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En apesanteur

München
Isarphilharmonie
01/09/2024 -  
Johannes Brahms : Concerto pour violon et violoncelle en la mineur, opus 102 – Symphonie n° 3 en fa majeur, opus 90
Lisa Batiashvili (violon), Gautier Capuçon (violoncelle)
Münchner Philharmoniker, Zubin Mehta (direction)


L. Batiashvili, G. Capuçon, Z. Mehta (© Tobias Hase)


Beaucoup de Brahms symphonique à Munich, en ce mois de janvier, avec pas moins de deux cycles complets, l’un par le Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks et l’autre par les Münchner Philharmoniker. Où, ailleurs, pourrait-on oser une telle surabondance de l’offre, sans risquer de mévente ? A part à Munich, on ne voit pas, la capitale bavaroise pouvant se targuer d’une exception éminemment remarquable : un public fidèle, doté d’une véritable culture musicale, et qui a donc très largement répondu présent pour les deux cycles.


Il est vrai que les personnalités même des deux chefs annoncés sont motivantes. Herbert Blomstedt à la Radio bavaroise, pour un cycle limité aux quatre symphonies de Brahms, en deux concerts, à chaque fois dédoublés, et Zubin Mehta, à la tête des Münchner Philharmoniker pour un cycle de plus grande envergure, en quatre programmes incluant aussi les concertos (avec Lisa Batiashvili, Gautier Capuçon et Yefim Bronfman), soit huit concerts au total, la compétence intacte de ces deux grands vétérans, du haut de leur respectivement presque 88 ans pour Zubin Mehta et 96 ans pour Herbert Blomstedt, suscitant vraisemblablement, aussi, une attraction de l’ordre du succès de curiosité.


Le point faible d’Herbert Blomstedt, aujourd’hui, ce sont malheureusement ses problèmes de marche, avec des chutes dont les conséquences lui imposent parfois de s’arrêter pendant des mois. Un étonnant concert à Berlin en septembre 2023 (avec au programme des Métamorphoses de Strauss d’une beauté crépusculaire, à découvrir sur le Digital Concert Hall) laissait de l’espoir, mais, patatras, en décembre, nouvelle perte d’équilibre, imposant à nouveau soins d’urgence et repos. La Radio bavaroise disposant de très peu de temps pour trouver un remplaçant, elle a dû en fait en solliciter deux : Thomas Hengelbrock, puis Simone Young. Espérons que la qualité intrinsèque de l’orchestre suffise à donner un semblant d’unité à ce cycle, dès lors démembré.


Du côté de Zubin Mehta, en tout cas, c’est bien parti. Encore qu’à très petits pas ! Le maestro met un temps certain pour marcher depuis la porte d’accès jusqu’au tabouret qui l’attend sur le podium, mais il met un point d’honneur à effectuer le trajet sans aide, et sans canne. Aucune inquiétude cependant, car, une fois le chef prudemment juché, son entente avec les musiciens reste aussi optimale que par le passé. Des relations, il est vrai, relativement anciennes maintenant, qui remontent à plus d’un quart de siècle. Les Münchner Philharmoniker connaissent bien Mehta, qui n’a jamais été leur directeur musical, mais qui est resté assez régulièrement présent à leur tête pour des programmes ponctuels, au point de se voir décerner de leur part de rare titre de « chef honoraire ».


Sitôt le premier abaissement de baguette, tout le monde répond au quart de tour, et ensuite il est prodigieux de voir un orchestre à ce point concentré, sensible au moindre frémissement d’une gestuelle qui demeure très réduite. L’emprise est d’autant plus fascinante que, visuellement, il ne se passe presque rien au pupitre : à peine quelques ébauches d’un mouvement enveloppant de la main gauche suffisent à galber les phrasés, et un rien d’ampleur en plus ou en moins de la battue pour obtenir des nuances d’une incroyable subtilité. Manifestement, chef et musiciens se sentent bien, et ont trouvé la même manière, détendue, cordiale, de respirer ensemble. Et le résultat est là : une Troisième Symphonie qui chante à tous les pupitres, et conserve de bout en bout une agogique parfaitement naturelle, au fil de quatre mouvements qui passent comme un rêve. Certes les Münchner Philharmoniker ne sont pas toujours, techniquement, absolument infaillibles, et peut‑être le travail de répétition n’a‑t‑il pas été toujours très fouillé, mais qu’importe, car ici, au moins à certains moments, se produisent des miracles. Dont, juste avant la réexposition du premier mouvement, un passage particulièrement mémorable, retour progressif à la tonalité initiale de fa majeur initié par le cor solo de notre compatriote Bertrand Chatenet : l’orchestre s’envole collectivement en état d’apesanteur, pour une véritable musique des sphères. Donc oui, vraiment, un état de grâce.


Très belle première partie aussi, avec deux solistes d’une autre génération, mais dont la symbiose avec le maestro n’est pas moins patente. Lisa Batiashvili et Gautier Capuçon se fondent dans le moule avec un respect évident, en évitant eux aussi des gestes interprétatifs trop larges, mais conquièrent cependant de véritables espaces de liberté. Surtout, en fait, Gautier Capuçon, dont le violoncelle généreux nous rappelle à beaucoup d’instants que ce Double Concerto était bien à l’origine pensé par Brahms comme un possible concerto pour violoncelle, et que le violon n’est arrivé dans le projet qu’ensuite. Là encore le naturel de l’expression, à tous les étages, des solistes jusqu’au moindre pupitre de l’orchestre, s’avère décisif, et peut‑être plus favorable, dans ce concerto parfois un rien décousu, qu’un projet plus volontariste, qui de toute façon ne parviendra pas à unifier ce qui reste de nature un peu vagabonde.



Laurent Barthel

 

 

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