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Les aphorismes d’Enno Poppe

Paris
Cité de la musique
11/04/2023 -  
Liza Lim : Spirit Weapons – The Tailor of Time
Enno Poppe : Blumen

Philippe Grauvogel (hautbois), Valeria Kafelnikov (harpe)
Ensemble intercontemporain, Enno Poppe (direction)


E. Poppe (© Mathias Benguigui/Pasco And Co)


Née de parents chinois à Perth en 1966, l’Australienne Liza Lim puise son inspiration indifféremment dans les mythologies européennes ou asiatiques, comme c’est le cas pour les deux pièces de ce concert inscrit dans le cadre du Festival d’automne. Spirit Weapons (« Armes de l’esprit », 1999‑2000) s’attache aux armes retrouvées dans la tombe du marquis chinois Yi de Zeng (Ve siècle avant J.‑C.). Le violoncelliste Eric‑Maria Couturier est le premier à pénétrer dans le sépulcre : son solo initial tire sa structure et ses « quatre pôles de hauteurs » de « deux ensembles de dragons doubles enlacés autour d’une croix centrale » – l’emblème de la province Zeng. Sonorités grasses étalées à l’aide du talon de l’archet, portamentos et doubles cordes se relaient au cours de ce soliloque songeur avant que les sonorités sous‑marines de la clarinette contrebasse n’entament un dialogue en sourdine avec trois percussionnistes. Si les percussions jouées sont à hauteurs indéterminées, Lim obtient tout un éventail de sons selon les baguettes utilisées et la zone de peau frappée. De ce mélange découle une sorte de « méta‑instrument » dont l’essentiel du matériau est emprunté au violoncelle.


La poésie du persan Jalaluddin Rumi (1207‑1273) donne son titre à The Tailor of Time (« Le Tailleur du temps »), créé par l’Ensemble intercontemporain et son directeur musical Pierre Bleuse le 25 septembre dernier au Festival Musica de Strasbourg. On retrouve ce curieux appareillage de timbres émaillé ici d’une réflexion approfondie sur le temps, « tailleur de nous et du monde ». Les principaux outils compositionnels (récurrence, répétition, interpolation) vont de pair avec des phénomènes disruptifs, comme si des « poches » de temps étaient intégrées à une trame rapiécée, au déroulé imprévisible. Si Lim récuse le terme de « concerto », elle n’en confie pas moins un rôle central aux deux solistes : les pleurs de la « flûte de roseau » sont incarnés par le hautbois tandis que la harpe renvoie au luth « en tant que symbole du désir spirituel dans le cœur de l’Amant ». Philippe Grauvogel – qui troque le hautbois pour le hautbois d’amour puis le hautbois baryton – confronte ses notes tenues aux sonorités tour à tour percutantes, glissantes et bourdonnantes de Valérie Kafelnikov. L’atmosphère très ritualisée de la pièce n’est pas si collet-monté qu’elle ne s’accompagne des improvisations fantasques d’un percussionniste aux prises avec des objets empilés, lesquels s’écroulent comme château de cartes.


Enno Poppe (né en 1969) – silhouette longiligne coiffée d’un épais casque roux – et l’Intercontemporain évoluent avec aisance de ce cérémonial asiatique à la croissance botanique présente dans Blumen (2022). Compositeur de la cellule et de l’arborescence, l’Allemand se fait ici le chantre de la forme brève. Quinze mouvements de quinze secondes à trois minutes se succèdent sans phénomène de tuilage ou de continuité : une pause dûment respectée contribue à compartimenter chaque miniature balisée par un début et une fin. On se souvient que la forme aphoristique fut prédilectionnée par les musiciens de l’Ecole de Vienne durant la période atonale, juste avant l’avènement du sérialisme (en 1923). Poppe en prolonge ici la fantaisie prospective jointe à une sorte d’artisanat heureux qui n’est pas sans clins d’œil à Ligeti (déhanchés rythmiques). L’auditeur aimerait pouvoir figer le temps afin de goûter davantage tel alliage timbrique, tel dialogue tissé entre le trombone et l’alto ; mais la frustration est une donnée inhérente à cette partition dont les musiciens de l’EIC magnifient la facture filigranée jusque dans les séquences les plus compactes.


Aux compositeurs qui réitèrent à l’envi la même formule en laquelle ils voient la marque de leur style, Enno Poppe – comme Stockhausen hier – oppose une démarche plus périlleuse mais aussi plus exaltante. Après le déconcertant Rundfunk (2018), « archéologie des musiques électroniques » des années 1960‑1970, Blumen renoue avec l’écriture pour ensemble cependant que les miniatures enchaînées en quintessencient la maîtrise formelle.



Jérémie Bigorie

 

 

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