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La grande folie d’Orlando

Madrid
Teatro Real
10/31/2023 -  et 2, 4, 6, 8, 10, 12 novembre 2023
George Frideric Handel : Orlando, HWV 31
Christophe Dumaux*/Gabriel Díaz (Orlando), Anna Prohaska*/Francesca Lombardo Mazzulli (Angelica), Anthony Roth Costanzo (Medoro), Giulia Semenzato (Dorinda), Florian Boesch (Zoroastro)
Monteverdi Continuo Ensemble, Orquesta Titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Ivor Bolton (direction musicale)
Claus Guth (mise en scène), Christian Schmidt (décors, costumes), Bernd Purkrabek (lumières), Roland Horvath, Rocafilm (vidéo)


(© Javier del Real/Teatro Real)


Un opéra de 1733, un de derniers opéras italiens d’Haendel. Inspiration : le poème de l’Arioste, Orlando furioso. La folie d’Orlando, peut‑être le meilleur opéra sur ce thème ; que les braves Lully et Vivaldi veuillent bien m’excuser cette affirmation. Une opéra à cinq personnages, sans chœur, sans ballet, écrit pour Il Senesino, Francesco Bernardi, un castrat plutôt haute‑contre pour un rôle d’une grande difficulté mais offrant aussi une grande possibilité pour un divo de resplendir. Haendel, un monstre inlassable dans son travail au théâtre, était alors dans son plus beau moment créatif. L’Arioste lui inspire ses meilleurs ouvrages : Ariodante et Alcina. Mais n’oublions pas que L’Arioste est une inspiration pour tous au XVIIIe siècle, et même avant. Le portrait de la fureur et de l’aliénation violente d’Orlando chez Haendel est prodigieux. A notre époque, il faut conjuguer l’approche de Haendel avec sa musique mais sans le niveau de conscience (son, action, situation) et de statut social du public de l’époque pour un spectacle tel que cet Orlando.


Face au dynamisme et à l’agilité de la mise en scène – résolvant largement le problème permanent des opéras du baroque, avec ces arias da capo qui paralysent l’action – on a souffert du manque d’énergie et de vitalité de la direction de Bolton, aux tempi sans vigueur, même si la seconde partie promettait un peu plus de vie dans la fosse – promesse pas tout à fait tenue. Par moments, on avait l’impression de voir le contre‑ténor Christoph Dumaux tirer, en développant sa folie furieuse, la fosse paresseuse de Bolton. Celle‑ci allait contre les musiciens, mêlant anciens et modernes, contre les voix et contre une mise en scène contestée mais élaborée avec soin et beaucoup de sens.


Côté voix, les prestations furent inégales. Dumaux fut indiscutable dans la construction progressive de son personnage (voix, furie éclatant très tôt, mais culminant très tard, c’est‑à‑dire un travail permanent de progression de l’acteur et du contre‑ténor). Anna Prohaska, formidable mozartienne, ici femme fatale plutôt que princesse, a manqué parfois de souffle pour son personnage et de hauteur pour sa ligne. Anthony Roth Constanzo, d’apparence un peu fragile pour un héros, chante son très lyrique rôle de Medoro avec une délicatesse parfois poignante. Deux personnages se dédoublent dans la mise en scène de Guth. Dorinda, la bergère, le seul personnage du peuple en face des héros et les princesses, et Zoroastro, une sorte de Prospero (Shakespeare, La Tempête), dont on ne trouve pas trace dans le poème de L’Arioste. Dorinda, jeune fille moderne, qui paraît indépendante quoiqu’amoureuse à la folie (la sienne, beaucoup plus pacifique) d’Orlando, devient une vendeuse dans sa caravane, habillée façon Walt Disney, Blanche‑Neige mais en minijupe et lunettes, ses longs cheveux noués. Belle voix, lyrique et expressive de l’Italienne Giulia Semenzato pour ce rôle toujours dans l’action mais en dehors de la mêlée. Zoroastro est un conseiller et il devient un clochard ivrogne. Dans la mise en scène, je ne comprends pas tout à fait pourquoi on dédouble Zoroastro, mais cela marche très bien dans l’action et les situations ; c’est toujours celui qui impose la paix ou la trêve. L’Autrichien Florian Boesch chante à la perfection les deux faces de ce personnage dont le rôle est capital dans le déroulement de l’action.


Il est vrai que la mise en scène de Claus Guth a été contestée. Mais, à mon avis, elle possède une logique pleine de sens pour résoudre le problème posé de nos jours par une histoire comme celle‑ci mais avec le matériau sonore d’alors. On l’a déjà dit : le problème des arias da capo est résolue grâce à de l’action permanente, mais pas comme dans bon nombre d’autres mises en scène ; ici, l’action a toujours un sens dans une action irrésistible, aussi folle que le héros. La forêt impénétrable du livret, où tout le monde trouve tout le monde malgré cette impénétrabilité, devient ici une grande maison à deux étages, un décor roulant et changeant où l’action peut se développer sans arrêt. Les icônes viennent du cinéma, comme Disney et, finalement, de Taxi Driver, quand le fou furieux du film cherche la vengeance du Bien contre le Mal. Mais notre héros, ici, est un ancien combattant au Vietnam, c’est‑à‑dire qu’il a quelque chose comme un trauma antérieur expliquant sa tendance à la folie. Ne peut‑on pas accepter de nos jours une folie aussi furieuse par amour, même si Angelica est la femme la plus belle du monde... ? Enfin, une mise en scène agile, logique dans le contexte d’une folie, mais avec des critiques raisonnables de la part de personnes un peu lassées par la révérence excessive aux icônes pop. Guth, qui a signé plusieurs mises en scène au Teatro Real ces dernières années, a bien réussi, mais malgré les bons côtés de cette production, il n’a pas convaincu comme avec sa Rodelinda de 2017.


Hélas, l’agilité de la mise n’a pas été accompagnée d’une agilité semblable dans la fosse. En fin de compte : oui, mais...



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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