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La tête dans les étoiles

Paris
Philharmonie et Cité de la musique
11/20/2023 -  
Karlheinz Stockhausen : Sonntag aus Licht (scènes 3 à 5)
Jenny Daviet, Pia Davila (sopranos), Léa Trommenschlager (mezzo-soprano), Hubert Mauer, Safir Behloul (ténors), Damien Pass, Antoine Herrera-López Kessel (basses), Aurélien Segarra (L’enfant), Julie Brunet‑Jailly (flûte), Alice Caubit (cor de basset), Henri Deléger (trompette), Sarah Kim (synthétiseur)
Florent Derex, Julien Aléonard (projection sonore), Augustin Muller (réalisation informatique musicale), Romain Vuillet (réalisation informatique musicale), Alphonse Cemin, Bianca Chillemi, Chae‑Um Kim, Augustin Muller (chefs de chant), Maîtrise de Paris du Conservatoire à rayonnement régional de Paris, Olivier Bardot, Gisèle Delgoulet, Zoé Fouray, Pierre‑Louis de Laporte, Lucie Rueda, Titouan Sevic (chef de chœur), Le Balcon, Orchestre du Conservatoire de Paris, Maxime Pascal (direction musicale)
Ted Huffman, Maxime Pascal (mise en espace « d’après les indications de Karlheinz Stockhausen »), Bertrand Couderc (lumières), Pierre Martin‑Oriol (vidéo), Pascale Lavandier (costumes), Marguerite Lantz (accessoires), Jenny Ogilvie (collaborateur au mouvement)


(© Denis Allard)


Difficile de rendre compte d’un spectacle comme celui‑ci, où le foisonnement des symboles, la fratrie entre les arts, la maestria compositionnelle et la ferveur collective des interprètes donnent le tournis. Voici quelques informations – dont on voudra bien excuser l’aspect trop énumératif (à l’image du livret) – permettant d’entrevoir le grand œuvre de Stockhausen.


Licht-Bilder (« Lumières-Images »), la troisième scène, se veut une composition spatiale étroitement liée à la métaphore lumineuse. Son instrumentation rappelle Le Voyage de Michaël autour de la terre (deuxième acte de Donnerstag aus Licht) : un couple de musiciens (cor de basset/flûte et ténor/trompette) dialoguent en musique tandis que le ténor (Hubert Mayer, très sollicité dans les aigus) chante une louange de Dieu et de la création ; synthétiseur, modulateur en anneau et images lumineuses ad libitum complètent la panoplie. Aux vagues temporelles soumises à des tempos changeants correspondent des reflets en miroir. Les mouvements corporels (à la Bob Wilson) des quatre interprètes amplifient l’aspect rituel de la performance cependant que les formules, pour la première fois dans Licht, sont jouées en rétrograde.


Dans Düfte-Zeichen (« Senteurs-Signes »), Stockhausen franchit un degré supplémentaire dans le Gesamtkunstwerk dont il était question dans la première partie de l’œuvre en utilisant des parfums. Une fragrance, solennellement distribuée depuis les allées sous forme de fumée, est associée à chacun des sept jours de la semaine. Sept voix, voix de garçon et synthétiseur se partagent cette quatrième scène, qui agit comme une vaste réminiscence – le rappel de Donnerstag (jour de Michaël) y occupe la position centrale. Mystique, le duo final entre Eve et Michaël se poursuit dans un autre monde, derrière le podium central, où l’enfant suit un cheval blanc.


L’apothéose attendue arrivera bien dans la dernière scène, Hoch‑Zeiten (« Temps élevés », voire « Temps sublimes »), manière de célébration de l’amour, du mariage de l’ange et de la nature, en cinq langues (hindi, chinois, arabe, anglais et swahili). Chœur et orchestre jouent simultanément dans deux salles distinctes (Cité de la Musique et Philharmonie), les spectateurs étant invités à changer de salle lors d’une seconde exécution.


Sonntags-Abschied (« L’Adieu de dimanche ») se présente comme un avatar de la dernière scène joué par cinq synthétiseurs. Le foyer en diffuse l’enregistrement sur cinq pistes.


Malgré le talent des interprètes, on se dit que la gestuelle conçue par Stockhausen a quelque chose de trop inhibant, de trop asphyxiant sur la durée. De même que les metteurs en scène d’aujourd’hui s’affranchissent – pour le meilleur et pour le pire – des didascalies wagnériennes, il faudra bien revitaliser un jour l’élément chorégraphique de Licht. « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament », disait René Char : le compositeur disparu, il appartient aux futures générations de s’approprier son œuvre. Quant au texte, sorte de litanie œcuménique, on ne le suit que par intermittence.


Saluons surtout l’extraordinaire cinquième scène : elle suffirait à justifier le déplacement, et l’écouter deux fois d’affilée constitue une expérience unique d’immersion dans la poétique de Stockhausen où coexistent, en une insolente fusion, la naïveté et la lucidité, la simplicité et la complexité, l’irrationnel et le rationnel. Absent de cette seconde partie lors des saluts, Maxime Pascal délègue à Alphonse Cemin le soin de diriger les cinq sextuors instrumentaux enfin synchrones lors de la coda ; une coda qui nous laisse sans voix et la tête dans les étoiles.



Jérémie Bigorie

 

 

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