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Un beau spectacle plombé par le chef

Bordeaux
Grand-Théâtre
06/02/2023 -  et 5, 7, 9, 11 juin 2023
Francis Poulenc : Dialogues des carmélites
Anne-Catherine Gillet (Blanche de la Force), Lucie Roche*/Mireille Delunsch (Mme de Croissy), Patrizia Ciofi (Mme Lidoine), Thomas Bettinger (Le chevalier de la Force), Sébastien Droy (L’aumônier), Frédéric Caton (Le marquis de la Force), Lila Dufy (Sœur Constance), Marie‑Andrée Bouchard‑Lesieur (Mère Marie de l’Incarnation), Etienne de Bénazé (Le premier commissaire), Thierry Cartier (Le second commissaire), Igor Mostovoï (Un officier), Simon Solas (M. Javelinot), Timothée Varon (Geôlier), Gaëlle Flores (Mère Jeanne), Amélie De Broissia (Sœur Mathilde)
Chœur de l’Opéra national de Bordeaux, Salvatore Caputo (chef de chœur), Orchestre national Bordeaux Aquitaine, Emmanuel Villaume (direction musicale)
Mireille Delunsch (mise en scène), Rudy Sabounghi (décors, costumes), Dominique Borrini (lumières)


(© Eric Bouloumié)


Alors que l’Opéra Royal de Wallonie‑Liège s’apprête à en proposer une nouvelle production (sous la férule de Marie Lambert‑Le Bihan), Dialogues des carmélites est repris à l’Opéra national de Bordeaux Aquitaine dans la mise en scène que Mireille Delunsch avait créée dans ces mêmes murs en 2013. Là où un Christophe Honoré (à Lyon) ou un Dmitri Tcherniakov (à Munich) ont pris beaucoup de liberté avec la spatiotemporalité du livret, Delunsch est restée très fidèle au carmel et à l’époque révolutionnaire. Son travail fait valoir une rare et précieuse force expressive, ainsi qu’une cohérence de ton exemplaire. Il semble axé sur la clarté et la luminosité, les contrastes – intérieurs et extérieurs –, l’épreuve admise voire désirée, la spiritualité affirmée, revendiquée même. Le parcours des carmélites s’inscrit ainsi dans une trajectoire toujours ascendante, traversée par le doute, la peur, mais en soi inéluctable.


La simplicité et la fonctionnalité des décors (signés Rudy Sabounghi), la beauté formelle des costumes (également conçus par Sabounghi), la souplesse des éclairages de Dominique Borrini (on se souvient qu’il avait également signé ceux – magnifiques – de la fameuse production de Marthe Keller à l’Opéra national du Rhin en 1999), tous ces éléments se conjuguent et s’affirment les uns les autres. Ainsi, chaque scène se nourrit de la précédente et serait à citer en exemple de la démarche. L’épilogue, un des plus poignants de toute l’histoire de l’art lyrique, est, par exemple, magistralement traité : sous le regard d’une foule hostile, les religieuses montent une à une, au rythme des claquements sinistres du couperet, un escalier qui mène vers une guillotine placée dans les dégagements (après avoir traversé le plateau). A chaque vie fauchée, des bougies disséminées sur le plateau s’éteignent : image d’une intense force émotionnelle.


Entièrement renouvelée par rapport à la première mouture, la distribution rend pleinement justice à la partition de Poulenc, le texte de Bernanos étant de son côté déclamé dans un français parfaitement intelligible. Dans le rôle de Blanche de la Force, la soprano wallonne Anne‑Catherine Gillet convainc par un chant d’une parfaite musicalité et un jeu habité. D’une présence faite autant de délicatesse que de ténacité, elle délivre une émotion et une force intérieure rares. En Constance, la jeune Lila Dufy possède les qualités de sa consœur, avec néanmoins une fraîcheur de timbre et des couleurs bien à elle. Mme de Croissy est tenu par la mezzo Lucie Roche (en alternance avec Mireille Delunsch elle‑même), rôle dans lequel elle fait preuve d’un bel engagement scénique, surtout lors de l’agonie, qui restera comme l’un des moments les plus poignants de la soirée. L’ampleur de la voix et un français parfaitement articulé concourent à rendre son chant impactant.


En seconde prieure, la soprano italienne Patrizia Ciofi, si elle ne possède pas exactement le (large) format vocal requis par cette partie, interprète néanmoins avec naturel, douceur et autorité un rôle où nous ne l’attendions pas. C’est en revanche une véritable révélation que d’entendre la mezzo Marie‑Andrée Bouchard‑Lesieur dans le rôle de Mère Marie, et bien loin des mezzos en fin de carrière auxquels on donne souvent le rôle, c’est avec toute l’impétuosité de sa jeunesse et de ses impressionnants moyens qu’elle l’endosse. Enfin, Gaëlle Flores (Mère Jeanne), et Amélie De Broissia (Sœur Mathilde) s’acquittent avec honneur de leurs courtes interventions.


Les hommes ne sont pas en reste, à commencer par l’excellent Marquis de Frédéric Caton, qui se montre à sa bonne habitude exemplaire de diction et de ligne. L’étonnant ténor bordelais Thomas Bettinger, que l’on pourrait juger surdimensionné pour le Chevalier, a l’immense mérite de redonner au frère de Blanche son statut de premier plan. Enfin, Sébastien Droy est un percutant Aumônier, tandis que les interventions du jeune baryton Timothée Varon, en Geôlier, suscitent l’attention et méritent une mention, sans que ses deux collègues Igor Mostovoï (l’Officier) et Simon Solas (Dr Javelinot) ne déméritent non plus.


Las, la fosse ne suscite pas le même enthousiasme, et il semble qu’Emmanuel Villaume n’ait pas su évaluer l’acoustique sèche de la bonbonnière XVIIIe qu’est le Grand‑Théâtre. Sous sa battue tonitruante qui ne se soucie que d’effets dramatiques, l’intimisme de la partition et surtout les voix sont mis à rude épreuve... Dommage !



Emmanuel Andrieu

 

 

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