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Un sommet d’expressivité

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
09/22/2022 -  & 23, 25, 27, 29 septembre, 1er octobre 2022
Christoph Willibald Gluck : Orfeo ed Euridice
Jakub Józef Orlinski (Orfeo), Regula Mühlemann (Euridice), Elena Galitskaya (Amore)
Balthasar-Neumann Ensemble & Chor, Thomas Hengelbrock (direction musicale)
Robert Carsen (mise en scène, lumières), Tobias Hoheisel (scénographie, costumes), Peter van Praet (lumières)


R. Mühlemann, J. J. Orlinski (© Vincent Pontet)


Entendre l’Orphée et Eurydice, que ce soit en français ou en italien (comme ici), est toujours un choc, tant le chef‑d’œuvre de Gluck reste fascinant par sa capacité à s’extraire des canons lyriques du XVIIIe siècle, et tout particulièrement du cadre rigide de l’opera seria, avec son alternance rébarbative d’airs et de récitatifs. Avec Orphée et Eurydice, la virtuosité vocale s’efface pour laisser s’épanouir une déclamation laissant davantage de place au théâtre et à l’expression tragique, le tout admirablement soutenu par le chœur, véritable personnage tout du long.


Le choc ressenti n’en est bien entendu que plus grand avec la réunion d’interprètes de haut niveau, comme c’est le cas cette année pour la reprise de la production de Robert Carsen (voir notamment ici en 2018, déjà au Théâtre des Champs-Elysées, avec Philippe Jaroussky). Honneur, tout d’abord au grand artisan de la réussite de cette soirée, en la personne de Thomas Hengelbrock, sans doute le meilleur chef actuel dans ce répertoire qu’il connaît sur le bout des doigts (voir notamment le splendide spectacle réglé par Pina Bausch, disponible en DVD et constamment repris depuis 2005, avec le chef allemand à la baguette, comme en 2018).
D’emblée, ses tempi vigoureux nous plongent au cœur du désespoir d’Orphée, dont les cris ressortent en contraste avec le bouillonnement extraverti des sonorités sur instruments d’époque de l’Ensemble Balthasar Neumann, à l’instar des cors grasseyants, qui rappellent les ruptures de ton péremptoires d’un Nikolaus Harnoncourt, jadis (voir notamment le début spectaculaire de la Trente et unième Symphonie de Haydn, enregistrée pour Teldec en 1994).


Il est toutefois regrettable que Jakub Józef Orlinski (né en 1990) ne possède pas la tessiture suraiguë lui permettant d’entonner ses premières interventions sans forcer, ce qui l’oblige à recourir à un cri rauque et métallique particulièrement ingrat. On avait déjà constaté les mêmes difficultés pour Carlo Vistoli, en début d’année à Berlin. Fort heureusement, en dehors de ce suraigu arraché, le contre‑ténor polonais ravit tout du long par son investissement dramatique d’une grande maturité, tout en gardant une fraîcheur juvénile bienvenue au moment des saluts, comme s’il était surpris du succès rencontré auprès du chaleureux public parisien. Le raffinement des phrasés est une merveille constante, chaque note étant toujours interprétée au service du sens, avec une puissance plus affichée dans l’aigu que dans les graves, parfois modestes en comparaison. A ses côtés, Regula Mühlemann (née en 1986), annoncée souffrante, assure bien sa partie, même si l’émission est parfois un rien trop appliquée et chevrotante : elle sait toutefois trouver des trésors de finesse à ses réparties, composant un couple bien assorti avec Orlinski. On aime aussi l’Amour pétillant et enthousiaste d’Elena Galitskaya, qu’on aurait souhaité entendre plus longuement encore, tant son engagement scénique est manifeste, à l’instar du toujours impeccable Chœur Balthasar Neumann, très précis tout du long.


Plus discrète, la mise en scène de Robert Carsen épouse le drame avec économie, dispensant les rigueurs d’un sol caillouteux et infertile sur toute la scène, d’où seule émerge la tombe d’Eurydice. Procession du chœur et silhouettes en contre‑jour accompagnent le chemin de douleur d’Orphée, élégamment soutenu par des éclairages épurés dignes de Bob Wilson. Carsen sait aussi épouser les moindres inflexions musicales de Gluck, en une précision millimétrée qui force l’admiration : il faut voir émerger de son sommeil le chœur des enfers, reprenant vie peu à peu pour exprimer sa rage face à la profanation d’Orphée, avant de laisser ses habits blancs au sol, comme autant de chrysalides abandonnées, pour accompagner la transfiguration d’Eurydice : « Elle renaît, elle reprend sa beauté première », susurre le chœur avant l’avènement d’Eurydice, enfin sur scène avec son promis, une heure après le début de l’opéra. Une attente dramatique judicieusement distillée par l’élégance toute chorégraphique de Carsen, avant l’explosion de joie finale qui sort l’ensemble des protagonistes de leur torpeur, chœur compris, pour un happy end festif et fédérateur.


Après ce spectacle événement, donné jusqu’au 1er octobre, le Théâtre des Champs-Elysées poursuivra son exploration du répertoire lyrique de Gluck le 7 octobre, avec Iphigénie en Aulide (1774), tout premier ouvrage composé en français par le compositeur, avant que l’Opéra de Versailles ne s’attaque au rarissime Echo et Narcisse (1779), avec Hervé Niquet à la baguette, le 21 octobre.



Florent Coudeyrat

 

 

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