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Un concert volcanique

Berlin
Philharmonie
12/14/2023 -  et 15*, 16 décembre 2023
Ludwig van Beethoven  Symphonie n° 4 en si bémol majeur, opus 60
Sofia Goubaïdoulina : « Dialog: Ich und Du »: Concerto pour violon n° 3
Richard Strauss : Don Juan, opus 20

Baiba Skride (violon)
Berliner Philharmoniker, Andris Nelsons (direction)


A. Nelsons (© Lena Laine)


La violoniste Baiba Skride et le chef Andris Nelsons se connaissent bien. Nés tous les deux à Riga, capitale de la Lettonie (elle en 1981, lui en 1978), ils ont donné de nombreux concerts ensemble, qu’il se soit agi du Concerto de Beethoven (en février 2013 avec l’Orchestre symphonique de Birmingham, dont Nelsons était alors le directeur musical), du Triple concerto de Goubaïdoulina (avec l’Orchestre symphonique de Boston cette fois‑ci), de la Sérénade de Bernstein ou d’Aether de Sebastian Currier, deux œuvres là encore données avec Boston. Le 14 octobre 2010, nouveau point commun, Baiba Skride et Andris Nelsons faisaient tous deux leurs débuts avec l’Orchestre philharmonique de Berlin pour un concert alliant le Concerto à la mémoire d’un ange de Berg et la Huitième Symphonie de Chostakovitch. Depuis, soliste et chef ont retrouvé à plusieurs reprises la célèbre phalange, notamment pour un concert in loco en décembre 2020 où ils donnèrent le Concerto de Stravinsky et la Titan de Mahler. Autant dire que soliste, chef et orchestre sont loin d’être des étrangers les uns pour les autres !


Et c’est nécessaire lorsqu’il faut ainsi faire entrer au répertoire du Philharmonique de Berlin le Troisième Concerto pour violon de Sofia Goubaïdoulina (née en 1931), dont la création sous l’archet de Vadim Repin ne remonte qu’au 2 avril 2018. Après ses deux premiers concertos pour violon (Offertorium créé par Gidon Kremer en 1981 et In tempus praesens créé cette fois‑ci en 2007 par Anne‑Sophie Mutter, d’ailleurs avec les Berliner sous la baguette de Sir Simon Rattle), voici donc le troisième opus qui, comme les précédents, est d’un seul tenant. Si l’on perçoit ici ou là les potentiels étapes de la partition, on a plus de mal que dans le deuxième concerto (où les cinq sections se dessinaient assez nettement) à percevoir ici les changements souhaités. Encore que, de façon relativement lisible, nous assistions à une succession d’épisodes assez clairement identifiables où le violon joue plus ou moins seul et où l’orchestre joue également sa propre partition, le dialogue (c’est le titre...) tournant de fait un peu court même si soliste et orchestre se retrouvent de temps à autre, les sonorités de la première se lovant parfois avec délectation dans les tutti du second. La technique requise pour le soliste ne paraît pas hors d’atteinte : certes, Baiba Skride doit tenir sa dernière note dans le suraigu pendant plus d’une minute, certes il lui arrive de devoir cravacher un peu rageusement son archet avant de soudainement nous entraîner dans une finesse inattendue, mais point de traits ébouriffants ou de séquences à la virtuosité ostentatoire. Ici, Goubaïdoulina joue davantage sur les atmosphères, requérant pour ce faire force percussions (cinq titulaires sans compter le timbalier) et cuivres (les trompettes, cors et trombones par quatre, auxquels il faut adjoindre deux tubas). A cet égard, la partition offre des moments orchestraux assez inédits comme ce solo de grosse caisse au martellement terrifiant ou ce choral des trombones dans un registre aigu qu’ils ont peu souvent l’occasion de fréquenter. Vainqueur du concours Reine Elisabeth en 2001, Baiba Skride n’a donc aucune difficulté à emporter la partition, épaulée par les magnifiques sonorités de son Stradivarius « Yfrah Neaman » ; quant à Andris Nelsons, il dirige l’ensemble avec une attention palpable, guidant l’orchestre dans les méandres d’une partition qui n’aura néanmoins suscité que deux rappels polis de la part du public sans que ce dernier ne réclame pour autant un bis de la violoniste.


En première partie, avant l’entracte, le Philharmonique de Berlin avait donné une œuvre qui lui était évidemment beaucoup plus familière puisqu’il s’agissait de la Quatrième Symphonie (1806) de Beethoven. Alors qu’on s’attendait à titre personnel à une interprétation « commune » pourrait‑on dire (d’autant qu’il est difficile de transcender cette œuvre coincée entre les deux monuments que sont l’Héroïque et la Cinquième), on aura été abasourdi par ce que l’on pourrait qualifier de miracle beethovénien. Bien que le Philharmonique soit apparu sur scène au grand complet d’emblée (une cinquantaine de cordes entre autres), c’est un orchestre d’une vivacité et d’une réactivité incroyables qui se déploya sous nos yeux dans une interprétation qui n’omit aucune reprise, portant la symphonie à plus d trente‑cinq minutes. Après une entrée tout en retenue, Andris Nelsons lança l’Allegro vivace du premier mouvement avec une fougue insoupçonnée qui mit notamment en exergue des cordes d’une virtuosité extraordinaire. Après un deuxième mouvement tout en lyrisme (admirable Wenzel Fuchs à la clarinette solo), le chef letton dirigea le troisième mouvement (Allegro vivace) avec certes un rien d’affectation mais avec un côté joueur et spirituel du plus bel effet. Quant à l’Allegro ma non troppo conclusif, ce fut tout bonnement une véritable bourrasque musicale, avec une déferlante de cordes comme on a peu l’habitude d’en entendre tant ce type d’interprétation requiert un orchestre hors normes. Le Philharmonique de Berlin le fut ce soir, à l’évidence : enthousiasme évidemment du public !


Enfin, après le concerto de Goubaïdoulina, la seconde partie se concluait par une pièce que le Philharmonique de Berlin connaît là aussi très bien : Don Juan de Richard Strauss (l’orchestre l’interpréta pour la première fois en janvier 1890, soit moins de deux mois après la création de l’œuvre à Weimar, en novembre 1889). Andris Nelsons a démontré, notamment à la tête de l’Orchestre symphonique de Birmingham, qu’il était un excellent straussien : ce fut encore le cas ce soir. Une petite harmonie en état de grâce (où l’habituel titulaire du cor anglais, Dominik Wollenweber, tenait pour l’occasion le poste de hautbois solo), un pupitre de cors à plein régime, des cordes superlatives (de la Konzertmeisterin Vineta Sareika-Völkner au pupitre des huit contrebasses emmenées par le charismatique Matthew McDonald), un timbalier hors pair... Que demander de plus ? Peut‑être une moindre attention portée aux détails, Nelsons ayant eu en effet tendance à parfois oublier le souffle de la partition qui doit en principe dépeindre le type même du héros au bénéfice d’éclairages portés ici ou là sur une œuvre foisonnante par ses timbres et ses idées. Pour autant, les spectateurs applaudirent avec ferveur chef et orchestre même si Andris Nelsons ne fut pas rappelé seul sur scène comme c’est fréquemment le cas à Berlin : si déception il y eut, celle‑ci n’aura tout de même été que relative.


Le site d’Andris Nelsons



Sébastien Gauthier

 

 

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