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Farnace ? Non : Berenice ! Paris Théâtre des Champs-Elysées 10/08/2025 - et 27 septembre (Madrid), 12 octobre (Genève) 2025 Antonio Vivaldi : Farnace, RV 711 Emiliano Gonzalez Toro (Farnace), Key’mon W. Murray (Gilade), Deniz Uzun (Tamiri), Adèle Charvet (Berenice), Juan Sancho (Pompeo), Séraphine Cotrez (Selinda), Alvaro Zambrano (Aquilio), Mathilde Etienne, Michaël Pallandre (Gardes, Soldats, Esclaves), Marie Bird (Un enfant de Tamiri)
I Gemelli, Emiliano Gonzalez Toro (direction)
Mathilde Etienne (mise en espace)
 (© Sébastien Gauthier)
Le livret de Farnace, dû à un certain Antonio Maria Lucchini, a connu un immense succès puisque, outre Leonardo Vinci (1690‑1730) qui en était le dédicataire pour son propre opéra Farnace (créé pour le carnaval de Venise de 1724), il servit à pas moins d’une cinquantaine d’œuvres musicales ! Parmi eux, Vivaldi y eut donc également recours et son dramma per musica in tre atti Farnace fut ainsi créé au mois de février 1727 au théâtre Sant’Angelo, sa compagne Anna Girò y chantant le rôle de Tamiri. Opéra remanié à sept reprises par Vivaldi, c’est la version dite « de Pavie » (1731) qui est généralement donnée, comme ce fut le cas ce soir.
L’histoire est assez typique de ces livrets puisant leurs sources dans l’Antiquité où oppositions guerrières et surtout amoureuses se font et se défont jusqu’à ce que la scène finale permette à tous de se réconcilier, les méchants se parant d’un coup de toutes les vertus pour pardonner aux uns et aux autres au milieu de la liesse générale. En l’espèce, Farnace, roi du Pont, a été vaincu par Pompée ; afin d’éviter toute humiliation supplémentaire, il demande à son épouse, Tamiri, de se suicider et de tuer leur fils. Berenice, belle‑mère de Farnace, allie ses forces militaires avec celles de Pompée afin de vaincre définitivement son gendre qu’elle abhorre. Lors de nouveaux combats, Selinda, sœur de Farnace, est faite prisonnière mais elle séduit Aquilio (soldat romain) et Gilade (capitaine des armées de Berenice) afin de les affaiblir mutuellement et s’en servir au moment opportun. Tamari manque de se suicider mais elle est arrêtée dans le moment ultime par sa propre mère, Berenice, qui la remet à Pompée. Peu après, Farnace découvre que son fils et son épouse, rejetés tous deux par Berenice, sont toujours en vie, ce qui le conduit à répudier à son tour Tamiri qu’il estime désormais source de déshonneur. Complots divers et intrigues complexes se suivent jusqu’à ce que Farnace, qui a été sauvé par Gilade et Selinda des griffes de Berenice, ne décide de tuer cette dernière ; les supplications de son épouse Tamiri parviennent à sauver sa mère qui se réconcilie avec Farnace, finalement rétabli sur son trône.
Cofondé en 2018 par Emiliano Gonzalez Toro et Mathilde Etienne, l’ensemble I Gemelli est assez réduit : six violons, trois altos, deux violoncelles, un violone (contrebasse), un théorbe, une harpe, un clavecin, deux hautbois, un basson et, à de rares reprises suivant les besoins de la partition, deux cors. Chaque interprète quittant la scène pour regagner les coulisses une fois son air chanté, il est sans doute excessif, comme l’indique pourtant le programme, de dire qu’Emiliano Gonzalez Toro dirige l’orchestre ; c’est bien plutôt la première violoniste Stéphanie Paulet qui est à l’archet à défaut d’être à la baguette et qui emmène l’ensemble au fil de ces presque trois heures de musique. La prestation instrumentale aura globalement été bonne mais, en plus d’une occasion, les violons accusèrent de sérieux problèmes de justesse, les cordes en général ayant pu s’avérer assez vertes de timbre (quel dommage par exemple dans l’accompagnement du grand duo entre Selinda et Aquilio à la fin de l’acte II), l’équilibre général ayant parfois pu manquer de contrastes (on a eu du mal à entendre les hautbois dans l’air de Pompée « Roma invitta, ma clemente » à la scène 12 de l’acte II) et de caractérisation.
Dans le rôle-titre, Emiliano Gonzalez Toro s’avère assez convaincant. Signalons dès à présent que l’intéressé, qui avait tenu le rôle d’Aquilio dans l’enregistrement dirigé par Diego Fasolis, illustre la variété dont les versions de Farnace sont capables puisque le rôle était tenu par une contralto lors de la création, par un contre‑ténor dans la version Fasolis (Max Emanuel Cencic en l’occurrence) ou même par un baryton (Furio Zanasi) dans la version enregistrée par Jordi Savall chez Alia Vox en 2002. Le ténor suisse (d’origine chilienne) s’en tire plus qu’avec les honneurs, délivrant notamment un très attendu et très poignant « Gelido in ogni rena » à la scène 5 de l’acte II. Son aisance vocale est évidente, celle‑ci se manifestant notamment dans des récitatifs extrêmement soignés, ce qui n’est pas toujours le cas dans les opéras baroques.
 A. Charvet (© Marco Borggreve)
Mais voilà, bien que ce soit le rôle‑titre, Farnace doit ce soir céder face à sa rivale Berenice, chantée par Adèle Charvet. On a déjà écrit combien nous admirions les talents de cette jeune chanteuse mais là, quelle prestation ! Car, au‑delà du seul chant (si l’air « Da quel ferro che ha svenato » à la scène 12 du premier acte a un rien pâti d’un orchestre insuffisamment nerveux, quel élan, quelle cruauté dans l’air « Lascero d’esser spietata » à la fin de la scène 13 de l’acte II !), Adèle Charvet incarne un personnage mû par une vengeance, un désir de mort, un goût du sang presque qui surpasse tout le reste du plateau. Même si la mise en espace ne permet pas grand‑chose, elle en use autant que possible avec beaucoup de justesse : à notre sens, elle fut la grande triomphatrice de cette soirée.
A ce titre, il faut dire que l’ensemble de l’équipe féminine aura été d’un grand niveau. Dans le rôle de Tamiri, Deniz Uzun fut également excellente, partagée qu’elle est entre sa volonté de donner des gages à son époux (qui lui demande de se suicider et d’assurer son honneur) et son souhait de sauver son fils (l’air magnifique « Arsa da rai cocenti » à la scène 9 de l’acte II) ; évidemment, on l’attendait dans le grand air « Forse, o caro,in questi accenti » à l’acte III et force est de reconnaître que Deniz Uzun y a été impériale. Dans le rôle de Selinda, la jeune Séraphine Cotrez révèle de vrais talents de comédienne (jouant sur la double séduction d’Aquilio et de Gilade) que son chant ne couronne pas tout à fait. Si l’air « Al rezzeggiar » est bien réalisé, on est déçu par le très beau « Lascia di sospirar » (première scène de l’acte II) où la chanteuse aurait pu être plus mutine, joueuse, d’autant qu’elle en a les moyens : ne doutons pas qu’avec davantage de maturité, elle incarnera avec un plus grand aplomb les différents rôles qui lui seront dévolus à l’avenir.
Autre révélation de la soirée, le contre-ténor Key’mon W. Murray, qui fut un exceptionnel Gilade, rôle généralement tenu au disque par une soprano. Le sens de l’articulation, la pureté des aigus (voire des suraigus : quelle intensité dans l’air, là aussi très attendu, « Scherza l’aura lusinghiera » à la scène 4 de l’acte III, où l’on aurait apprécié cordes moins atones !), la musicalité nous auront révélé un chanteur de tout premier ordre. Dans le rôle de Pompée, Juan Sancho manque de noblesse et accuse quelques faiblesses techniques (des aigus littéralement arrachés dans l’air « Roma invitta una clemente » à la scène 12 de l’acte II), sa voix étant généralement un peu sèche. Enfin, s’il incarne un Aquilio de bonne tenue, Alvaro Zambrano devrait sans doute éviter les vocalises concluant certaines phrases où il souhaite visiblement nous faire passer de l’opéra baroque au bel canto du XIXe siècle : les fioritures pourquoi pas mais la sobriété est souvent bonne conseillère.
Un mot enfin sur la mise en espace, gérée par Mathilde Etienne. Si la scène du Théâtre des Champs‑Elysées n’est certes pas d’une folle immensité, force est de constater que les chanteurs n’auront guère été incités à véritablement incarner leurs personnages. Les poses sont souvent minimales et convenues alors que tant de choses pouvaient se faire comme dans cet échange qui aurait pu être poignant scéniquement parlant dans le récitatif de la scène 6 de l’acte II entre Tamiri et Bérénice. Seules, encore une fois, Adèle Charvet et également Deniz Uzun auront su prendre certaines initiatives qui auront contribué à faire de ce Farnace une belle soirée à défaut de la rendre véritablement inoubliable.
Le site d’Emiliano Gonzalez Toro et de l’ensemble I Gemelli
Le site de Deniz Uzun
Le site d’Adèle Charvet
Le site de Juan Sancho
Le site de Séraphine Cotrez
Le site d’Alvaro Zambrano
Sébastien Gauthier
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