tour à tour un « beau soir d’Afrique », une « ville arabe » et des « musiques chinoises » – ne s’abandonnant toutefois guère à imiter la couleur locale – rien à voir avec les Escales d’Ibert, exactement contemporaines. Pour autant, ce n’est pas la « musique pure » d’une prestigieuse lignée de quintettes français depuis le début du siècle – Ropartz, Schmitt, Pierné, Vierne, Fauré – mais un univers personnel, témoignant avec une grande générosité de l’exaltation frémissante des horizons nouveaux. Admirable partition, servie par des interprètes à l’enthousiasme communicatif, qui n’omettent pas de mettre en valeur le raffinement des textures et le lyrisme du deuxième mouvement, et par la clarté de l’Erard, qui convient idéalement à ce répertoire et qui ne dévore pas ses partenaires du quatuor à cordes.


Il ne reste plus qu’à suivre la voie tracée par le Festival Erard : quel opéra programmera Polyphème de Cras et quel orchestre donnera ses grandes pages symphoniques (Journal de bord, Concerto pour piano) ? Perspective plus certaine : comme Saskia Lethiec et Jérôme Granjon l’avaient annoncé, les sept concerts de la prochaine édition se tiendront du 9 au 11 octobre 2026.


Le site du Festival Erard



Simon Corley

 

 

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