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Une Grisélidis aux voix modestes Paris
Théâtre des Champs-Elysées
07/04/2023 - et 2 juin 2023 (Montpellier)
Jules Massenet : Grisélidis
Vannina Santoni (Grisélidis), Julien Dran (Alain), Thomas Dolié (Le Marquis), Tassis Christoyannis (Le Diable), Antoinette Dennefeld (Fiamina), Adèle Charvet (Bertrade), Thibault de Damas (Le Prieur), Adrien Fournaison (Gondebaut)
Chœur Opéra national Montpellier Occitanie, Noëlle Gény (cheffe de chœur), Orchestre national Montpellier Occitanie, Jean‑Marie Zeitouni (direction)
V. Santoni (© Capucine de Chocqueuse)
Le livret, pourtant tiré de Boccace et de Perrault, est d’une niaiserie sulpicienne, avec ce diable d’opérette, cette statue de sainte qui disparaît pour reparaître avec l’enfant enlevé par Satan... Mais le sujet ne pouvait qu’intéresser Massenet : si Grisélidis est vertueuse, elle doit résister à la tentation, incarnée par le berger Alain, son amour de jeunesse, alors que son mari est parti combattre l’infidèle. Qui connaît le compositeur retrouvera des réminiscences d’opéras précédents, entre autres de Thaïs pour la sensualité, de Manon pour le comique. Le diable, plus drôle que méchant, se souvient de Guillot de Morfontaine, le conte lyrique renouant avec le néoclassicisme de l’opéra‑comique, alors que la modalité archaïsante donne parfois à la partition des teintes mordorées et que l’orchestre marie les timbres en de subtils alliages dont le Debussy de Pelléas, créé un an plus tard, n’est pas si éloigné. Mais cet orchestre brûle aussi des élans du désir et crache le venin des esprits malins. Bref, il faut aller, dans Grisélidis, au‑delà de l’histoire, pour humer les parfums délicats ou sulfureux de la musique de Massenet.
Même si les sonorités de l’Orchestre de Montpellier ne sont pas les plus belles, Jean‑Marie Zeitouni rend toute justice à la partition, avec un sens de la narration, une souplesse du geste et une variété d’atmosphères. Il dirige une distribution stylistiquement pertinente mais qui n’a pas toujours le format requis par une œuvre appelant de plus grandes voix. Massenet, par exemple, avait écrit le rôle de Grisélidis pour Lucienne Bréval, soprano de type falcon, donc au médium et au grave nourris, qui chantait Brünnhilde de La Walkyrie et Kundry. Peu assurée au premier acte, Vannina Santoni rachète ensuite la légèreté de ses moyens, notamment dans la prière « Il partit » et la scène avec Alain, par l’élégance de la ligne et la finesse de la composition. Julien Dran, en revanche, doit forcer son émission, trop tendue et trop serrée dans la quinte aiguë, pour les élans éperdus du berger, qui appellent un Des Grieux ou un Werther.
Le marquis est un baryton puissant, successeur du tétrarque d’Hérodiade ou de l’Athanaël de Thaïs, où l’on attend aujourd’hui un Ludovic Tézier. A défaut d’en avoir le timbre et la stature, surtout au troisième acte, Thomas Dolié en a la noblesse, plus convaincant qu’un Tassis Christoyannis fatigué, engorgé et trop court de grave pour un rôle de baryton‑basse, pas très à l’aise, malgré une articulation impeccable, dans la déclamation où le mot doit claquer et où excellait le premier diable, Lucien Fugère, comédien chanteur par excellence – vocalement, le chanteur grec serait plutôt un Marquis. Mais on rend les armes devant l’irrésistible verve comique de ce tentateur, que vient de confirmer son Falstaff lillois, faite d’un savant dosage de truculence et de distinction.
Il est marié à une Antoinette Dennefeld décevante, dont l’absence de projection du médium ne peut compenser le piquant. Si Thibault de Damas et d’Adrien Fournaison, au grave trop discret, manquent un peu de présence en Prieur et en Gondebaud, on met chapeau bas devant la Bertrade d’Adèle Charvet, beau mezzo de chair et de lumière, dont la chanson, qui annonce Mélisande en haut de sa tour, est un modèle de phrasé et d’émotion – le grand style français.
Attendons maintenant le disque, sans doute plus flatteur pour les voix.
Didier van Moere
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