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Cendrillon ne convainc qu’à moitié Lausanne Opéra 04/14/2024 - et 17*, 19, 21 avril 2024 Jules Massenet : Cendrillon Ruzan Mantashyan (Cendrillon), Ambroisine Bré (Le Prince charmant), Doris Lamprecht (Madame de la Haltière), Nicolas Cavallier (Pandolfe), Anne Sophie Petit (La Fée), Aurélie Brémond (Noémie), Julia Deit‑Ferrand (Dorothée), Benoît Capt (Le Roi), Aslam Safla (Le surintendant des plaisirs), Aurélien Reymond-Moret (Le doyen de la faculté), Mohamed Haidar (Le premier ministre)
Chœur de l’Opéra de Lausanne, Pascal Adoumbou (préparation), Orchestre de Chambre de Lausanne, Corinna Niemeyer (direction musicale)
David Hermann (mise en scène), Jean-Philippe Guilois, Mike Winter (assistants à la mise en scène), Paul Zoller (décors, vidéos), Axel Aust (costumes), Fabrice Kebour (lumières)
(© Jean-Guy Python)
Après la délicieuse Cendrillon de Pauline Viardot en novembre dernier, l’Opéra de Lausanne présente la version du conte de Perrault mise en musique par Massenet, dans une production de l’Opéra national de Lorraine, étrennée en décembre 2019. La particularité de ces représentations lausannoises est que le plateau vocal est jeune et issu pour moitié de la Haute Ecole de Musique de la ville. La moyenne d’âge est en effet de 30 ans, ce qui est inhabituel à l’opéra. Quoi qu’il en soit, c’est une fantastique opportunité pour les chanteurs de la nouvelle génération. Il convient de saluer le travail d’Eric Vigié, directeur de l’Opéra de Lausanne, qui n’aura eu de cesse, pendant les vingt ans qu’il aura passés ici, de nouer des collaborations avec les institutions de la région chargées de la formation de la relève, permettant ainsi à de jeunes solistes diplômés de faire leurs premiers pas sur scène en tant que professionnels.
Pour cette Cendrillon, les premières notes qui s’échappent de la fosse laissent d’abord perplexe. A la tête de l’Orchestre de Chambre de Lausanne, Corinna Niemeyer attaque l’Introduction à la hussarde, de façon carrée et extrêmement solennelle, passant ainsi à côté des finesses de la partition. Certes, sa direction est précise et alerte, mais on peine à reconnaître Massenet. Il faudra attendre le premier duo entre Cendrillon et le Prince charmant (« Toi qui m’es apparue ») pour que la jeune cheffe soit moins avare en nuances, en détails, en couleurs et en raffinement.
Vocalement, les choses ne sont guère différentes : les premières interventions des solistes laissent dubitatif. Nicolas Cavallier, qui campe Pandolfe, le père de Cendrillon, chante très fort, trop fort, un paradoxe dans une salle aussi intimiste que celle de l’Opéra de Lausanne, avec de surcroît des problèmes d’intonation ; scéniquement cependant, son personnage est particulièrement expressif et touchant dans ses remords, bien conscient d’avoir sacrifié sa fille pour servir ses ambitions. Comme à Nancy, Doris Lamprecht est une marâtre (Madame de la Haltière) irascible, impayable dans son incarnation d’une despote domestique qui veut tout contrôler, mais la voix trahit de nombreuses stridences. Les arrivées successives sur scène de la Fée, de Cendrillon puis du Prince charmant viendront par la suite dissiper les doutes. Portant des vêtements qui la font ressembler à une SDF, la Fée d’Anne Sophie Petit séduit par ses splendides vocalises, éblouissantes d’aisance et de virtuosité. Adolescent gothique tout de noir vêtu, tourmenté et en proie au mal de vivre, le Prince charmant d’Ambroisine Bré déploie un chant tout en délicatesses et en nuances. La révélation de la soirée est cependant la Cendrillon blonde de Ruzan Mantashyan, à la voix ample et lumineuse et au timbre incandescent, sans parler d’une excellente diction française. On saluera aussi les deux sœurs vaniteuses et capricieuses d’Aurélie Brémond et de Julia Deit‑Ferrand ainsi que le Roi placide de Benoît Capt.
La production fait la part belle aux projections vidéo (Paul Zoller) ; les décors art déco de ce dernier alternent avec fluidité, allant d’une pièce étriquée et étouffante de l’appartement de Madame de la Haltière au salon du château royal, en passant par la lande du chêne enchanté décorée d’une immense structure de branches entrelacées. Le metteur en scène David Hermann a choisi de transposer l’action à notre époque, de façon plutôt sombre et crue, avec notamment la Fée habillée en mendiante et poussant un caddy de supermarché et un Prince charmant punk et marginal. Le contraste est d’autant plus frappant avec les derniers mots chantés en chœur par les interprètes : « On a fait de son mieux pour vous faire envoler par les beaux pays bleus ! » Une Cendrillon qui ne convainc qu’à moitié.
Claudio Poloni
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