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Festivités berlinoises

Berlin
Waldbühne
08/19/2023 -  et 12 (Köln), 15 (Luzern), 17 (Salzburg) août 2023
Ludwig van Beethoven : Concerto pour piano et orchestre n° 1 en ut majeur, opus 15
Johannes Brahms : Symphonie n° 2 en ré majeur, opus 73

Igor Levit (piano)
West-Eastern Divan Orchestra, Daniel Barenboim (direction)


(© Sébastien Gauthier)


L’immense théâtre à ciel ouvert de la Waldbühne était quasi comble en cette fin de journée, la chaleur accablant actuellement Berlin n’ayant pas dissuadé pour autant le public d’emplir les presque 22 000 places disponibles. Et c’est ainsi que les deux lignes de S‑Bahn (équivalent de notre RER parisien) desservant la station de Pichelsberg ne cessèrent de déverser des trains entiers de spectateurs où, même si la moyenne d’âge fut sans doute autour de la soixantaine, on aura constaté que le concert de ce soir brassait une fois encore tous les âges (en famille ou entre amis), toutes les classes sociales, tous les genres (les couples de personnes âgées « biens mis » côtoyant sans problème les trentenaires aux crânes rasés, couverts de tatouages et de piercings). Le temps de passer les portes de contrôle (soulignons à cette occasion l’exceptionnelle organisation de cette manifestation, toujours sans anicroche) et nous voilà arrivés devant les multiples stands où l’on prend à emporter bières (plutôt un litre qu’un simple verre de 25 centilitres) et boissons de tous ordres, sandwichs divers et variés (plusieurs stands érigeant à cette occasion un véritable hymne à la saucisse !), bretzels, nouilles chinoises, falafels... avant de gagner sa place. La scène, immense, est encadrée par deux écrans géants qui diffusent notamment un petit documentaire sur l’histoire de l’Orchestre du Divan occidental-oriental en attendant que la représentation ne commence, les écrans permettant également de retransmettre les images de la soirée prises ou non en gros plans par diverses caméras, le concert étant comme d’habitude bien évidemment enregistré.


Initialement, et l’affiche était évidemment des plus légendaires, c’est la grande Martha Argerich qui devait interpréter le Premier Concerto (1795) de Beethoven ; malheureusement, des problèmes de santé l’ont empêchée de participer à cette tournée européenne qui doit donc emmener l’orchestre de Cologne (le 15 août) à Berlin (les deux derniers concerts devant être donnés dans la salle Pierre Boulez) en passant par Lucerne (le 17) et Salzbourg (le 19). En lieu et place de la pianiste argentine, c’est Igor Levit qui, fort d’une intégrale des sonates justement saluée dans nos colonnes, s’est affirmé depuis plusieurs années déjà comme un beethovénien de tout premier ordre. Et le fait est que le pianiste russe aura été parfait ! Précédant pour son arrivée sur scène, mais tout en l’attendant, un Daniel Barenboim désormais un peu affaibli (mais gagnant son podium, d’où il dirigea assis, sans grande difficulté, ni canne), Igor Levit nous aura livré une interprétation du Premier Concerto tout en finesse et légèreté, se souvenant d’une part de l’évidente facture classique, voire mozartienne, de ce concerto (rappelons qu’il a été créé en décembre 1795, soit juste quatre ans après la mort de Mozart), et d’autre part de ce qu’il s’agit d’une œuvre de jeunesse de Beethoven, loin donc de la gravité des accents du deuxième mouvement du Quatrième Concerto ou de la fulgurante maîtrise de L’Empereur. Dans l’Allegro con brio, Levit frappe par la simplicité de son approche de la ligne mélodique, par la délicatesse de son toucher et par une musicalité de chaque instant, les trilles n’étant jamais durs, les appogiatures jamais artificielles, le phrasé jamais mièvre. Le Largo est également bien fait mais, on va y revenir, celui‑ci nous aura tout de même parfois paru un peu trop statique, l’accompagnement orchestral étant pour beaucoup dans cette approche globalement assez pesante. Heureusement, c’est le piano qui débute le Rondo conclusif, Levit pouvant de fait imposer davantage sa vision de l’œuvre. Tout est facétieux (d’ailleurs, les regards jetés par le soliste aux musiciens de l’orchestre comme on pouvait donc les voir sur les écrans ne trompaient pas), le jeu est plein de vie, d’entrain, le soliste ne prétendant là à aucune démonstration mais préférant aborder ce mouvement avec une fraîcheur de bon aloi.


Tout le contraire de Daniel Barenboim mais on pouvait s’y attendre. On sait en effet que le chef israélo-argentin a, depuis plusieurs années, tendance à forcer et à grossir le trait, à ralentir ses tempi et à alourdir son approche, et ce quelle que soit l’œuvre qu’il dirige ou qu’il joue du piano ; si cela peut parfois convenir (dans Bruckner notamment), c’était ce soir tout de même assez rédhibitoire. L’introduction orchestrale du premier mouvement fut très retenue, assez hiératique, l’orchestre (très bon au demeurant) manquant singulièrement d’allant, Barenboim semblant diriger surtout sur la base de ses acquis et de son incroyable expérience, mais cela ne fait pas tout ! Il fallait bien toute la jeunesse et la fougue du West‑Eastern Divan Orchestra pour parvenir à s’extirper un peu du carcan imposé par le chef. Ce fut surtout criant dans le Largo : lourd, poussif, maniéré de temps à autre, on avait presque hâte qu’il s’achève. Comme on l’a dit, le dernier mouvement fut à la main de Levit et, de fait, l’orchestre s’obligea lui aussi à adopter ce climat joueur et facétieux, ce que Barenboim consentit à faire, peut‑être un peu malgré lui, mais avec une vraie réussite en fin de compte. Ovation attendue pour les deux artistes, singulièrement pour Igor Levit qui gratifia le public d’un bis : le premier des trois Intermezzi opus 117 de Brahms, superbe encore une fois de délicatesse, écouté dans un silence impressionnant par le public qui redoubla ses applaudissements une fois jouée la dernière note.


Après un entracte d’une petite demi‑heure permettant de se dégourdir les jambes et, aux spectateurs, de reconstituer les stocks de boisson et de nourriture, les musiciens s’installèrent de nouveau pour la Deuxième Symphonie de Brahms. On sait que celle‑ci, contrairement à la Première dont la gestation fut des plus longues, fut achevée en quatre mois pour être créée le 30 décembre 1877. Contrairement à ce que beaucoup d’interprètes en font, cette symphonie est assez complexe dans son approche puisqu’on oscille constamment entre une dimension joyeuse et dansante (on l’a parfois surnommée la « Pastorale de Brahms » ou la « symphonie des valses ») et une véritable tristesse mais Brahms lui‑même a parfois brouillé les pistes en parlant par exemple, dans une lettre adressée à Vincenz Lachner en 1879, de « l’assombrissement nécessaire de la joyeuse symphonie » qu’il venait d’écrire. Connaissant l’œuvre par cœur, Daniel Barenboim ne s’embarrasse guère de ces subtilités et adopte résolument une approche mélancolique, voire tragique de la symphonie, le côté plus gai étant généralement passé sous silence. Même si le chef adopte là encore un tempo très alangui, se repaissant de ces sonorités il est vrai si agréables, l’Allegro non troppo fut très réussi grâce notamment à une petite harmonie de premier ordre et à des pupitres de violoncelles et d’altos d’une suavité indéniable. L’Adagio non troppo bénéficia lui aussi de cordes particulièrement à leur avantage mais le discours nous aura paru bien statique encore une fois, trop monocolore, sans les menues variations qui peuvent innerver le mouvement ici ou là. Pour autant, ce furent plutôt les deux derniers mouvements qui furent décevants. Le troisième, abordé de façon très (trop ?) mesurée, ne refléta guère la finesse de la partition en raison d’une importance trop grande donnée aux cordes, bien épaisses, même si cela pouvait parfois être grisant à l’image du pupitre de contrebasses emmené pour l’occasion par Lahav Shani qui avait quitté pour l’occasion tant son piano que sa baguette de chef. L’Allegretto con spirito fut assez grossier dans l’approche, Barenboim usant d’une gestique soit minimaliste, soit inutilement grandiloquente mais c’est un peu sa marque de fabrique depuis au moins une décennie donc on ne s’en étonna guère. Le dernier accord n’était pas encore terminé que le public applaudit à tout rompre une belle version de plein air de cette symphonie mais dont l’interprétation dans une vraie salle de concert pourrait sans doute donner lieu à des appréciations beaucoup plus sévères.



(© Sébastien Gauthier)


Face à l’enthousiasme des spectateurs, qui saluèrent les artistes en actionnant par milliers les lumières de leurs téléphones portables (moment magique !), Daniel Barenboim et ses musiciens donnèrent deux bis. Le Scherzo tiré du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn permit aux bois de faire montre de toute leur dextérité après presque deux heures de concert, la Cinquième Danse hongroise de Brahms concluant de façon totalement festive (interprétation très sirupeuse, applaudissements en mesure du public comme pour la Marche de Radetzky à Vienne le 1er janvier...) un concert qui fait indéniablement partie des grands rendez‑vous berlinois de l’été musical. Sachez d’ailleurs que les billets pour l’année prochaine sont d’ores et déjà en vente sur le site de la Boulezsaal : le West‑Eastern Divan Orchestra, toujours dirigé par Daniel Barenboim, devant donner un concert (dont le programme n’est pas encore dévoilé) le 9 août avec, en guest star, la violoniste Anne‑Sophie Mutter, membre honoraire de l’orchestre.


Le site d’Igor Levit
Le site de Daniel Barenboim
Le site du West-Eastern Divan Orchestra
Le site de la salle Pierre Boulez de Berlin



Sébastien Gauthier

 

 

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