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Un grand chef indien

Berlin
Philharmonie
06/15/2023 -  et 16, 17 juin 2023
Robert Schumann : Genoveva, opus 81 : Ouverture
Béla Bartók : Concerto pour piano et orchestre n° 2, Sz. 95
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Symphonie n° 4 en fa mineur, opus 36

Yefim Bronfman (piano)
Berliner Philharmoniker, Zubin Mehta (direction)


Z. Mehta (© Sébastien Gauthier)


Cela faisait un petit moment que nous n’étions pas venus à Berlin. Nous avions donc un petit peu oublié l’importance de la musique classique dans cette ville : certains panneaux publicitaires visibles sur le réseau du S‑Bahn (équivalent de notre RER francilien) ou du U‑Bahn (le métro) affichent donc actuellement les visages d’Anne‑Sophie Mutter, de Daniil Trifonov ou annoncent le dernier concert de la saison du Deutsches Symphonie-Orchester Berlin qui, sous la baguette de Kent Nagano, va donner à la fin du mois la Sixième Symphonie de Mahler. Evidemment, le programme donné ce soir, et ce à trois reprises comme de coutume, par le Philharmonique de Berlin affichait complet depuis des semaines et on n’a pu s’empêcher de sourire en entendant un couple assis à quelques sièges du notre remarquer l’entrée de tel ou tel chef de pupitre qu’ils avaient reconnu au premier coup d’œil, preuve de la proximité que le public berlinois entretient avec son orchestre‑phare. Le public parisien saurait‑il reconnaître un soliste de l’Orchestre de Paris ou du National ? Qu’on nous permette d’en douter...


Le triptyque est connu : ouverture, concerto, symphonie. En l’espèce, les trois œuvres de cette soirée figuraient depuis longtemps au répertoire de l’orchestre mais on remarquera tout de même que l’ouverture de Schumann n’avait pas été donnée depuis 2016 (sous la direction de Christian Thielemann), le concerto de Bartók depuis 2017 (sous les doigts de Yuja Wang), dernière année également où la première des trois « grandes » symphonies de Tchaïkovski a été jouée par le Philharmonique (sous la baguette de Riccardo Muti). Et c’est donc à une véritable légende vivante que ce programme était confié ce soir, en la personne de Zubin Mehta. Le chef indien, qui a fait ses débuts avec le Philharmonique de Berlin en septembre 1961, entre à pas comptés, s’appuyant sur une canne avant de s’installer sur une haute chaise de contrebassiste (qui permet de poser ses pieds de chaque côté), son arrivée sur le podium proprement dit ayant été saluée par une véritable ovation.


Le concert démarra néanmoins doucement L’Ouverture de Genoveva (1847‑1850) est presque un condensé de tout ce que la musique romantique peut offrir : des cordes emportées, des bois enjôleurs, des cors conquérants, une entrée en matière assez recueillie avant une fin étourdissante, tourbillonnante même... Si la direction de Zubin Mehta nous apparaît, en tout cas d’après ce que l’on en a vu dans la mesure où le chef économise ses gestes et reste globalement statique (les spectateurs placés face au chef pourraient sans doute nous en dire davantage), toujours aussi élégante, elle a peut‑être perdu là un rien de précision, de telle sorte qu’un flottement perceptible gagne le pupitre des premiers violons au début de la partie rapide de l’ouverture. C’est pourtant surtout cette second partie qui fut pleinement convaincante, grâce notamment à des cordes dont la fougue fut communicative, celles‑ci ayant été ce soir emmenées par Vineta Sareika‑Völkner, dont on sait qu’elle fut récemment nommée Konzertmeisterin. Les couleurs des Berlinois furent ici d’une très grande diversité et les bois se distinguèrent par une finesse de tout premier ordre : il n’y a pas à dire, les Berliner restent les Berliner.


Yefim Bronfman est un habitué du Deuxième Concerto de Bartók comme ont pu l’illustrer ses concerts tant sous la direction d’Andrés Orozco‑Estrada avec le Philharmonique de Vienne que sous celle, tout récemment, de Rafael Payare, cette fois‑ci avec l’Orchestre symphonique de Montréal. Face à cette partition d’une complexité étonnante qui, à bien des égards, par la parenté stylistique de certains passages, nous semble être davantage un concerto pour orchestre « avec piano obligé » qu’un strict concerto pour piano, le pianiste israélien joue sur du velours. Arrivé doucement sur scène, son visage d’ours mal léché se tournant de temps à autre vers Zubin Mehta pour vérifier que le maestro le suit bien avant de gagner son estrade avec précaution, Bronfman aborde le premier mouvement avec toute la fougue requise, les cuivres de l’orchestre (quatre cors, trois trompettes, trois trombones au sein desquels jouait le pourtant jeune retraité Christhard Gössling, qui jouait d’ailleurs au même titre que Madeleine Carruzzo, pourtant elle aussi admise à la retraite comme on l’a récemment mentionné) se montrant sous leur meilleur jour. Les difficultés techniques s’enchaînent sans coup férir, Bronfman sachant y instiller toute la dentelle qu’il convient au milieu des dissonances et des écarts mélodiques de la partition. Le mouvement lent (Adagio - Presto - Adagio), si déconcertant avec certaines de ses phrases qui ne semblent aller nulle part, met en valeur le jeu très délicat de Yefim Bronfman, avec ses notes suspendues et ses silences habités pleinement, mais également, au sein de l’orchestre, celui d’une redoutable efficacité du timbalier Vincent Vogel, alternant avec une remarquable maestria les roulements tout en douceur ou un jeu totalement tellurique. Retour à l’orchestre dans son ensemble pour le mouvement conclusif, dans lequel le tourbillon bartokien revient en force (ah ! ce pupitre de sept contrebasses, une nouvelle fois déchaîné ce soir !), le public mettant d’ailleurs quelques secondes à réagir tant il a été abasourdi par une telle performance. Longuement applaudi, Yefim Bronfman donna en bis une de ses pièces fétiches avec le Deuxième des Nocturnes opus 9 de Chopin, écouté dans un silence religieux : il nous fallait bien un si grand contraste pour se remettre du concerto.


En seconde partie, la Quatrième Symphonie de Tchaïkovski, que l’on n’a d’ailleurs pas si fréquemment l’occasion d’entendre en concert, contrairement aux deux suivantes. A titre personnel, un de nos plus grands souvenirs concernant Zubin Mehta fut justement de l’avoir entendu diriger cette même symphonie, à la tête des Wiener Philharmoniker : c’était au Théâtre des Champs‑Elysées, le 24 avril 2001 (signalons d’ailleurs que ce concert a fait l’objet d’une publication éditée par le Théâtre des Champs‑Elysées dans le cadre d’un coffret spécial regroupant également, toujours avec les Viennois, la Deuxième de Brahms par Ozawa et la Grande de Schubert par Muti, également données en concert avenue Montaigne). Ce soir, âge aidant sans doute, le discours du chef indien a perdu en flamboyance et s’est quelque peu empâté ; les tempi sont généralement retenus, sans être alanguis ou sirupeux pour autant, les contrastes s’avérant un rien moins marqués. Pour autant, la machinerie berlinoise offre une démonstration impressionnante, du pupitre de cors emmené ce soir par Hanno Westphal, cor solo de la Staatskapelle de Berlin, aux bois (Albrecht Mayer, toujours irréprochable en lançant le deuxième mouvement, ou le magnifique Bernhard Mitmesser à la clarinette solo, lui qui occupe habituellement le poste de soliste au sein de l’Orchestre du Mozarteum de Salzbourg) en passant bien entendu par les cordes (legato extrême, pizzicati au cordeau dans le troisième mouvement). Usant d’une gestique minimaliste mais très précise et attentive, Zubin Mehta dirige par cœur avec un évident plaisir, sollicitant juste en tant que de besoin les premiers violons ou invitant tel ou tel pupitre à faire son entrée dans un environnement sûr et donc totalement réconfortant pour les musiciens.


Ovationné comme on pouvait s’y attendre, Zubin Mehta revint sur scène quatre fois avant d’emmener à son bras Vineta Sareika‑Völkner, à qui il avait auparavant donné le bouquet de fleurs qui lui avait été offert. Rendez‑vous l’année prochaine où, lors de son unique venue à la tête des Berliner, il dirigera notamment la Cinquième Symphonie de Mahler.


Le site de Yefim Bronfman



Sébastien Gauthier

 

 

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