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Deux chanteuses pour Médée

Milano
Teatro alla Scala
01/14/2024 -  et 17, 20, 23, 26*, 28 janvier 2024
Luigi Cherubini : Médée
Marina Rebeka*/Maria Pia Piscitelli/Claire de Monteil* (Médée), Stanislas de Barbeyrac (Jason), Nahuel di Pierro (Créon), Martina Bussomanno (Dircé), Ambroisine Bré (Néris), Greta Doveri (Première femme), Mara Gaudenzi (Seconde femme)
Coro del Teatro alla Scala, Alberto Malazzi (préparation), Orchestra del Teatro alla Scala, Michele Gamba (direction musicale)
Damiano Michieletto (mise en scène), Paolo Fantin (décors), Carla Teti (costumes), Alessandro Carletti (lumières), Mattia Palma (dramaturgie)


S. de Barbeyrac, M. Rebeka


Une malédiction planerait‑elle sur Médée à la Scala ? L’ouvrage n’y avait plus été représenté depuis 1962, année où Maria Callas, dans la peau de la mère infanticide, se produisit pour la dernière fois dans le célèbre théâtre, sous la direction de Thomas Schippers. En 1953, elle avait déjà endossé les habits de l’héroïne à Milan, sous la baguette cette fois de Leonard Bernstein. Deux mois avant une nouvelle production du chef‑d’œuvre de Cherubini, Sonya Yoncheva, prévue dans le rôle‑titre, annonçait son retrait ; Marina Rebeka devait prendre sa place. Souffrante, celle‑ci n’a pas été en mesure de chanter la générale et a été remplacée par une jeune artiste française, Claire de Monteil. Marina Rebeka a pu ensuite assurer les première et deuxième représentations, avant de céder sa place pour les deux suivantes. Pour la cinquième représentation de la série, c’est elle qui est sur scène au début de la soirée, mais on remarque très vite que quelque chose ne va pas : l’intonation est souvent prise en défaut, les aigus sont étriqués et, dans le duo avec Jason qui clôt le premier acte, la soprano ne parvient pas à réfréner des quintes de toux, si bien qu’elle ne peut chanter toutes les notes de la partition. Pour la seconde partie de la soirée (actes II et III), elle est remplacée par Claire de Monteil. Après un entracte de trente minutes, cette dernière arrive sur scène costumée et maquillée. Vu l’état de Marina Rebeka, on imagine que sa remplaçante était prête à prendre le relais dès le début de la représentation. Quoi qu’il en soit, Claire de Monteil fait forte impression et sera ovationnée par le public au rideau final : la voix est peut‑être sous-dimensionnée pour une salle telle que la Scala (la chanteuse est parfois couverte par l’orchestre en petite formation), mais la diction est irréprochable, sans parler d’un timbre frémissant et velouté, d’une voix saine et ronde ainsi que d’un splendide legato. Sa Médée est une femme blessée et fragile, une mère émouvante, sans excès ni pathos. Assurément, un nom à retenir.


Cette nouvelle production de Médée à la Scala se voulait bien évidemment un hommage à Maria Callas, dont on fête le centième anniversaire de la naissance. Si la Divine avait chanté à Milan la version italienne de l’ouvrage, c’est la version originale française (1797) qui a été choisie cette fois, une première à la Scala. Le gros écueil de la version française, ce sont les longs récitatifs en alexandrins (plus de 30 minutes), qui, s’ils ne sont pas déclamés par des chanteurs francophones, peuvent rendre la soirée particulièrement pénible ; et si le public lui-même n’est pas francophone, il risque très rapidement par ailleurs de perdre sa concentration, ce qui explique pourquoi ces récitatifs sont souvent coupés. Le metteur en scène Damiano Michieletto a eu l’ingénieuse idée de les remplacer par des dialogues entre les deux enfants de Médée et de Jason, qui, comme le chœur dans la tragédie antique, racontent l’histoire de leur point de vue, ici en chuchotant ; ils pressentent que quelque chose d’anormal est en train de se passer et le disent avec leurs mots d’enfants, l’effet est saisissant. Le metteur en scène nous fait donc voir Médée à travers les yeux des enfants : l’action est transposée dans un grand salon bourgeois aux couleurs pastel, dans lequel Jason et sa nouvelle épouse, Dircé, vêtue de blanc, reçoivent des invités élégamment habillés. L’arrivée de Médée, en haillons noirs, va bien évidemment changer le cours de la soirée. La chambre des enfants jouxte le salon. Les perspectives sont déformées, les personnages laissent sur les murs du salon des ombres géantes, tout est vu à l’aune des enfants. Le « Maman vous aime » que Médée a écrit sur les murs de leur chambre apparaît particulièrement poignant, comme leur mort, paisible dans leur lit, après avoir été empoisonnés. Médée mourra comme eux, d’avoir ingurgité le même breuvage. Incontestablement, une lecture forte et intelligente.


L’orchestration de Cherubini est particulièrement riche et complexe, notamment dans les Ouvertures des premier et troisième actes. Dans la fosse, Michele Gamba se montre très inspiré, offrant une lecture musicale impétueuse et dramatique, sombre et dense, transparente aussi, avec des textures allégées. Le chef sera particulièrement applaudi au rideau final. Malgré des extrêmes aigus qui le mettent parfois à mal, Stanislas de Barbeyrac incarne un Jason au chant raffiné, au style impeccable et à la diction irréprochable, faisant du personnage un anti‑héros manquant de courage et de détermination. En dépit, elle aussi, d’extrêmes aigus criés, Martina Russomanno campe une Dircé noble et élégante, à la voix lumineuse. Nahuel di Pierro ne restera pas dans les mémoires en Créon, avec un registre grave quasiment inexistant et un chant uniforme. On n’oubliera pas, en revanche, la magnifique Néris d’Ambroisine Bré, à la forte présence scénique.



Claudio Poloni

 

 

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