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En roue libre

Paris
Philharmonie
09/08/2023 -  et 4 septembre 2023 (Dortmund)
Carlos Simon : Four Black American Dances
George Gershwin : Concerto en fa
Serge Prokofiev : Symphonie n° 5 en si bémol majeur, opus 100

Jean-Yves Thibaudet (piano)
Boston Symphony Orchestra, Andris Nelsons (direction)


A. Nelsons, J.-Y. Thibaudet (© Ondine Bertrand/Cheeese)


Ce qui surprend toujours, même quand on en a un peu l’habitude, lors d’un concert des « big five » (pour mémoire, on regroupe sous ce terme familier les orchestres de Boston, Chicago, Cleveland, New York et Philadelphie, soit le quinté de prestige des phalanges américaines), c’est la puissance du son. Quelque chose d’incroyablement dense, coloré, rutilant, qui nous annonce, dès le premier accord, à nous autres européens, que le concert va s’afficher dans un cadre bien plus large que d’habitude. Et, pour Boston, une autre singularité paraît d’emblée évidente, c’est la qualité des cordes, puissantes mais aussi d’une distinction et d’un grain sonore particuliers. Un soyeux et une densité que l’on pouvait déjà constater lors du long mandat de Seiji Ozawa, et qui remontait sans doute à un héritage bien plus ancien.


J’en ai d’ailleurs gardé personnellement de vieux souvenirs, sur le vif, définitivement indélébiles. A l’époque, et ça ne date pas vraiment d’hier, le premier violon s’appelait Joseph Silverstein, et on entendait sa sonorité littéralement planer, comme en lévitation, en compagnie d’un tapis de cordes d’une somptuosité extraordinaire. Une singularité qui perdure encore aujourd’hui, dans une certaine mesure. Les sonorités des cuivres, américains juste ce qu’il faut, mais heureusement pas trop clinquants, ne sont pas en reste, avec en tête d’affiche un tuba monumental, des trombones à toute épreuve et deux trompettes phénoménales. Dans l’Adagio du Concerto en fa de Gershwin, le solo de trompette, incroyablement dense, nourri, d’une élégance suprême, est littéralement à se mettre à genoux, devant tant de beauté concentrée. Et pourtant son auteur, Thomas Rolfs, n’en paraît pas tout à fait content, en raison vraisemblablement de minimes pailles d’intonation venues fragiliser le timbre sur deux attaques. Quasiment rien en fait, mais quand on est perfectionniste... Petite harmonie d’élite, aussi, mais où n’émergent pas vraiment d’individualités patentes, sans doute parce qu’ici les valeurs de cohésion, de fondu, de distinction globale, restent prioritaires. En tout cas une fantastique machine orchestrale, qui ne faillit pas à sa réputation.


Le Boston Symphony se révèle‑t‑il pour autant ce soir sous son meilleur profil ? Oui et non. La partie la plus exaltante du programme reste certainement ce Concerto en fa de Gershwin. Parce que Jean‑Yves Thibaudet y reste un interprète privilégié, d’une musique qu’il aborde à la fois en pianiste de formation classique, très respectueux du texte, et avec quand même une certaine liberté, en s’aménageant régulièrement de petits espaces de fantaisie, où règne un swing de bon aloi. Et, dans ce cadre, aussi parce que le chef Andris Nelsons est un accompagnateur scrupuleux, toujours à l’écoute du soliste, qu’il met en valeur sans le couvrir, mais avec un vrai bonheur dans les relances de discours, les passages où l’orchestre reprend la main s’affichant comme invariablement somptueux. On a déjà parlé de la trompette du deuxième mouvement, grisante, à écouter comme en rêve, les yeux fermés, mais les tutti de cordes, d’un lyrisme idéalement contenu, qui s’épanche juste ce qu’il faut, ne sont pas moins idéaux.


Très joli bis du pianiste, pièce d’une banalité qui n’est qu’apparente, minutieusement travaillée dans le détail par un pianiste orfèvre. Une vraie curiosité, puisqu’il s’agit de la Valse dite « Kupelwieser », réputée avoir été improvisée par Schubert en 1826 au cours du mariage d’un ami du même nom. Une mélodie transmise par une sorte de tradition orale familiale, et finalement couchée sur le papier, mais seulement plus d’un siècle plus tard, par Richard Strauss, ami lui‑même des descendants Kupelwieser.


Qu’écrire de positif à propos des Four Black American Dances de Carlos Simon qui ouvrent le programme ? Que les raisons pour lesquelles le Boston Symphony offre à une telle œuvre les honneurs d’une tournée internationale sont vraisemblablement bien davantage sociétales et circonstancielles – liées aux mutations culturelles entreprises par les grands orchestres américains, en particulier en vue de diversifier leur image sur les réseaux sociaux – que strictement musicales. Il n’y a vraiment rien d’infamant dans ces quatre pièces (« Ring Shout », « Waltz », « Tap! » et « Holy Dance »), écrites par un compositeur né en 1986, mais dont le langage n’a quasiment pas évolué par rapport à celui d’un Leonard Bernstein, lequel pourrait être son arrière‑grand‑père. Des thèmes à fortes connotation américaine, enchaînés sans grande cohérence, l’ensemble visant à recréer les ambiances festives des communautés afro-américaines d’hier, et le tout orchestré à la truelle, ce qui ne fait toujours pas une grande œuvre. Le Boston Symphony lui apporte la caution d’une qualité instrumentale sans faille, mais ne parvient pas à aérer un tissu orchestral le plus souvent opaque, même si les effets de masse restent impressionnants.


Impression de compacité relative aussi, après l’entracte, pour la Cinquième Symphonie de Prokofiev. L’œuvre possède pour le Boston Symphony des résonances particulières, puisque c’est ce même orchestre qui en a assuré la création américaine, en novembre 1945, sous la baguette de Serge Koussevitzky. Et puis il s’agit de toute façon d’une formidable partition, à même de présenter une phalange de haut niveau sous son meilleur jour. Or ici, si le Boston Symphony ne démérite pas, en revanche la direction d’Andris Nelsons laisse perplexe. On peut déplorer surtout un relatif manque d’implication, chaque mouvement semblant démarrer sans projet clair et l’ensemble ne prenant que progressivement forme, comme si le chef ne sortait à chaque fois de sa léthargie qu’au milieu du mouvement, en vue de construire progressivement une coda qui fasse quand même un peu d’effet. Mais tout le reste est laissé en friche, enchaînements, nuances, éclairages... ce dont le premier mouvement fait tout particulièrement les frais. Ensuite, du fait d’un caractère plus allant, le tableau s’améliore, mais on reste quand même dans l’ensemble très en surface d’une symphonie qui paraît dès lors surtout énigmatique et décousue. Davantage de poids dans l’Adagio, mais qui pourrait se révéler bien plus tragique et étreignant. Même le dernier mouvement, pourtant un immanquable et fantastique morceau d’orchestre, du moins si on se donne la peine de bien en individualiser chaque étape, tourne assez mollement, voire à vide.


Obtenir un résultat aussi mitigé, avec un tel cheval de bataille symphonique au programme, et à la tête d’un orchestre aussi immédiatement beau : voilà qui suscite beaucoup de questions à propos du mandat d’Andris Nelsons à Boston. Après presque dix ans de vie commune, quelle est l’empreinte laissée par le chef letton ? Là, on la cherche en vain.



Laurent Barthel

 

 

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