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Teatro Real
04/17/2023 -  et 21, 24, 26, 28, 30 avril, 2 mai 2023
John Adams : Nixon in China
Jacques Imbrailo (Zhou Enlai), Leigh Melrose (Richard Nixon), Borja Quiza (Henry Kissinger), Alfred Kim (Mao Zedong), Sarah Tynan (Pat Nixon), Audrey Luna (Chiang Ch’ing). Sandra Ferrández, Gemma Coma-Alabert, Ekaterina Antípova (Secrétaires de Mao)
Coro Titular del Teatro Real (Coro Intermezzo), Andrés Máspero (chef de chœur), Orquesta Titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Olivia Lee-Gunderman*/Kornilios Michailidis (direction musicale)
John Fulljames (mise en scène), Dick Bird (décors, costumes), Ellen Ruge (lumières), John Ross (chorégraphie), Cameron Crosby (design sonore), Will Duke (design vidéo)


S. Tynan, B. Quiza, L. Melrose (© Javier del Real/Teatro Real)


Nixon in China, un des opéras de notre temps ayant constamment donné lieu à de nouvelles productions, est arrivé presque au même moment à Paris et à Madrid, avec deux spectacles très différents. Le compte rendu par Didier van Moere de la production de l’Opéra Bastille nous permettra de nous dispenser de considérations historiques à propos de l’événement qui a inspiré les auteurs : John Adams pour la musique, Alice Goodman pour le livret et sans oublier Peter Sellars, le metteur en scène, qui a eu l’idée originale et lui a donné vie pour en mettre en scène la création. Après tout, cette histoire se déroule début 1972, et tout le monde la connaît, de façon directe ou non.


C’est un opéra dépourvu de sens dramatique conventionnel. Pas de conflit, de crise, de catastrophe. Le conflit est implicite, on se situe à un moment où la guerre du Vietnam entre dans une crise inévitable, la visite est un pari de la guerre froide (contre l’URSS, entre autres). L’opéra commence et se poursuit d’une façon colorée : l’enthousiasme de Nixon dans la passerelle de l’avion ; les entretiens pas très faciles, mais bien conduits entre Mao et Nixon ; les célébrations, les toasts, avec leurs monologues et proclamations, même la reconstruction d’un ballet où Mme Mao (Chiang Ch’ing) fait avaler la propagande aux invités. Mais cela finit à l’acte III de façon apparemment paisible, la tension venant des personnages, un finale plutôt adagio où Mao et son épouse, Dick et Pat Nixon montrent leur nostalgie, leur doutes sur eux‑mêmes. C’est un moment très proche de la fin de carrière politique ou de vie de tous les personnages, mais ils ne le savent pas, peut‑être s’en doutent‑ils. Zhou Enlai est seul, mais sa voix s’ajoute pour former un quintette. Zhou est plus lucide et clairvoyant, Adams et Goodman lui confèrent cet apanage, c’est lui qui a le dernier mot. Une scène toute calme pourrait faire penser que l’éclat des deux actes antérieurs retombe dans un finale décevant mais ce n’est pas le cas, c’est une solution sage, celle de personnages si proches de nous dans le temps qui ne sont plus là (exception faite de Kissinger, qui aura 100 ans en mai prochain), qui ont été capitaux dans l’histoire du XXe siècle. Ici, l’éclat est discret, caché. La crise du système chinois, tout comme la mort de Mao, est proche. Le Watergate date de cette même année, Nixon démissionnant à l’été 1974. Et les vidéos de Will Duke dans la mise en scène de John Fulljames nous suggèrent souvent le contexte à venir, en même temps que ces images nous rappellent que tout est exact, que tout s’est déroulé, à peu près, comme cela. Mais la poétique de cet opéra va au‑delà des faits, ce n’est pas un documentaire mais une fantaisie sur des faits bien documentés.


Cet opéra requiert six voix solistes et trois voix chantant le trio des secrétaires de Mao. La voix de Kissinger devient, pendant le ballet, le « méchant », le « vilain » de l’histoire, et cela a, certainement, un sens. Il y a aussi un chœur personnifiant peut‑être le peuple chinois, peut‑être les bureaucrates, les serviteurs de tout genre, y compris le chœur du ballet. La musique, surtout dans la fosse, est ce qu’on appelle minimaliste. Ce n’est pas le minimalisme de Glass, Adams a un sens dramatique plus raffiné, même si le minimalisme sert ici, comme ailleurs, comme un point de tension, un ostinato parfois implacable. Le minimalisme peut imposer l’hypnose, le contraire du jugement libre du spectateur. Ce n’est le cas de Nixon in China, où l’ostinato conduit toujours ) une résolution lucide.


Certaines situations en referment d’autres, comme dans les monologues, les discours de Zhou et Nixon (acte I, tableau III) : Zhou et Nixon, chacun de son côté, introduisent d’autres discours, d’autres situations sonores, d’une veine lyrique, dans leurs propos, intimes malgré eux, que les autres protagonistes n’entendent pas.


On a rappelé que cet opéra provient d’une idée de Peter Sellars, qui a suggéré à Adams, jeune à l’époque mais déjà consacré, la collaboration avec Alice Goodman : un opéra à partir d’un événement très proche dans le temps (1987, première de l’opéra). Il faut remarquer l’enthousiasme de Dick Nixon arrivant en Chine : « tout le monde a les yeux fixés sur nous ». Le monologue de Pat Nixon peut surprendre (acte II) : des banalités, des mièvreries, un peu de naïveté, mais avec un lyrisme émouvant. C’est un chef‑d’œuvre dans la conception théâtrale d’Adams, de Goodman, et aussi de Sellars.


La mise en scène de Fulljames est fondée sur le mouvement, la relation entre les personnages. C’est une mise en scène dynamique, agile, hormis les moments où les personnages font preuve d’une espèce d’introspection, mais ici, il n’y a pas de psychologie – à quoi bon la psychologie ici ?. La production s’appuie, comme on l’a vu, sur la projection de documents visuels de l’époque, envahissant parfois la scène, voire les acteurs. Un des points culminants est le ballet (heureusement, la musique originale du véritable ballet est ignorée) : Pat s’identifie avec la fille enchaînée et libérée après pour rejoindre la lutte armée révolutionnaire, elle essaie de faire partie de l’action, émue par l’esclavage de la jeune victime. Un formidable déploiement que ce ballet, une collaboration réussie entre la musique obstinée du minimalisme et la baguette d’Olivia Lee-Gunderman, la chorégraphie de John Ross et la danse agile des sept danseuses.


Il faut relever aussi la leçon de chant, de bel canto même, de Sarah Tynan dans son solo de Pat Nixon. Excellent Leigh Melrose, baryton auquel on demande souvent des emportements de ténor dans son interprétation impeccable de Nixon. On ne reconnaît pas Jacques Imbrailo, en Zhou Enlai, complètement transformé : pas d’ombre de Pelléas, de Guglielmo, de Billy Budd, il réussit à vieillir, à se courber et à chanter sa ligne tranquille, si loin de l’exaltation des autres. Formidable, la voix puissante et haute du Coréen Alfred Kim en Mao, un ténor dont la ligne est toujours tendue, ce qui est somme toute naturel pour le personnage. Audrey Luna, en Mme Mao, déploie des vocalises, une agilité de soprano légère aux capacités dramatiques – une sorte de Reine de la nuit, comme on l’a dit – et en même temps une actrice accomplie. Borja Quiza interprète le rôle ambigu de Kissinger, doublant celui du « vilain » du ballet, avec une voix aussi puissante, parfois bouffe, parfois même tendre. Et c’est un opéra qui ne se prend pas trop au sérieux : le sérieux est au fond, l’ébauche de comédie est devant.


La réflexion appartient à Fulljames et à son équipe, sans nuire à la proposition originale. Fulljames nous restitue le paysage historique et politique du moment, avec l’agilité des rapports entre les masses chorales et les personnages, dans la définition des caractères, sans psychologie. Le trio, rigide et chantant toujours simultanément, des secrétaires de Mao est formidable : Sandra Ferrández, Gemma Comna-Alabert et Ekaterina Antípova.


Extraordinaire, encore plus que d’habitude, le Chœur Intermezzo, dirigé par Andrés Máspero. Il y a en outre une surprise agréable et convaincante à la fois, à savoir la direction ferme et inspirée de la cheffe d’origine coréenne Olivia Lee-Gunderman : douceur du geste, solidité de la baguette. Elle donne ainsi à la proposition minimaliste de John Adams sa véritable dimension sonore en tant que drame, en tant que théâtre.


Un spectacle d’un niveau vraiment élevé, à ne pas rater.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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