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Verdi en grande forme à l'Opéra de Rouen

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Théâtre des Arts de Rouen
05/24/2002 -   et les 21, 26 et 28 mai 2002.
Giuseppe Verdi : La Force du Destin

Ann-Marie Backlund (Donna Leonora), Sergei Naida (Don Alvaro), Louis Otey (Don Carlos), Louise Winter (Preziosilla), Daniele Tonini (Père Gardien), Chris de Moor (Marquis de Calatrava), Yanni Yannissis (Frère Mélitone), Djamila Babayeva (Curra, la camériste), Donald Byrne (Maître Trabuco), Vincent Billier (L'alcade), François Lis (Le chirurgien)
Choeur de la Radio de Prague, Orchestre Leonard de Vinci, Oswald Sallaberger (direction)


Voilà qui est fait, l’Opéra de Rouen / Léonard de Vinci, à qui certains reprochaient de délaisser le grand répertoire aux origines de l’opéra rouennais, est entré par la grande porte dans l’univers de la difficile partition de la Force du Destin de Giuseppe Verdi. En Normandie, les anti et les pro-projet « Leonard de Vinci » attendent toujours de lui beaucoup de démonstrations d’excellence, bien qu’il donne déjà une très honnête saison d’une qualité parfois bien supérieure à d’autres maisons lyriques françaises. Cet opéra tente depuis quelques jours de frotter son orchestre à l’exigeant répertoire du XIXe siècle dans une première nouvelle production verdienne. Pour l’entière équipe artistique et son directeur général Laurent Langlois en particulier, c’est un grand rendez-vous risqué mais espéré avec le sacro-saint répertoire puis également avec un public somme toute assez conservateur et difficile à contenter.


En préambule à la représentation du vendredi 24 mai, devant les acteurs nationaux et normands du Mécénat Musical de la Société Générale (soutenant depuis quatre ans l’opéra sur un système de partenariat de places de concerts, finançant le passe-étudiant « spectacles illimités » à 7 euros, soutenant aussi les soirées de musique et création contemporaines), étaient exposées les acquisitions de l’Orchestre Leonard de Vinci rendues possibles grâce au mécénat. On pouvait contempler cymbales, battes, accessoires pour percussions et notamment une grosse caisse Kolberg sur stand, montée en peaux d’animal puis des écrans par-sons en plexiglas, d’ailleurs aussitôt utilisés dans la fosse pour ce premier Verdi.


Si Verdi ne s’est pas retrouvé d’emblée à l’affiche de la première saison du nouvel opéra, c’est uniquement parce qu’il fallait laisser, à l’Orchestre Leonard de Vinci, le temps d’arriver au niveau exigé par son directeur musical Oswald Sallaberger. Il fallait « que l’orchestre apprenne à lire une partition, à trouver un style, son style ». Ainsi La Traviata, prévue la saison de réouverture, fut annulée. Pour réussir la nouvelle production, le dispositif mis en œuvre associe à peu près cent cinquante musiciens investis, six semaines d’intenses répétitions, un metteur en scène de théâtre faisant travailler la diction parlée du texte (à des chanteurs de treize nationalités différentes) et une communication efficace entre tous les corps de métier en faction.


Au premier acte, dans la mise en espace du salon de la maison paternelle, étroit et confiné, on voit déjà le poids du carcan familial entrer en opposition frontale avec l’étendue du monde bigarré, spectacle des trois actes suivants. Bien que La Force du Destin soit une véritable tragédie du devoir filial, de l’honneur bafoué, de la vengeance dévastatrice sous le regard du peuple, c’est une oeuvre profondément politique dans laquelle il est perpétuellement question de se battre contre l’autrichien ou d’éprouver le dévouement des gens d’Eglise. Aussi, l’élan de mort et l’élan de vie coexistent à travers une musique empressée de dire la souffrance et la joie, d’exprimer le tourment et la plaisanterie. Alors l’opéra de Verdi requiert des voix souples, capables d’être à la fois pesantes et véloces, profondes et allègres.




Ann-Marie Backlund, alias Leonora, domine nettement le plateau (pourtant constitué de remarquables chanteurs verdiens) par ses capacités expressives notamment dans les monologues : celui du doute devant le couvent et le dernier, paisible avant la mort, dans l’ermitage. L’anecdotique Preziosilla, incarnée par l’impressionnante mezzo-soprano anglaise Louise Winter, de sa voix populaire, railleuse, avec son humour grinçant (le célèbre Rataplan) et son éternel « on ne me la fait pas » est, avec le chœur et Frère Mélitone, la garante de l’esprit « comédie Second Empire » du drame qui se joue. Le chœur de la Radio de Prague, évidemment très souvent en scène, imposant par sa cinquantaine de voix slaves assez lourdes mais bien douées pour les passages « sotto voce », n’a été victime que d’un léger caprice du metteur en scène : un des ses membres a dû, sans raison dramatique, chausser une paire de rollers. Daniele Tonini, en Père Gardien, a tout le statisme et la profondeur de timbre rêvés pour ce rôle placide et sage. Le grec Yanni Yannissis, dans les habits du clownesque et grincheux Frère Mélitone, n’a rien à envier aux belles prises de rôle de Sergei Naida (Don Alvaro), vrai ténor verdien comme il y en a peu et de Louis Otey, bien possédé par son rôle inquiétant de chasseur fratricide. Pour que la ligne vocale reste la préoccupation de l’auditeur, pour que le texte semble cohérent, Oswald Sallaberger a choisi de rechercher méticuleusement l’originalité de chaque timbre, la matière sonore la mieux appropriée pour chaque nuance dès l’ouverture, dont la fougue n’a pas été synonyme d’impuretés mais au contraire de luminosité préfigurant le finale aux sonorités célestes. Le metteur en scène Lukas Hemleb, déjà venu proposer ses services, à l’Opéra de Rouen, pour Le Gars d’Helena Katz-Chernin et qui reviendra la saison prochaine, était aussi en charge des lumières, fort bien dosées. La scénographie (signée Jean-Pierre Guillard) et la mise en scène étaient très sobres sans être minimalistes. Toutefois, le long soliloque de Don Carlos, avant la découverte du portrait de sa sœur dans le précieux colis de l’amoureux Alvaro, manquait de direction d’acteurs. On a, en revanche, beaucoup aimé la figuration du monastère aux murs ivoirins, perforé en son milieu en forme de croix et surtout la déstructuration du décor au fil des actes, sa quasi-absence avant le duel et les instants où, seuls les murs du monastère placés sur des roulettes, devenus îlots parcellaires, flottaient sur la scène entre chœur et solistes.



Le fabuleux destin de l’Opéra de Rouen / Leonard de Vinci pourrait bien se poursuivre si le répertoire de la grande tradition romantique fait son entrée dans des interprétations si remarquables, si le public rouennais continue à être séduit par les musiques d’aujourd’hui, la grande symphonie et les productions modernes, comme il le fut, en particulier, ces deux dernières saisons.




Pauline Guilmot

 

 

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