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Katia noie ses rêves dans le lit de la Volga

Geneva
Grand Théâtre
10/21/2022 -  et 23, 25, 28, 30 octobre, 1er novembre 2022
Leos Janácek : Kátia Kabanová
Corinne Winters (Kátia Kabanová), Ales Briscein (Boris Grigorjevic), Elena Zhidkova (Marfa Ignatěvna Kabanová (Kabanikha)), Magnus Vigilius (Tikhon Ivanyc Kabanov), Tómas Tómasson (Savël Prokofjevic Dikój), Sam Furness (Vána Kudrjas), Ena Pongrac (Varvara), Vladimir Kazako (Kuligin), Natalia Ruda (Feklousa), Mi‑Young Kim (Glasa)
Chœur du Grand Théâtre de Genève, Alan Woodbridge (chef de chœur), Orchestre de la Suisse romande, Tomás Netopil (direction musicale)
Tatjana Gürbaca (mise en scène), Henrik Ahr (décors), Barbara Drosihn (costumes), Stefan Bolliger (lumières), Bettina Auer (dramaturgie)


(© Carole Parodi)


Après L’Affaire Makropoulos en octobre 2020, dont seulement deux représentations avaient pu avoir lieu en raison de la pandémie, puis une superbe production de Jenůfa en mai dernier, le Grand Théâtre de Genève poursuit son cycle Janácek avec le même bonheur, en présentant cette fois Kátia Kabanová. Comme pour Jenůfa, Tatjana Gürbaca tape dans le mille : la metteur en scène allemande signe une production sobre, prenante et émouvante à la fois. Lorsque les spectateurs entrent dans la salle, avant même que s’égrènent les premières notes, des écrans projettent des images d’un fleuve – la Volga en l’occurrence – qui coule lentement et majestueusement. Un fleuve qui symbolise les rêves et les aspirations de Kátia Kabanová, sorte de Madame Bovary slave du début du siècle passé, comme le dit elle‑même Tatjana Gürbaca. Un fleuve aussi dans lequel se jettera l’héroïne pour avoir trompé son mari et enfreint les règles de la société. Deux structures rectangulaires en bois – qui ne sont pas sans rappeler le décor de Jenůfa – l’une, à l’avant‑scène, beaucoup plus grande que l’autre, figurent le monde étriqué duquel Kátia Kabanová veut s’échapper. Lorsque Tikhon, son mari, part en voyage, des rideaux noirs viennent cacher les fenêtres, rendant l’atmosphère encore plus oppressante et claustrophobique. Cet univers est peuplé de personnages tout à fait banals et ordinaires, habillés sans aucun goût, arborant des poses figées, comme des marionnettes. Le couple de jeunes amants que forment Varvara et Kudrjas, naturels et désinvoltes, sont les seuls qui ont réussi à être un tant soit peu libres dans cette société raide et indifférente aux sentiments, sclérosée par le qu’en‑dira‑t‑on et les convenances. Une production d’une austérité délibérée, hautement symbolique, sans rien de pittoresque, mais captivante de bout en bout et particulièrement prenante, avec une direction d’acteurs ciselée en orfèvre.


A la tête d’un Orchestre de la Suisse romande des grands soirs, Tomás Netopil (déjà aux commandes musicales de L’Affaire Makropoulos) a su rendre avec une belle énergie les frémissements de la partition, ses effusions lyriques, mais aussi ses aspérités et ses côtés sombres et oppressants, en toute fluidité et avec de grandes respirations. Superbe Jenůfa sur ces mêmes planches en début d’année, Corinne Winters renouvelle en Kátia Kabanová son exploit de Salzbourg cet été, unanimement salué par la critique : sa silhouette frêle et son naturel désarmant traduisent à merveille toute la fragilité et la détresse de l’héroïne, mais aussi sa détermination et sa volonté de vivre la vie dont elle a envie, bref une présence scénique lumineuse et envoûtante. Son chant est ardent et expressif, avec des aigus rayonnants et un timbre extrêmement bien projeté. Même si elle parle davantage qu’elle ne chante, Elena Zhidkova est une belle‑mère autoritaire et menaçante, drapée dans un conformisme tyrannique, qui prend un malin plaisir à ridiculiser son propre fils. Un fils, Tikhon, qui est l’incarnation de la soumission et de la faiblesse absolues, incarné par la voix grave et sonore de Magnus Vigilius, parfaitement à l’opposé du timbre clair et lyrique d’Ales Briscein en Boris, le rival. Tómas Tómasson compose un Dikój tout aussi ridicule qu’inquiétant, qui va jusqu’à essayer d’obtenir les faveurs de la Kabanikha, l’épouvantable belle‑mère. Ena Pongrac est en quelque sorte la révélation de la soirée, Varvara délicieuse et sensuelle, à la forte présence scénique et au timbre frais et souple. Sam Furness est, pour sa part, un Kudrjas décontracté et drôle, aux accents lumineux. Comme Jenůfa, cette Kátia Kabanová restera dans les annales du Grand Théâtre de Genève.



Claudio Poloni

 

 

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