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Vous avez dit POP ?

Paris
Philharmonie
09/09/2023 -  
Nicola Campogrande : Symphonie n° 2 « Un mondo nuovo »
Ludwig van Beethoven : Concerto pour piano n° 1, opus 15
Dimitri Chostakovitch : Concerto pour piano n° 2, opus 102 [*]
Igor Stravinski : L’Oiseau de feu (Seconde Suite)

Alexandra Achillea Pouta (mezzo-soprano), Martha Argerich, Federico Gad Crema [*] (piano)
Pop Orchestra (Peace Orchestra Project), Ricardo Castro (direction)


R. Castro, M. Argerich, F. G. Crema (© Laurent Barthel)


« Who says classical music isn’t POP? », questionne malicieusement la campagne de communication du Peace Orchestra Project (acronyme, effectivement, POP), lequel se présente ensuite, et cette fois très sérieusement, comme un « programme inclusif basé sur les valeurs fondamentales de l’intégration sociale et religieuse, utilisant la musique classique comme véhicule pour le développement humain ».


Initié par le jeune pianiste italien Federico Gad Crema, ce « nouvel » orchestre, qu’on nous présente comme un conglomérat inédit de jeunes musiciens de dix‑sept nations différentes, paraît quand même pour l’essentiel un avatar de l’Orchestra Giovanile Italiana, basé à Fiesole, près de Florence, où il a été fondé il y a bientôt quarante ans. Un orchestre de jeunes au parcours déjà long et prestigieux, sous les baguettes notamment de Daniele Gatti, Daniele Rustioni, Jeffrey Tate, Riccardo Muti... Pour l’année 2023, l’activité spécifique du Peace Orchestra Project paraît en revanche limitée à une tournée estivale italienne (Sorvedolo, Bologne, Locarno et Rimini), se terminant par ce concert parisien, en guise de seule escapade internationale. Toutes soirées que l’Orchestra Giovanile Italiana revendique au demeurant sur son site internet, en les incluant simplement parmi ses propres annonces de concert, sans les individualiser par la moindre mention particulière.


Mais sans doute la présence du chef brésilien Ricardo Castro, qui a peut‑être emmené avec lui un certain nombre de jeunes musiciens en provenance de Bahia, où il a fondé son célèbre projet Neojiba, nous vaut-elle pour la circonstance un accent particulier mis sur une certaine dimension d’intégration sociale. « Le Peace Orchestra Project est composé de jeunes musiciens accomplis âgés de 18 à 25 ans, du monde entier, y compris des talents de communautés défavorisées spécifiques, qui se réunissent et participent à une expérience qui change la vie ». De fait, les expériences à présent parallèles de l’Orquesta Sinfónica Simón Bolívar de Venezuela, fondé en 1978, faisant partie du projet d’intégration plus connu sous le nom d’El Sistema, et de Neojiba, fondé à Bahia en 2007 par Ricardo Castro ont perduré depuis suffisamment longtemps maintenant pour prouver cette importance sociale et culturelle fondamentale. Sans même parler de la joie de vivre communicative qui émane de tous les concerts de Neojiba et des formations d’El Sistema, jeunes orchestres d’un dynamisme irrésistible, dont les tournées internationales ont laissé de nombreux souvenirs inoubliables.


Ce soir, l’orchestre reste plus sage, mais une appréciable qualité musicale est bien au rendez‑vous. La concentration des jeunes musiciens n’est peut‑être pas optimale en début de programme, mais il est vrai que la Deuxième Symphonie « Un monde nouveau » du compositeur italien Nicola Campogrande n’est pas une pièce très stimulante, même si son argumentaire paraît bourré de bonnes intentions : « tenter d’offrir une réponse musicale à l’angoisse qui a accablé notre continent ces derniers mois et qui semble menacer la civilisation millénaire que nous avons produite, préservée et renouvelée au fil des siècles ». Soit, mais avec pour résultat une musique gentiment lénifiante, tonale, où quelques raffinements d’écriture ne dissipent jamais une sensation prégnante de banalité... Pas de quoi déstabiliser grand monde, et surtout rien qui tente d’ouvrir des perspectives nouvelles. Quatre mouvements relativement brefs, dont le dernier, plus développé, est confié à la mezzo‑soprano grecque Alexandra Achillea Pouta, jolie voix, aux prises avec un texte emphatique et quelques lignes mélodiques qui ne dépareraient pas chez Puccini.


Federico Gad Crema, jeune pianiste né en 1999 et instigateur cette année du Peace Orchestra Project, s’attaque dans ce cadre au Second concerto pour piano, partition raisonnablement virtuose, écrite par Chostakovitch pour son fils Maxime, alors âgé de 19 ans. Une musique là encore facile d’accès, jolie et brillante, que Federico Gad Crema interprète avec une technique assurée mais aussi une sonorité relativement percussive, sans grand charme, même dans le rêveur Andante central. L’orchestre le soutient avec une vraie complicité, mais parfois une générosité un peu envahissante, que Ricardo Castro peine à contenir. Dans le programme du concert, on apprend aussi que « Federico Gad Crema porte fièrement des créations uniques de haute couture, exclusivement made in Italy, par les maîtres tailleurs d’"Erato 1976" – tissus de "F.lli Tallia di Delfino" », ce qui, au vu de la proposition de ce soir (veste croisée de smoking vieux rose à col noir, sur pantalon de smoking noir à bandes roses assorties), paraît surtout téméraire.


Ricardo Castro et les jeunes musiciens du Peace Orchestra Project paraissent plus à l’aise dans la Deuxième Suite de L’Oiseau de feu, où les sonorités s’épanouissent, le chef laissant l’orchestre respirer, sans le surdiriger inutilement. L’interprétation prend progressivement ses marques, servie par d’excellents premiers pupitres, jusqu’à une « Danse infernale » dont l’énergie compense habilement un relatif déficit en cordes graves (quatre contrebasses et six violoncelles seulement).


Mais c’est surtout avec l’apparition en scène de Martha Argerich, marraine du projet, que tous ces jeunes musiciens paraissent vraiment touchés par la grâce, comme si la simple présence de cette extraordinaire pianiste les tirait littéralement vers le haut, en les forçant à donner le meilleur d’eux‑mêmes. Du haut de ses quatre-vingt-deux ans, et aussi de sa familiarité avec un Premier Concerto de Beethoven qu’elle joue maintenant en concert depuis presque trois quarts de siècle, la pianiste argentine nous donne là une leçon de maîtrise tout bonnement époustouflante, la musicalité de chaque trait semblant sourdre de la simple mécanique des doigts, avec une désarmante évidence. Une interprétation de rêve, qui conforte encore, s’il en était besoin, l’aura d’une interprète de légende.


Après Beethoven, le bis réunit trois pianistes sur le même piano, Federico Gad Crema en haut, Ricardo Castro en bas, et Martha Argerich au milieu, à six mains, pour une rare Romance en la majeur écrite par un tout jeune Rachmaninov, où chacun des interprètes fait valoir une sonorité très différente, le magnétisme de celle de Martha Argerich l’emportant comme toujours de très haut, dès qu’elle intervient. On peut aussi noter que Rachmaninov réutilisera le début de cette Romance, repris quasiment à l’identique, au début de l’Adagio sostenuto du Deuxième Concerto pour piano, dix ans plus tard.


Dernier bis, d’orchestre, pour prendre congé : une irrésistible Ouverture de Candide de Bernstein, où les musiciens, comme libérés du trac accumulé au cours de ce concert donné dans la cour des grands, nous offrent ce qu’ils ont de plus joyeusement spontané, et c’est prodigieux. Les orchestres de jeunes, décidément, ont quelque chose de particulier à nous offrir : une fraîcheur et un plaisir évident de jouer ensemble, que les formations professionnelles n’ont plus, ou du moins plus tous les soirs.



Laurent Barthel

 

 

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