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Pour Kantorow d’abord Paris Philharmonie 06/24/2025 - et 25 (Wien), 26 (Hamburg) juin 2025 Maurice Ravel : La Valse
Barbara Assiginaak : Eko‑Bmijwang
Camille Saint-Saëns : Concerto pour piano n° 2, opus 22
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Symphonie n° 6 « Pathétique », opus 74 Alexandre Kantorow (piano)
Orchestre Métropolitain, Yannick Nézet‑Séguin (direction)
 A. Kantorow (© Sasha Gusov)
Après l’Orchestre de Rotterdam, celui de Montréal, que Yannick Nézet‑Séguin promène aussi en tournée. A la Philharmonie, il commence La Valse de Ravel, qui en général clôt les programmes. Ses musiciens ne s’étant pas chauffés, la sécheresse analytique de la direction frappe d’autant plus. On n’ira pas à Vienne, on n’attendra pas ici le trois‑temps sensuellement chaloupé, notamment dans le « Un peu plus modéré » central. L’effondrement final se pressent dès le début, très sombre de couleurs, le chef canadien privilégie la tension plutôt que la souplesse, avec des accès de violence, faisant de la fin un véritable cauchemar. Mais il oublie trop que toute l’œuvre est bâtie sur une progression – le crescendo final, du coup, produit moins d’effet.
Eko-Bmijwang (« Aussi longtemps que la rivière coule ») de Barbara Assiginaak fait un peu penser à Inlandsis de Camille Pépin entendu naguère à Radio France : une partition bien troussée, gentiment illustrative, qui n’apporte rien et rendait impatient du Deuxième Concerto de Saint‑Saëns, depuis toujours cheval de bataille d’Alexandre Kantorow. La virtuosité du jeu, la profondeur du toucher, l’éventail des couleurs, tout épate. Là où Jean‑Yves Thibaudet allait à sauts et à gambades dans un Cinquième Concerto qu’il semblait improviser, lui tient plutôt du bâtisseur érigeant un monument, sculptant la matière, notamment pour le l’Andante sostenuto initial, où l’on pense beaucoup à Bach. Cela ne l’empêche pas de jouer l’Allegretto scherzando sur les pointes, avec des légèretés d’elfe, avant de déchaîner dans un tumultueux, quasi épique Presto des forces qu’on croirait irrépressibles mais qu’il domine superbement. Et les musiciens sont à l’unisson, magnifiques, moins accompagnateurs que partenaires, comme si le chef était inspiré par le soliste – plus que Mikko Franck par Thibaudet. En bis, un fascinant « Pas de deux » de Casse‑Noisette transcrit pour le clavier par Mikhaïl Pletnev, où l’on jurerait entendre un orchestre.
L’Adagio. Allegro non troppo de la Symphonie pathétique joue de nouveau sur les contrastes, restituant la cyclothymie du compositeur en proie à la hantise de la mort, avec un Allegro vivo qu’il transforme en un véritable inferno, où la souffrance le dispute à l’effroi. Il ne renonce pas pour autant à la rigueur analytique qu’il appliquait à Ravel, soucieux de clarté dans la densité. Après ce début saisissant, la valse convainc moins, parce qu’elle a tendance à s’enliser, que la densité, pour le coup, devient excès de poids et que la sonorité de l’orchestre perd toute séduction. Le rutilant Allegro molto vivace, où, poussés dans leurs retranchements, les musiciens trahissent leurs limites, à commencer par les cordes, ne brille pas non plus particulièrement. Le Finale renoue heureusement avec les tensions extrêmes du début, jusqu’à l’extinction douloureuse de la sonorité quand vient la coda de l’Andante giusto.
Le bis attendu et réclamé ne viendra pas... mais chef et musiciens, en cette nuit de la Saint‑Jean, jour de leur fête nationale, agitent des drapeaux québécois, jouent et font chanter au public Gens du pays de Gilles Vigneault. En ces temps si sombres, tout un symbole.
Didier van Moere
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