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Lohengrin, vraiment ?

Paris
Opéra Bastille
09/23/2023 -  et 27, 30 septembre, 11*, 14, 18, 21, 24, 27 octobre 2023
Richard Wagner : Lohengrin
Kwangchul Youn (Heinrich der Vogler), Piotr Beczala/Klaus Florian Voigt* (Lohengrin), Johanni van Oostrum/Sinéad Campbell-Wallace* (Elsa von Brabant), Wolfgang Koch (Friederich von Telramund), Nina Stemme*/Ekaterina Gubanova (Ortrud), Shenyang (Der Heerufer des Königs), Bernard Arrieta, Chae Hoon Baek, Julien Joguet, John Bernard (Vier brabantische Edle), Isabelle Escalier, Joumana El Amiouni, Caroline Bibas, Yasuko Arita (Vier Edelknaben)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, Ching‑Lien Wu (cheffe des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Alexander Soddy (direction musicale)
Kirill Serebrennikov (mise en scène, décors, costumes), Olga Pavluk (décors), Tatiana Dolmatovskaya (costumes), Franck Evin (lumières), Alan Mandelshtam (vidéo), Evgeny Kulagin (chorégraphie), Daniil Orlov (dramaturgie)


(© Charles Duprat/Opéra national de Paris)


Un film noir et blanc, d’abord, montrant un jeune homme souriant au milieu de la nature puis plongeant dans un lac. Sur ses épaules, des ailes de cygne : on devine Gottfried, le frère disparu d’Elsa. C’est à la guerre qu’il est tombé. La jeune femme, très attachée à lui, ne s’en est pas remise, soignée à l’hôpital psychiatrique par une Ortrud et un Telramund hostiles à une guerre où il a perdu une jambe. Le rêve d’Elsa, chez Kirill Serebrennikov, c’est tout l’opéra de Wagner, avec un Lohengrin chef de guerre qui partira sans avoir remporté de victoire alors que les cadavres s’entassent toujours et que tout est détruit. Il y a bien la guerre dans l’opéra, mais elle n’en constitue pas l’essentiel. Le cinéaste russe la met au premier plan, multipliant les vidéos d’opérations militaires, de champs de ruines et de gueules cassées. Le deuxième acte, par exemple, se déroule en un lieu tenant à la fois de la caserne, de l’hôpital et de la morgue, le troisième dans une sorte de hangar où l’on expédie les mariages avant les départs au front.


Qui a cru voir l’opéra romantique de Wagner s’est trompé. A rebours de l’histoire, le synopsis du programme, signé du dramaturge Daniil Orlov, annonce d’ailleurs la couleur. L’inversion des valeurs, avec les Telramund devenus figures positives mais incapables de guérir Elsa, et un Lohengrin en treillis rien moins qu’icône de lumière, ne parvient malheureusement pas à se greffer sur le texte et la musique : à qui s’adressent, par exemple, les imprécations d’une Ortrud chantant à la fin, pour les besoins de la cause, « Mein Gatte, mein Gatte » à la place d’Elsa ? Evacuer la transcendance et la magie n’empêche pas de préserver le mystère, fondement même de l’œuvre : c’est là qu’échoue le Russe. Et voilà trop longtemps que l’opéra nous promène dans les couloirs des asiles psychiatriques. Et que toute l’histoire peut être la production d’un esprit détraqué – tel était déjà Le Vaisseau fantôme de Harry Kupfer à Bayreuth en... 1985. Si bien que, au moment où la guerre, ici et là dans notre monde, charrie ses cadavres, nous ne sommes pas le moins du monde touchés, tant le fossé s’est creusé entre la partition et la production : le spectacle ne suscite aucune émotion. Il est pourtant orchestré de main de maître, fonctionne en soi remarquablement, avec une belle exploitation de l’espace et une direction d’acteurs affûtée. Il n’empêche : Wagner est plus fort que Serebrennikov.


Et sa musique est bien servie. Déjà remarqué dans Peter Grimes, Alexander Soddy ne fait pas regretter Gustavo Dudamel. Il a le sens du théâtre, tend l’arc du drame dès le Prélude, qu’il débarrasse de ses vapeurs éthérées, trouve l’équilibre entre les ténèbres sinueuses des conflits psychologiques et l’éclat des fastes du grand opéra, déployant généreusement un éventail de couleurs vives – à rebours de la production. A cette direction très unitaire répond une distribution très homogène.


On connaît le Lohengrin de Klaus Florian Voigt, qui remplace Piotr Beczala pour cette quatrième représentation : émission haute, très aisée dans le passage, où se situe le rôle, timbre clair, ligne ciselée, toujours un peu détachée, mais interprétation très lisse, presque transparente – à rebours, là encore, de ce que fait du personnage le metteur en scène.


Les aspérités et l’instabilité de la voix assez dramatique de Sinéad Campbell-Wallace conviennent bien, finalement, à ce qu’Elsa est devenue, et elle nous émeut par sa présence blessée. On ne fera pas davantage grief à Nina Stemme des duretés du timbre ou de l’hétérogénéité des registres : la soprano suédoise conserve assez d’aigu et a toujours eu assez de grave pour pouvoir aujourd’hui être une Ortrud à la fois vipérine et tourmentée. Les années ont passé aussi sur le Telramund plus velléitaire qu’agressif de Wolfgang Koch, mais il tient sa voix et chante son rôle sans l’aboyer. Si Shenyang campe un Héraut robuste et sonore, Kwangchul Youn a beau offrir encore un phrasé d’école, la voix s’avère très fatiguée, élimée à ses extrémités. Quant au chœur, un des personnages de Lohengrin, il est celui des grands soirs, à l’unisson de l’orchestre.



Didier van Moere

 

 

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