About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Indigeste triptyque

Paris
Cité de la musique
06/26/2025 -  
Rebecca Saunders : Sinjo/Blaauw
Lara Morciano : Nel cielo appena arato
Hèctor Parra : L’Etoile matinale (création) – Triptyque bleu (création)
Morton Feldman : De Kooning

Clément Saunier, Lucas Lipari-Mayer (trompette), Pierre Carré (électronique Ircam), Clément Marie (diffusion sonore Ircam)
Ensemble intercontemporain, Pierre Bleuse (direction)


P. Bleuse (© Sandrine Expilly)


Avant-dernier du Festival Manifeste * et dernier de la saison de la Philharmonie de Paris, ce concert intitulé « Bleu » met la trompette à l’honneur. Comme à son habitude, Rebecca Saunders (née en 1967) rédige une note de programme qui nous fait moins pénétrer dans l’atelier du créateur qu’elle ne s’éparpille en divagations littéraires (citations de Goethe, Kandinsky et Derek Jarman) à partir du titre Blaauw/Sinjo (2004‑2022). « Bleu » est la traduction française du bulgare « sinjo » et du néerlandais « blaauw ». Seul en scène, Lucas Lipari‑Mayer fait sonner son instrument dans la caisse de résonance d’un piano dont on présume la pédale forte bloquée, même si l’acoustique de la salle ne donne pas à percevoir avec l’acuité requise le halo des cordes résonant par sympathie. On en est quitte pour une séquence frustrante constituée de glissades montantes et descendantes, de phénomènes en soufflets (crescendo-decrescendo), d’intervalles centrés sur les demi‑tons.


Nel cielo appena arato pour grand ensemble use d’un matériau harmonique fondé sur les résultats de l’analyse spectrale d’un gong balinais. Pas d’électronique, mais l’ordinateur a opéré en amont tout un processus de distorsion, filtrage et modulation des fréquences. Dans cette œuvre créée par l’Ensemble intercontemporain sous la direction de Jean Deroyer en 2009 au Centre Pompidou, Lara Morciano (née en 1968) testait le principe de la musique assistée par ordinateur (MAO) en même temps qu’elle déployait un univers instrumental survitaminé, avec une écriture solistique virtuose quoique toujours intégrée à l’ensemble, énergiquement dirigé par Pierre Bleuse.


Contraste total en début de seconde partie avec De Kooning (1963), bien dans la manière de Morton Feldman (1926‑1987) en ce que la pièce, aux nuances infimes, élude toute dramatisation du discours en profit d’un hiératisme épuré. Elle donne à entendre un quintette inédit (cor, piano/célesta, violon, violoncelle, percussions) qui appelait davantage de décantation de la part des musiciens, certes parasités par les bruits intempestifs des retardataires.


Auprès d’un langage aussi diététique, celui du Triptyque bleu proposé en création mondiale paraît des plus foisonnants, sinon des plus caloriques. Le « bleu » en question, c’est celui « méditerranéen et inquiétant » (Parra dixit) de Joan Miró, auquel Hèctor Parra (né en 1976) associe le « son métallique de la trompette ». Ces lignes aux courbes élégantes, ces visages aux cinq yeux qui flottent avec grâce dans l’espace suggèrent une musique aérienne ; mais ce n’est pas ainsi que le ressent le compositeur, lequel, en s’approchant de la toile, voit sourde d’infinies nervures et accidents tandis que la monstruosité des corps traduit l’intérêt du peintre pour « la tératologie ». En dépit de l’incorporation accomplie de la partie électronique à l’écriture, qui écarte toute spatialisation démonstrative au profit des relais serrés entre instruments et sons injectés dans les haut‑parleurs, et de la plasticité confondante de la trompette de Clément Saulnier, la pièce nous a laissés sur le bord du chemin : insuffisamment contrastée dans son expression, elle se complait dans les dynamiques extrêmes, saturant l’acoustique sèche de la Cité de la musique de sonorités âpres, congestionnées et, pour tout dire, brouillonnes... que l’imaginaire de Parra est bien le seul à associer à l’art de son compatriote. Faut‑il incriminer Pierre Bleuse, qui, à l’instar d’une partie des musiciens, s’est mis aux couleurs de la soirée en troquant le noir de rigueur pour un haut bleu ? Ou l’équipe technique placée sous la férule du compositeur ? A chacun sa responsabilité, mais le catalogue (dense) du Catalan abonde en partitions où la quête d’un univers sonore inédit le cède par trop à l’expérimental (citons l’éprouvant voyage cosmique ...limite les rêves au‑delà, pour violoncelle et électronique).


On y compte aussi de belles réussites, comme l’ambitieux opéra Les Bienveillantes (2019), ou le chambriste L’Etoile matinale (2020), pour hautbois, trompette, piano et contrebasse, joué ici par les interprètes de la création. Le titre renvoie à la Constellation VI de Miró, mélomane averti et, rappelons‑le, auditeur occasionnel des concerts du Domaine musical dont les peintures furent choisies pour illustrer des pochettes de disque. De fascinants jeux de timbres – trompette (généralement bouchée)/hautbois – surnagent à la surface d’une matière volubile que façonnent le piano mercuriel de Sébastien Vichard et la contrebasse bruissante de Nicolas Crosse. A la différence de l’indigeste Triptyque bleu, les sons semblent émerger avec le même naturel que jaillissent les couleurs de la toile.


* Nous apprenons en écrivant ces lignes que le concert de clôture, qui devait avoir lieu vendredi 27 juin à Radio France, est annulé en raison d’un mouvement de grève.



Jérémie Bigorie

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com