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Sir John dans un taudis

Nice
Opéra
03/31/2023 -  et 2, 4, 6 avril 2023
Giuseppe Verdi : Falstaff
Roberto de Candia*/Federico Longhi (Sir John Falstaff), Vladimir Stoyanov*/Massimo Cavalletti (Ford), Davide Giusti (Fenton), Alexandra Marcellier (Alice Ford), Kamelia Kader (Mrs Quickly), Rocío Pérez (Nannetta), Marina Ogii (Meg Page), Thomas Morris (Dr Cajus), Vincent Ordonneau (Bardolfo), Patrick Bolleire (Pistola)
Chœur de l’Opéra Nice Côte d’Azur, Alessandro Zuppardo (chef de chœur), Orchestre Philharmonique de Nice, Daniele Callegari (direction musicale)
Daniel Benoin (mise en scène, décors, lumières), Christophe Pitoiset (assistant pour les décors), Nathalie Bérard‑Benoin (costumes), Paulo Correia (vidéos)


(© Dominique Jaussein)


Confiée à Daniel Benoin, ancien directeur du (très voisin) Théâtre National de Nice, la nouvelle production de Falstaff actuellement à l’affiche de l’Opéra de Nice est l’une des plus inventives et originales qu’il nous ait été données de voir du dernier chef‑d’œuvre de Giuseppe Verdi. Et la transposition de l’ouvrage à notre époque fonctionne à la perfection, grâce à une direction d’acteurs au cordeau et à dispositif scénique drôle et ingénieux, voire spectaculaire dans l’utilisation et la réalisation de vidéos intermédiaires entre les différents actes. Et c’est sur un squat sordide, au milieu d’un HLM délabré et tagué, que s’ouvre le rideau de scène, tandis que Sir John est affalé sur un sofa éventré, habillé en biker rock’n’roll, les habits de ses jeunes années... qu’il n’a jamais quittés ! En complète et parfaite opposition, les Ford habitent la villa cossue d’une banlieue huppée, avec piscine, sauna extérieur et gazon verdoyant. Et pour relier ces deux univers diamétralement opposés, d’ingénieuses vidéos ont été réalisées par Paulo Correia et sont projetées sur un écran pendant que l’on change les éléments de scénographie derrière : la caméra quitte ainsi peu à peu un univers urbain et moche pour s’immiscer dans une forêt où l’on croise un cerf majestueux (en référence au dernier acte sylvestre), avant d’aboutir aux abords d’une banlieue chic où trônent de luxueuses villas que l’on croirait sorties de Beverly Hills ! Seul point plus faible, la forêt de Herne du III, car il ne suffit pas d’amener quatre pots d’arbustes dans le jardin des Ford pour donner l’illusion d’une forêt. Du coup, la magie et le mystère requis ici sont loin d’être au rendez‑vous, malgré les beaux éclairages vespéraux de Benoin lui‑même (qui signe également la scénographie, aidé par Christophe Pitoiset), et l’ultime scène transformée en partouze SM pour coller aux fantasmes du vieux libidineux qu’est Falstaff n’est pas du meilleur goût non plus (une partie du public sanctionnera le metteur en scène au moment des saluts).


Des bémols que l’on n’aura en revanche pas à formuler pour une distribution concoctée aux petits oignons par Bertrand Rossi et son indispensable déléguée artistique Daniela Dominutti. Dans le rôle‑titre, le baryton italien Roberto de Candia investit les atours de son personnage avec la corpulence adéquat, sans avoir recours à nul faux appendice, mais également une voix tour à tour tonnante et caressante. Le timbre est fastueux, le registre sans la moindre faiblesse (il se fera pourtant porter pâle sur les représentations suivantes suite à un mauvais virus contracté entre‑temps). Une présence formidable, le sens du gag, une autorité naturelle à l’attaque de la fugue finale ; de toute évidence, l’un des grands Falstaff du moment. Même complet satisfecit avec le Ford du baryton bulgare Vladimir Stoyanov, qui sait focaliser sur le seul véritable air de la partition, « E sogno o realtà ? » l’héritage de tous les barytons Verdi l’ayant précédé. Avec une voix plus corsée que d’habitude dans cette partie, l’excellent ténor italien Davide Giusti aborde le rôle de Fenton l’élégance nécessaire et n’élude pas les suaves envolées qui font le sel de ce personnage. Excellents, également, le Docteur Caïus rageur de Thomas Morris et le duo de serviteurs opportunistes, que campent un Vincent Ordonneau (Bardolfo) et un Patrick Bolleire (Pistola) très en voix.


Avec la chanteuse russe Marina Ogii, Meg Page devient un rôle de premier plan : magnifique mezzo au timbre riche et profond, à la puissance maîtrisée, elle affirme un caractère égal à celui des autres commères. Dernière lauréate dans la catégorie « Révélation lyrique » aux dernières Victoires de la musique classique – et « révélée » à nous dans la ville voisine de Monte‑Carlo lorsqu’elle a remplacé Aleksandra Kurzak au pied levé dans Madame Butterfly voici deux ans, la soprano française Alexandra Marcellier brille dans le rôle d’Alice Ford auquel elle apporte son beau timbre, sa vivacité et sa malice, ainsi que sa superbe musicalité. De son côté, la jeune soprano espagnole Rocío Pérez conjugue aisance et agilité en « reine des fées » comme dans les ruses juvéniles de Nannetta. La mezzo bulgare Kamelia Kader déploie en Mrs Quickly une séduction à laquelle Sir John ne reste pas insensible et une maîtrise vocale qui évite à ce grand mezzo les pièges d’un poitrinage trop excessif.


Enfin, le pétillant chef italien Daniele Callegari mène tout ce beau monde à bon port, et avec une verve qui jamais ne faiblit, l’Orchestre philharmonique de Nice lui répondant comme un seul homme, et avec un enthousiasme communicatif. On pourrait chipoter sur quelques décalages dans le premier acte, mais les bois comme les cuivres, dans cette partition difficile, font un sans‑faute qui ajoute à notre euphorie.


Bref, quitte à nous répéter, l’un des meilleurs Falstaff qu’il nous ait été donné de voir et d’entendre !



Emmanuel Andrieu

 

 

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