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Un premier Daphnis royal Saint-Jean-de-Luz Eglise Saint-Jean-Baptiste 09/05/2025 - Maurice Ravel : Sites auriculaires (orchestration Kenneth Hesketh) – Ma mère l’Oye (Suite) – Daphnis et Chloé Orfeón Donostiarra, José Antonio Saínz Alfaro (chef de chœur), Orchestre national du Capitole de Toulouse, Tarmo Peltokoski (direction)

Le Festival Ravel, désormais sous la seule direction du pianiste français Bertrand Chamayou, est un rendez-vous important des festivals de fin d’été. Il était particulièrement dense pour les cent cinquante ans de la naissance de l’enfant du pays, né à Ciboure le 7 mars 1875. Se déroulant du 19 août au 7 septembre, il est riche de nombreuses et variées propositions incluant des concerts de musique de chambre, des masters classes, des récitals de piano, mais aussi une académie, des conférences, une exposition « Ravel Boléro » en partenariat avec la Philharmonie de Paris, mais aussi des concerts symphoniques. Ainsi, place en ce 5 septembre en quasi‑concert de clôture, dans une église Saint‑Jean‑Baptiste pleine à craquer, à l’Orchestre national du Capitole de Toulouse et à son jeune directeur musical, Tarmo Peltokoski.
On ne sera pas étonné que ce concert fut tout entier dédié à la musique de Maurice Ravel. Les Sites auriculaires, orchestration par l’Anglais Kenneth Hesketh (né en 1968) d’une œuvre de jeunesse (1895) pour deux pianos, baignent dans une très belle atmosphère constamment ravélienne. Heskesth ne fait pas partie de ces compositeurs qui dénaturent l’œuvre qu’ils réorchestrent, ce qui arrive trop souvent au point parfois de dénaturer la musique originale. Tout ici est typiquement ravélien, lumineux, subtil, notamment le jeu de cloches de la seconde partie qui intensifie le propos ravélien sans le dénaturer. Une très belle première partie qui montre d’emblée un Orchestre national du Capitole de Toulouse beau, précis, concentré, réactif et heureux de jouer.
Place ensuite au ballet Ma mère l’Oye, dont les cinq parties à l’esprit si différent s’enchaînent très naturellement. Tout y est légèreté, transparence, lumière, circulation de la musique entre les pupitres pour le plus grand plaisir de l’auditeur. Les vents s’y donnent à cœur joie avec un raffinement de chaque seconde, on pense notamment au hautbois de Louis Séguin ou à la flûte irradiante de Sandrine Tilly. La « Pavane de la Belle au bois dormant », « Laideronnette, impératrice des pagodes » et « Le Jardin féerique » sont particulièrement maîtrisés. Tarmo Peltokoski dirige avec l’élégance qu’on lui connaît, passion et précision cette poétique musique comme s’il la pratiquait depuis toujours.
 (© Valentine Chauvin/Festival Ravel)
Mais le cœur de ce programme était bien le Daphnis et Chloé, abordé pour la première fois par le chef et naturellement donné dans sa version avec chœur qui a toujours eu la préférence du compositeur. Dès le roulement de timbales initial (excellent Jean‑Sébastien Borsarello), le crescendo ascendant des cordes suivi de l’entrée dans un superbe pianissimo des cuivres puis la première entrée du chœur, nuancée, équilibrée et connectée à l’orchestre, on sent que quelque chose va se passer. Les différents tableaux s’enchaînent sans baisse de tension, sollicitant successivement les merveilleux solistes de l’orchestre : Hugo Blacher à la trompette, Estelle Richard au basson, Floriane Tardy à la clarinette et la toujours émouvante Gabrielle Zaneboni au cor anglais. L’interlude avec ses suaves contrebasses, la Danse guerrière durant laquelle Peltokoski déchaîne l’orchestre, tout est réalisé avec goût, raffinement et nuances. Le « Lever du jour » permet à Sandrine Tilly de montrer l’étendue de son talent et sa grand musicalité (le chef viendra d’ailleurs l’embrasser chaleureusement à l’issue du concert). Place ensuite à la « Pantomime » et à la « Danse générale », durant lesquelles Peltokoski demande plus, encore plus et toujours plus (et avec succès) à ses musiciens – on pense notamment à un climax des timbales suivi d’une montée-descente des trompettes qui précède la dernière entrée du chœur. Frissons garantis.
Orfeón Donostiarra, le légendaire chœur basque espagnol venu en voisin depuis Saint Sébastien, est ce soir fidèle à sa réputation d’excellence. Les soixante‑quinze chanteurs présents ce soir (qui restent debout sans interruption pendant plus d’une heure !) se couvrent de gloire. Sans doute dans la partie centrale du redoutable et redouté passage a cappella, un déséquilibre inter‑pupitres en faveur des voix aiguës a‑t‑il pu créer une très brève impression d’instabilité. Pour le reste de la prestation, l’intonation, la beauté sonore des tutti, la polyphonie et l’équilibre (tellement délicat) qui leur permettent de « passer » l’orchestre étaient au rendez‑vous. Quant à leur justesse rythmique (on sait comme il est fréquent de traîner dans cette œuvre) et au redoutable final à 5/4, il était ce soir parfaitement en place, il est vrai avec l’aide de la battue à la clarté biblique et de la main gauche tout aussi précise de Tarmo Peltokoski.
L’accueil du public fut triomphal après un accord final tellurique et saisissant au crescendo semblant sans fin. Un final à l’image de la direction passionnée et passionnante de Tarmo Peltokoski décidément un très grand chef. Quant à l’Orchestre national du Capitole de Toulouse, il s’est lui aussi montré fidèle à sa réputation d’excellence, jouant sans aucun doute dans la cour des grands ensembles européens. Voilà ce que l’on peut donc appeler un mariage réussi. Ce Daphnis et Chloé interprété magistralement dans une église où fut célébré le mariage de Louis XIV le 9 juin 1660 fut donc en quelque sorte royal. Longue vie au mariage d’amour entre Tarmo Peltokoski et l’Orchestre national du Capitole de Toulouse et espérons d’autres rendez‑vous à ce niveau dans cet attachant festival.
Vive Ravel, vive le Festival Ravel et merci à son brillant directeur Bertrand Chamayou d’y programmer de tels artistes et de telles œuvres.
Le site du Festival Ravel
Gilles Lesur
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