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Entre confirmations et révélations

Normandie
Deauville (Salle Elie de Brignac‑Arqana)
08/02/2023 -  
Paul Dukas : La Plainte, au loin, du faune [*]
Gabriel Fauré : Nocturne n° 13, opus 119 – Requiem, opus 48 : « In Paradisum » (arrangement Gabriel Durliat) [*]
Claude Debussy : Petite Suite : 3. « Menuet » et 4. « Ballet » [#§]
Guillaume Lekeu : Trois Poèmes pour voix, quatuor à cordes et piano : 3. « Nocturne » [#]
Ernest Chausson : Chanson perpétuelle, opus 37 [#]
Erik Satie : Trois Morceaux en forme de poire [#§]
Maurice Ravel : Trio pour violon, violoncelle et piano en la mineur, M. 67 [&*]

Natalie Pérez (mezzo-soprano)
David Moreau, Vassily Chmykov [&] (violon), Paul Zientara (alto), Stéphanie Huang (violoncelle), Gaspard Thomas [#], Arthur Hinnewinkel [§], Gabriel Durliat [*] (piano)


G. Durliat (© Stéphane Guy)


Le festival de l’Août musical de Deauville, paradoxalement en pleine saison touristique moins couru que son grand frère de Pâques, est l’occasion pour de très jeunes interprètes de se produire en public et pour le public de découvrir de nouveaux talents. Le deuxième concert de la vingt‑deuxième édition du festival confirme la chose pleinement : des artistes débarqués depuis fort peu sur la plage deauvillaise ont confirmé leurs dons et d’autres leur extraordinaire précocité.


Alors que les festivals deauvillais sont normalement consacrés à la musique de chambre, à la pratique collective comme on dit dans les conservatoires, le concert débute ainsi par un mini‑récital de piano d’une nouvelle tête, le très jeune Gabriel Durliat, à peine 22 ans. Le garçon fait preuve d’une maturité exceptionnelle. Il débute par une pièce rarement donnée et extraite du Tombeau de Claude Debussy (1920), participation de Paul Dukas (1865‑1935) à un hommage collectif rendu à l’initiative de la Revue musicale par dix compositeurs différents au grand compositeur mort en 1918. L’influence de Debussy saute naturellement aux oreilles mais à vrai dire autant que l’originalité et la modernité de l’écriture du Dukas, qui n’est décidément pas l’auteur d’une seule œuvre, L’Apprenti sorcier. L’interprète sait en faire ressortir le côté ineffable, l’ostinato inébranlable de la main gauche décrivant une sorte de glas traduisant une peine incommensurable.


Le Treizième Nocturne de Gabriel Fauré (1845‑1924) qui suit constitue presque un soulagement et permet de se raccrocher un peu à la vie. Gabriel Durliat y montre qu’il sait changer d’univers. Sa touche est d’une subtilité qui impressionne chez un artiste d’une telle jeunesse. Dans son arrangement de la dernière pièce du Requiem du même Fauré, il fait preuve enfin d’une distinction peu commune, laissant toute sa place au recueillement. C’est la révélation de la soirée et peut‑être du festival. Le directeur musical des festivals de musique de chambre de Deauville depuis bientôt trente ans, l’infatigable Yves Petit de Voize, a eu bien raison de présenter cet artiste, alors que son récital n’était pas envisagé lors du dévoilement du programme des concerts, fin avril. On espère le revoir l’an prochain.



A. Hinnewinkel, G. Thomas (© Stéphane Guy)


Gabriel Durliat est ensuite remplacé par deux autres pianistes qu’on avait déjà beaucoup apprécié l’an dernier, Gaspard Thomas et Arthur Hinnewinkel. On quitte cette fois des rivages plutôt sinistres pour danser un peu avec le « Menuet » et le « Ballet » extraits de la Petite Suite pour piano à quatre mains (1889) de Claude Debussy (1862‑1918). Les deux compères, parfaitement synchronisés, confirment leurs talents. Ils déploient dans une formidable lecture des deux pièces programmées un jeu fait de charme, voire d’esprit et de finesse comme dans le « Ballet ».



D. Moreau, G. Thomas, V. Chmykov, N. Pérez, P. Zientara, S. Huang (© Stéphane Guy)


Gaspard Thomas reste ensuite sur scène pour le « Nocturne » pour voix, quatuor à cordes et piano (1892) de Guillaume Lekeu (1870‑1894), déjà entendu à Deauville en 2019. Les violonistes David Moreau et Vassily Chmykov participent cette fois au voyage. Ils s’y révèlent à la hauteur de cette superbe pièce. Natalie Pérez dispose quant à elle indéniablement d’une belle voix et d’un sens musical certain mais sa projection est faible et surtout son articulation aurait pu être meilleure : nous ne comprenons quasiment pas ce qu’elle chante alors que nous sommes dans l’axe. Elle se révèle un peu plus à son aise dans la Chanson perpétuelle d’Ernest Chausson (1855‑1899), déjà proposée à Deauville en 2019. Elle retient à l’évidence une simplicité d’approche dans ce petit chef‑d’œuvre. L’accompagnement est de son côté autant frémissant qu’exemplaire. Tout respire l’équilibre.


Après cette première partie plutôt sombre, qui a pu déprimer notre voisine et n’a pas vraiment réchauffé les cœurs au terme d’une journée balayée par les rafales de vent et les fortes averses, et la pause, on a droit à un peu d’éclaircie voire de sourire avec les sept pièces des Trois morceaux en forme de poire (1903) d’Erik Satie (1866‑1925), né à quelques kilomètres, à Honfleur. Gaspard Thomas a cette fois changé de côté et se retrouve du côté des aiguës du clavier. Avec son camarade Arthur Hinnewinkel, il sait parfaitement en préparer les surprises. C’est pétillant, acidulé et sans prétention, constamment plaisant.



V. Chmykov, G. Durliat, S. Huang (© Stéphane Guy)


Il fallait bien cela avant le Trio de Maurice Ravel (1875‑1937), dont Tristan Labouret, qui présente de façon toujours très claire et sobre les pièces des concerts pour le public et les auditeurs du site les diffusant en direct, b·concerts, se plaît à indiquer qu’il aurait été composé à Saint‑Jean‑de‑Luz en 1914, à la veille de la guerre, sous un temps exécrable, comme à Deauville en ce moment finalement. La réalisation est exemplaire. On reste encore plus admiratif si l’on prend en compte là aussi la jeunesse des interprètes. Si le piano de Gabriel Durliat aurait gagné à s’alléger un peu dans le final, la « Passacaille » est de toute beauté ; les interprètes prennent leur temps au bénéfice d’une belle expressivité. On apprécie notamment le violon de Vassily Chmykov, fait de précision et d’élégance. On l’avait repéré l’an dernier et noté sa maîtrise croissante lors du dernier festival de Pâques. Il faut reconnaître qu’il s’est encore surpassé.



Stéphane Guy

 

 

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