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Une nouvelle (ré)vision de Don Juan

Madrid
Teatro Real
05/13/2024 -  et 15, 17, 19 mai 2024
Tomás Marco : Tenorio
Juan Antonio Sanabria (La Narración), Joan Martín‑Royo (Don Juan Tenorio), Adriana González (Dona Inés de Ulloa), Juan Francisco Gatell (Don Luis Mejía), Lucía Caihuela (Dona Ana de Pantoja), Sandra Ferrández (Lucía).
Chanteurs du programme Crescendo de la Fundación Amigos del Teatro Real, Santiago Serrate, Rubén Sánchez-Vieco (chefs de chœur), Orquesta Titular del Teatro Real, Santiago Serrate (direction musicale)
Alex Serrano, Paul Palacios (Agrupación Senor Serrano) (mise en scène), CUBE.BBZ (décors, lumières), Joan Ros Garrofé, Atena Pou Clavell (costumes), Xavier Gibert (vidéo)


A. González, J. Martín‑Royo (© Javier del Real/Teatro Real)


La pièce Don Juan Tenorio (1844) de José Zorrilla (1817‑1893) a été représentée constamment pendant un siècle et demi dans les théâtres espagnols, spécialement pour la Toussaint. C’est un faux classique, mais une pièce pleine d’action, défis, aventures, une des variations sur le sujet, la figure de Don Juan, dont les origines se trouvent dans une pièce attribuée à Tirso de Molina, quoiqu’il semble aujourd’hui assez clair que l’auteur originaire d’un Don Juan Tenorio a été Andrés de Claramonte. Passons : la descendance a été si nombreuse, si riche, si différente, que les origines peuvent être mythiques, légendaires, qy’importe. Mais le Tenorio de Zorrilla est si populaire que le compositeur Tomás Marco l’a pris comme base de son opéra. De fait, notre Tenorio (Zorrilla) est aussi populaire en Espagne que le Cyrano (Rostand) en France.


Mais le Tenorio de Zorrilla n’est ici que le canevas d’un livret où se joignent d’autres sources : l’original de Tirso ou de Claramonte, Molière (bien sûr), Antonio Zamora, Da Ponte (inévitable), Byron. Mais aussi deux poèmes du baroque espagnol d’une beauté insurpassable, de la Mexicaine Sœur Juana Inés de la Cruz et de Francisco de Quevedo. Marco insiste : « il ne s’agit pas de mettre en musique le texte de Zorrilla tel qu’il est, mais de l’utiliser comme armature théâtrale pour d’autres choses ». En même temps, un personnage raconte et s’autorise des pensées sur le « mythe » (Juan Antonio Sanabria, belle voix). L’action, sans interruption, souffre un peu dans une séquence de chant parfois monotone, mais avec une prosodie très réussie dans les ariosos de Don Juan, Don Luis et Dona Inés ; or la prosodie est le grand problème des compositeurs d’opéra en espagnol aujourd’hui, malgré la tradition de la zarzuela. On ne peut pas faire des zarzuelas à l’ancienne, bien sûr, mais elles servent, tout comme la mélodie, la mélodie de concert, voire le chant populaire, comme critère, comme exemple. Et ici, Marco dépasse pas mal de ses contemporains. L’action est à un niveau inférieur dans le livret et le chant de cet opéra, mais la mise en scène préfère déplacer l’action vers un studio où l’on tourne un film : vestiaire, catering, loges, caméras, un environnement hors de l’environnement réclamé par le texte. La scène a quand même un côté brillant même si l’espace est limité par les décors dissimulés, derrière, pour les représentations encore en cours des Maîtres Chanteurs de Nuremberg. Les caméras prennent, en live, des moments du « tournage », tout comme pendant les concerts pop.


L’opéra de Marco utilise surtout la première partie de la longue pièce de Zorrilla, mais la seconde (le retour de Don Juan, déjà mûr, pourrait‑on dire) traite un procédé très romantique mais pas du tout baroque : la rédemption par amour ; c’est aussi le moment de la présence redoutable du Commandeur : condamnation ou salut. La première de cet opéra en version de concert à L’Escorial a été enregistrée, également sous la direction de Santiago Serrate (deux disques Cézanne). Il y a un important quatuor de voix (soprano, mezzo, ténor, basse), que Marco dénomme « madrigal », devenu un chœur remarquable de douze voix pour la représentation, et distribué d’une façon plus souple. Ce chœur incarne des personnages, hormis les trois protagonistes et les deux autres femmes, comme le Commandeur ou Brígida, la célestine. C’est une façon originale de déplacer l’intérêt de l’individu vers une voix collective. Ainsi, on peut voir à l’écran disposé sur la scène un personnage dont la voix fait partie d’un groupe du « madrigal ».


Une très belle et puissante distribution, avec l’étincelant Don Luis Mejía du ténor Juan Francisco Gatell, en face du très efficace baryton Joan Martín‑Royo en Don Juan. La voix saisissante d’Adriana González en Dona Inés est belle et rend très belle la dame amoureuse, victime, aimée... et rédemptrice. Deux mezzos couronnent le trio des femmes séduites, Lucía Cahiuela, à la fois belle et comédienne accomplie, et Sandra Ferrández, une présence et une voix séductrices elles aussi.


Mais il y a également un ensemble instrumental, bien sûr. Un ensemble de chambre généreux en couleurs, une métrique variée, imaginative, un orchestre minimal sonnant parfois avec la puissance d’un plus grand ensemble ou permettant à un ou plusieurs instruments de chanter. La conception lyrico-dramatique de cet accompagnement est valorisée par un chef qui connait bien cet opéra, Santiago Serrate.


Finalement, Tenorio de Tomás Marco a été représenté dans un théâtre où il était légitime, le Real, c’est à dire avec un public devant une scène. Et le public a réagi très favorablement le jour de la première. C’est une fête pour les amoureux de l’opéra, ceux qui aiment Donizetti, par exemple, mais aussi de nouveaux titres pour le répertoire.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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