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Fin de saison très réussie et triomphe de Nadine Sierra Madrid Teatro Real 06/24/2025 - & 25, 27*, 28, 29 juin, 1er, 2, 4, 5, 8, 10, 14, 16, 17, 19, 20, 21, 23 juillet 2025 Giuseppe Verdi : La traviata Nadine Sierra*/Adela Zaharia (Violetta Valéry), Karina Demirova (Flora Bervoix), Gemma Cola‑Alabert (Annina), Xabier Anduaga*/Iván Ayón Rivas/Juan Diego Flórez (Alfredo Germont), Luca Salsi*/Artur Rucinski/Gëzim Myshketa (Giorgio Germont), Albert Casals (Gastone), Tomeo Bibloni (Barone Douphol), David Lagares (Marchese d’Obigny), Giacomo Prestia (Dottor Grenvil), Joan Lainez (Giuseppe), Ihor Volevodin (Un gentilhomme), Athol Farmer (Un invité), Javier González*/Inigo Martín (Commissionario), Koba Sardalashvili*/Harol Torres (Domestico)
Coro Titular del Teatro Real (Coro Intermezzo), José Luis Basso (chef de chœur), Orquesta Titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Henrik Nánási*/Francesc Prat (direction musicale)
Willy Decker (mise en scène), Wolfgang Gussmann (décors, costumes), Susana Mendoza (costumes), Hans Toelstede (lumières), Athol John Farmer (chorégraphie)
 N. Sierra (© Javier del Real/Teatro Real)
La mise en scène de Willy Decker pour La Traviata n’a pas vieilli. Il est bien connu que si l’on filme un opéra et que l’on le revoit quelques années plus tard, c’est toujours la mise en scène qui a vieilli. Mais La Traviata de Decker est reprise souvent (Amsterdam, New York...), depuis vingt ans, comme si elle venait de naître. Comme chacun sait, la production de Decker remonte au Festival de Salzbourg 2005, avec Anna Netrebko et Rolando Villazón. Nous ne décrirons pas ici quelque chose de trop connu : le voyage de Violetta vers la mort, la présence de la mort, qui se révèle finalement être un médecin, l’horloge qui non seulement marque le temps, mais aussi le lit de la douleur, l’humiliation de la honte, le chœur des voix mixtes, mais des costumes tout à fait masculins, l’hypocrisie guère feinte de Germont... Cependant, le choix de Decker fait disparaître les personnages entourant Violetta dans l’anonymat du groupe formé par le chœur et les acteurs (costumes identiques, masques...) ; ainsi, Flora disparaît, et avec elle l’ami, le rival, l’invité...
La plus grande contribution de ce spectacle au Teatro Real réside dans l’impressionnante prestation et la beauté du chant de Nadine Sierra. Elle avait stupéfié le Teatro Real il y a trois ans en offrant une interprétation impeccable d’Amina, dans La Somnambule. Son interprétation de Violetta Valéry déborde d’un chant raffiné et dramatique, atteignant des extrêmes artistiques dans les filati, dans les descentes occasionnelles vers les notes graves ; de ce mini‑opéra qui conclut le premier acte (« E stranno! »), un monologue qui résume tout un processus psychologique et exige une vaste gamme de techniques et un long voyage à travers deux registres, jusqu’à ce monologue final, « Addio del passato », un adieu à la vie bien différent de celui que composerait Puccini, un défi aux nuances, à l’expression d’un monde intérieur où le désespoir s’est évanoui et où s’est installée l’avant‑dernière étape du deuil, exigeant une maîtrise des gammes dynamiques les plus basses, des diminuendi, de l’amincissement de la ligne. Du toast, qui est essentiellement une première cérémonie de séduction, jusqu’à cette réplique finale et fatale, « Rinasco », Nadine Sierra a parfaitement capturé la construction d’un personnage qui exige un lyrisme large et un drame toujours nuancé, mais rarement explicite. En conséquence, son triomphe a été incontestable et enthousiaste. Une belcantiste frôlant le réalisme (pas le vérisme). C’est beau de voir un artiste vivre le grand moment de sa vie... un moment qui peut durer longtemps, et on espère que ce sera le cas.
Xabier Anduaga, quant à lui, est très jeune et ses meilleurs moments sont encore devant lui, même si ces soirées au Teatro Real pourraient marquer l’apogée de sa belle voix et de son talent de comédien. La transformation de son Alfredo en un personnage trop indécis et sans caractère n’a pas beaucoup aidé. C’est la nature même de la direction d’acteurs, hélas. Mais sa voix est étendue, expansive, d’une grande chaleur et d’une grande beauté. Il semble qu’Anduaga soit sur le point de passer d’un ténor léger à un ténor pleinement lyrique. Son Alfredo Germont a démontré qu’il était déjà un ténor lyrique, et son côté bel canto ne le gêne absolument pas. L’exaltation du toast, ou celle du duo du premier acte, voire la confrontation honteuse par laquelle s’achève le deuxième acte (qui donne lieu à l’une des plus belles inspirations musicales de Verdi), témoignent d’une voix de ténor ouverte, expansive, mais parfaitement modérée dans les moments les plus lyriques, comme le duo final, « Parigi, o cara », non seulement lyrique mais aussi chargé d’ironie tragique.
Luca Salsi campe un Giorgio Germont qui ne cherche pas à tromper le public, mais seulement Violetta, en attirant Alfredo tout de suite. Son hypocrisie se dissimule derrière une paternité fictive que, sans exagération, laisse deviner les intentions du personnage. Du moins, c’est ce qu’il m’a semblé, compte tenu de l’absence de tendresse excessive, même dans « Piange », et de la retenue paternelle et de l’affection envers son fils dans « Di Provenza »... Salsi campe un Germont équilibré, doté d’une belle voix de baryton lyrique et d’un legato frisant la perfection. Une voix qui ne laisse transparaître aucune trace d’âge, pas plus que la présence même de Salsi. Germont, en tout cas, est un personnage dont l’hypocrisie est blanchie dans la scène finale de l’acte II, lorsqu’il défend Violetta : ce n’est pas trop tôt, mon vieux.
Formidable, comme d’habitude, le Chœur du Teatro Real ; cette fois‑ci bien fusionné avec des acteurs, dans la mesure où le groupe (la multitude ?) intervient très souvent dans l’action, une excellente idée qui fonctionne très bien d’un point de vue dramatique, théâtral, bien qu’au détriment de la présence des solistes secondaires. Henrik Nánási excelle dans son double rôle : sa collaboration avec les chanteurs solistes, et même avec le chœur et les acteurs ; et sa définition des différentes ambiances dramatiques. Bien entendu, Nánási dispose d’un orchestre très en forme.
En bref, la clôture de la saison au Teatro Real a été à la hauteur de son excellence habituelle et le succès (Nadine Sierra, surtout) a été, encore une fois, sans conteste.
Santiago Martín Bermúdez
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