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Le retour de la joie rossinienne

Madrid
Teatro Real
05/31/2023 -  et 1er, 2, 3, 4, 6, 7, 9*, 11, 12 juin 2023
Gioacchino Rossini : Il turco in Italia
Lisette Oropesa*/Sara Blanch/Sabina Puértolas (Fiorilla), Alex Esposito*/Adrian Sâmpetrean (Selim), Paola Gardina*/Chiara Amarù (Zaida), Florian Sempey*/Mattia Olivieri (Prosdocimo), Edgardo Rocha*/Anicio Zorzi (Don Narciso), Misha Kiria*/Pietro Spagnoli (Don Geronio), Pablo García‑López (Albazar)
Coro Titular del Teatro Real (Coro Intermezzo), Andrés Máspero (chef de chœur), Orquesta Titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Giacomo Sagripanti (pianoforte, direction musicale)
Laurent Pelly (mise en scène, costumes), Chantal Thomas (décors), Joël Adam (lumières)


E. Rocha, F. Sempey, M. Kiria (© Javier del Real/Teatro Real)


C’est l’opéra d’un jeune compositeur qui n’a pas encore écrit son Barbier ni sa Sémiramis et il rencontre déjà Felice Romani, formidable et fécond auteur de livrets d’opéra. Romani lui fournit un livret composite, pas tout à fait de lui, et ce n’est pas un succès. Rossini change, remanie, mais... Il faudra un siècle, il faudra Gavazzeni, il faudra Maria Callas pour la résurrection glorieuse du Turc in Italie. On se demande en outre comment on peut composer un opéra si gai, si agile, après une œuvre aussi pleine d’humour que L’Italienne à Alger, pendant les guerres napoléoniennes. Le Congrès de Vienne n’a alors pas encore ouvert ses portes réactionnaires.


Dans Le Turc en Italie, il y a six personnages, plus Albazar. Ces six personnages sont inquiets dans leur sensualité. Ce qu’ils veulent, c’est avoir des relations avec le sexe opposé. Pour le dire poliment. La coquette Fiorella, jouée par une soprano lyrique riche en agilité, vocalises et légèreté, voudrait tout simplement draguer les beaux gars qui sont dans la rue, le port, les cafés, pas comme son mari, un peu trop vieux pour elle, mariée avec lui en quelque sorte pour des raisons de promotion sociale. Mais la mise en scène de Laurent Pelly met l’accent sur une situation. Elle consomme (elle lit) des quantités infinies de romans‑photos, une sorte de revue illustrée racontant des amours conventionnelles, avec des acteurs dont les visages et les gestes étaient outrageusement conventionnels. Tout comme leurs vêtements, leur mobilier, leurs voitures. On a l’impression que Laurent Pelly considère que l’origine de la coquetterie irrépressible de Fiorella se trouve dans les romans‑photos qu’elle n’arrête jamais de lire. Et cela fait d’elle un personnage central. A mon avis, dans l’opéra original, il n’y a pas de personnage central : ni Fiorella, ni le Turc, ni le poète... Ce sont six personnages à la recherche d’amours excitantes et brèves, sans d’engagement. Dans la mise en scène de Pelly, au contraire, un auteur, Prosdocimo, cherche six personnages pour sa pièce, imaginée au fur et à mesure de l’action ; tout comme le titre de l’étude de Joan Matabosch dans le programme de salle, et pour le dire à la manière pirandellienne, un autore in cerca de sei personaggi. Soit, d’accord, pourquoi pas ? C’est le roman‑photo, avec en outre la sensualité juvénile de la jeune femme, qui fait incontestablement de Fiorella le personnage principal. Dans la folie de l’action, agile, accélérée, irrésistible, il faut une voix et une actrice, tout dans la même personne, d’une grande hauteur artistique. Lisette Oropesa est un de ces êtres humains qu’on dirait faits pour la scène, voire l’écran, la comédie, la farce, la facétie, le drame, en même temps qu’elle possède les caractéristiques – ou plutôt les qualités – exigées pour chanter le rôle : Rosina, Lucia, Adina, Gilda, Violetta, Manon... On dirait un rôle léger, et justement cette légèreté cache l’insoutenable lourdeur d’un travail acharné. La qualité principale est de faire croire que cela est aussi facile que réjouissant. Et l’icône conçue par Pelly ? A certains moments, Lisette me rappelle Gina Lollobrigida dans ses premières années américaines ; ou Carmen Jones entourée des jeunes coquins, c’est‑à‑dire Carmen de Bizet entourée par un essaim de mâles torturés par les picotements inassouvis de la déesse (une déesse parfois grave, parfois piquante, voilà tout).


La torture à laquelle les autres personnages sont soumis ressemble à celle de Lisette, toujours riante, toujours inquiète pour le type costaud qu’elle poursuit de ses assiduités. La torture de Geronio, un mari tolérant, mais les choses ont une limite, n’est‑ce pas ? Une aria du deuxième acte, qu’on on ne joue pas toujours, juste avant le bal masqué, toute en valeurs courtes, a été conservée et cela a été le moment le plus brillant du baryton-basse géorgien Misha Kiria. La torture du poète – « auteur dramatique », dirait‑on aujourd’hui –, trop narquois pour nous faire pitié, est pour une femme plus élevée (vraiment ?), c’est pour la Muse, hélas ! Florian Sempey campe un personnage plus malin dans ses actes qu’exubérant par la ruse dans les gestes. Ah, la torture du Turc, de Selim, un bel homme, étonné par l’Italie, ses habitudes... et ses femmes ! Un papillon sans cesse derrière les jupes ! Costaud... mais un Chérubin, après tout. Formidable création de la basse sicilienne Alex Esposito, un équilibre entre bouffe et comédie. Et que dire de la torture de l’autre héroïne, Zaida, l’amoureuse de Selim, celle qui attende, sans espoir, de revoir son amant ? Paola Gardina joue une élégante Zaida, un peu éloigné du modèle (fille mimétisée dans la bande des gitans criant leur liberté), avec une belle voix épaisse mais proche du soprano ; Gardina a été Cenerentola, Adalgisa, le Romeo de Bellini, Dorabella... Enfin, le ténor uruguayen Edgardo Rocha tient son rôle, qui ne brille pas dans l’action mais dont la dimension vocale est importante. C’est le personnage qui aime la femme mariée, la femme d’un ami, mais rien n’est important à Naples... en apparence, tout du moins. Il est doublement déçu et trompé, par ce qu’il y a le Turc et il y a le mari, finalement vainqueur – en tout cas, c’est à ce moment‑là que le rideau tombe. Ce n’était pas encore l’époque des ténors vedettes, héros, jeunes premiers des répartitions. Il y a une septième voix, Albazar, aidant les personnages dans leurs démarches, avec la belle voix de ténor du jeune Andalou Pablo García‑López.


On a parlé agilité, on a vécu le verbe infini de ces voix, mais tout cela est fondé sur une base sonore permanente qui accompagne et motive ces moments extraordinaires qu’on appelle les crescendos. Ah, les crescendi de Rossini, quelle vie, quelle agilité ils donnent au spectacle. Tout comme les ensembles, formidables, surtout dans le premier acte, insurpassable dans le finale du premier, comme d’habitude pour les finales des actes chez Rossini, que ce soit dans un opéra seria, bouffe ou semi‑seria, comme La Cenerentola ou La Pie voleuse. Et le fondement réside dans l’orchestre, plein de nerf, de verbe, d’adresse, celui du Teatro Real, en particulier quand il est empoigné par un chef comme Giacomo Sagripanti, qui tient en outre le pianoforte. Et la fosse et les personnages sont entourés (protégés ?) par ce chœur, dirigé par Andrés Máspero, toujours au niveau remarquable qui est le sien.


La complicité est aussi celle entre les voix, fosse et Laurent Pelly. Celui‑ci se fonde aussi sur les beaux costumes qu’il a conçus (années 1950 ?) et sur la scénographie pratique et efficace de Chantal Thomas.


Encore un succès du Teatro Real. On risque de s’y habituer.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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