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Quand Gounod ressuscite Shakespeare

Paris
Opéra Bastille
06/17/2023 -  et 20, 23*, 26, 27, 29, 30 juin, 3, 4, 6, 7, 9, 11, 12, 15 juillet 2023
Charles Gounod : Roméo et Juliette
Elsa Dreisig*/Pretty Yende (Juliette), Lea Desandre*/Marina Viotti (Stéphano), Sylvie Brunet (Gertrude), Benjamin Bernheim*/Francesco Demuro (Roméo), Maciej Kwasnikowski (Tybalt), Thomas Ricart (Benvolio), Huw Montague Rendall*/Florian Sempey (Mercutio), Sergio Villegas Galvain (Pâris), Yiorgo Ioannou (Grégorio), Laurent Naouri (Capulet), Jean Teitgen (Frère Laurent), Jérôme Boutillier (Le Duc de Vérone)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, Maîtrise des Hauts‑de‑Seine/Chœurs d’enfants de l’Opéra national de Paris, Ching‑Lien Wu (cheffe des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Carlo Rizzi (direction musicale)
Thomas Jolly (mise en scène), Katja Krüger (collaboration artistique), Bruno de Lavenère (décors), Sylvette Dequest (costumes), Antoine Travert (lumières) Josépha Madoki (chorégraphie)


B. Bernheim, E. Dreisig (© Vincent Pontet/Opéra national de Paris)


Le palais des Capulet est derrière l’escalier de Garnier : tel est le superbe décor pivotant imaginé par Bruno de Lavenère. Thomas Jolly va‑t‑il nous faire le coup de la mise en abyme ? Non. Les personnages sont ceux de Roméo et Juliette, on n’aura pas ces jeux de rôles dont la mise en scène lyrique se repaît aujourd’hui. Tout est plutôt clin d’œil, au ballet de l’époque notamment – à Giselle sans doute, quand Mercutio chante la ballade de la Reine Mab. Et la barque de frère Laurent ne serait‑elle pas sur le lac des souterrains ? Faut‑il penser, alors qu’on n’ose ici évoquer La Grande Vadrouille, au Fantôme de l’Opéra ? Rien de plus justifié en tout cas : nous voyons la version « grand opéra », où le IV s’enrichit du ballet, créée in loco en 1888.


Grand opéra et grand spectacle. Le premier acte relève du show, avec ses costumes revisités, créations parfois délirantes de Sylvette Dequest, ses chorégraphies de Josépha Madoki marqués par le waacking des années 1970, carnaval nocturne dans une Vérone ravagée par la peste, avec paillettes et serpentins. Tout d’ailleurs se déroule la nuit, une nuit à l’étrangeté vaporeuse, que mordore la lumière des candélabres. Grâce aux lumières d’Antoine Travert, la production enchaîne des tableaux visuellement très beaux, conjuguant Renaissance et fin‑de‑siècle, facéties de la commedia dell’arte et fastes du théâtre baroque.


Familier de son univers, le metteur en scène, dont la trilogie Henry VI a marqué les esprits et qui, dans un Angers confiné, représentait la scène du balcon... sur le balcon de son appartement, ressuscite Shakespeare à travers Gounod, à travers un équilibre parfait entre la grandeur de la fresque et l’intimisme du dessin, les duels et les duos, la violence de la haine et les douceurs de l’amour, que met à nu une direction d’acteur volontairement fidèle à la lettre et à l’esprit. Bref, c’est spectaculaire et virtuose, mais pas superficiel.


La direction d’orchestre s’avère plus inégale. Vrai chef de fosse, qui sait entretenir une tension, Carlo Rizzi ne se montre guère sensible aux subtilités coloristes, à la poésie sensuelle de la partition de Gounod. Il tient les ensembles en tout cas, en particulier le grand final du III, même s’il n’évite pas le pompiérisme précipité au I. Les amants de Vérone forment un couple presque idéal. La beauté veloutée du timbre, la souplesse de l’émission, qui garantit l’homogénéité des registres et l’aisance de l’aigu, l’élégance racée de la ligne, l’éventail des nuances font de Benjamin Bernheim un Roméo d’anthologie, préservant la mélancolie du personnage – peut‑être parce que l’interprète conserve toujours une certaine réserve. Nonobstant quelques aigus un peu durcis et une entrée qu’on pourrait souhaiter plus légère, la Juliette d’Elsa Dreisig, dès qu’elle prend la mesure de son destin, n’est pas moins magnifique, par la chair du médium, là où l’on distribue souvent des sopranos trop légers, la frémissante beauté du phrasé, l’incandescence de l’incarnation – qui culmine dans l’air du breuvage, dont les grands élans appellent cette voix corsée.


Tous deux montrent sur quels sommets peut se situer l’école française, avec le Frère Laurent tutélaire de Jean Teitgen, vraie basse noble au legato d’école, le Capulet facétieux ou violent d’un Laurent Naouri encore en voix, la Gertrude caractérisée de Sylvie Brunet‑Grupposo, le Duc plein d’autorité de Jérôme Boutillier, à qui manque seulement un surcroît de mordant, le Page à l’insolence espiègle de Lea Desandre, malgré la modestie d’un format inadapté à Bastille. Du style français, le Mercutio bouillant de Huw Montague Rendall et le Tybalt morgueux de Maciej Kwasnikowski – un futur Roméo ? – se sont approprié les principes, parfaitement intégrés à la distribution. Un rien décalé çà et là, le chœur est celui des grands soirs.


Roméo et Juliette entre donc brillamment à Bastille, dont il termine la saison avec éclat. Parfois en alternance, une seconde distribution est prévue, où Francesco Demuro sera Roméo, Pretty Yende Juliette, Marina Viotti Stéphano, Florent Sempey Mercutio.



Didier van Moere

 

 

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