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Complicité finlandaise

Paris
Opéra Bastille
10/05/2023 -  et 8, 10, 13, 17 octobre 2023
Leos Janácek : Věc Makropulos
Karita Mattila (Emilia Marty), Pavel Cernok (Albert Gregor), Nicholas Jones (Vitek), Ilhana Lobel‑Torres (Krista), Johan Reuter (Jaroslav Prus), Cyrille Dubois (Janek), Karoly Szemerédy (Maître Kolenaty), Peter Bronder (Hauk‑Sendorf)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, Ching‑Lien Wu (cheffe des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Susanna Mälkki (direction musicale)
Krzysztof Warlikowski (mise en scène), Malgorzata Szczesniak (décors et costumes), Felice Ross (lumières), Denis Guéguin (vidéo), Miron Hakenbeck (dramaturgie)


K. Mattila, J. Reuter (© Bernd Uhlig/Opéra national de Paris)


On a suffisamment reproché à Gerard Mortier sa direction artistique aux allures de festival permanent pour ne pas saluer les productions pérennes. L’Affaire Makropoulos – qui faisait à cette occasion son entrée au répertoire de la « Grande Boutique » – de Krzysztof Warlikowski est de celles‑là. Si les lavabos et les urinoirs appelés à marquer sa signature ne manquent pas à l’appel, la relecture n’est pas si tarabiscotée qu’une nouvelle distribution ne puisse s’y couler avec une jubilation palpable. En fait de distorsions imprimées aux didascalies, le Polonais déterritorialise les affres de l’icône prise au piège de son propre mythe dans le milieu du cinéma hollywoodien du début du siècle dernier. La direction d’acteurs subjugue toujours autant : les allusions répétées à Marilyn surlignent (plus qu’elles ne suggèrent) un parallèle perspicace où se conjuguent avec brio mise en abyme et mise en perspective, éternel féminin et star soumise aux caprices du public, vedette célébrée et prostituée qui s’ignore – Emilia Marty finit par se donner au baron Prus. Pour Warlikowski, l’héroïne est une schizophrène que la scène finale saisit à la fois par les éclairs de la révélation et les ombres de la mort ; une mort vécue comme une libération. Le dispositif scénique conçu de conserve avec Malgorzata Szczesniak fait alterner les scènes intimes (salle de bains) et collectives (rutilante salle de cinéma) avec une fluidité qui rend justice au mécanisme d’horlogerie implacable de l’intrigue.


Une fluidité à laquelle s’emploie dans la fosse une Susanna Mälkki maîtresse du tactus dramatique et des équilibres instrumentaux, très à son aise pour magnifier un langage dont l’originalité folle ne laisse pas d’interroger. Quant à l’Orchestre de l’Opéra, il se couvre de gloire dans une partition où chaque note s’entend à le faire briller. Les cuivres impressionnent, tantôt ourlés en doublures caressantes, tantôt perçants en ostinatos insistants typiques du compositeur. Si Janácek réserve aux cordes un gisement de tendresse dans la scène finale, l’écriture, qui sollicite souvent les extrêmes-aigus et les motifs anguleux, n’est rien moins que confortable pour les musiciens.


Evoluant en fond de scène une partie du premier et du deuxième acte, Karita Mattila n’en trouve pas sa projection facilitée. Ceux qui chercheraient dans cette voix de chair et de frémissement les souvenirs des splendeurs d’Elisabeth Söderström feraient fausse route. Les aigus sont bien là, mais le grave et le medium ne franchissent pas toujours les murs de l’orchestre, peu aidés il est vrai par une vocalité où la déclamation le dispute en prééminence au chant. L’incarnation, heureusement, suppléé par sa variété à ces insuffisances, car l’actrice sait jouer des situations et mettre le public dans sa poche, qu’elle tire un parti avantageux des moues capricieuses distribuées depuis la main de King Kong (acte II) ou qu’elle s’abîme avec résignation dans la piscine d’une luxueuse villa de la côte Ouest (acte III).


Le Prus de Johan Reuter, presque trop beau de timbre, le vibrant Gregor de Pavel Cernok, aux aigus un peu trop serrés (ils s’ouvriront au cours de la représentation), se font ravir la vedette par le couple Janek/Krista. Elle (Ilhana Lobel‑Torres), groupie parfaite au timbre qui transpire la santé ; lui (Cyrille Dubois), donnant un relief particulier à cette victime sacrifiée sur l’autel des passions non payées de retour. Les ténors sont décidément à la fête avec le Vitek parfaitement en situation de Nicholas Jones. L’autorité naturelle de Karoly Szemerédy ne fait qu’une bouchée de Maître Kolenaty quand Peter Bronder, égrotant à souhait, récite plus qu’il ne chante Hauk‑Sendorf.


Portée par la complicité d’un duo de Finlandaises, cette reprise d’une production de 2007 a fort bien vieilli ; presqu’aussi bien qu’Emilia Marty.



Jérémie Bigorie

 

 

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