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Frustration et enthousiasme

Bruxelles
La Monnaie
09/11/2022 -  & 13, 15, 18*, 20, 23, 27, 29 septembre 2022
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : La Dame de pique, opus 68
Dmitry Golovnin (Hermann), Laurent Naouri (Comte Tomsky), Jacques Imbrailo (Prince Yeletsky), Alexander Kravets (Chekalinsky), Mischa Schelomianski (Surin), Maxim Melnik (Chaplitsky, Le maître des cérémonies), Justin Hopkins (Narumov), Anne Sofie von Otter (Comtesse), Anna Nechaeva (Lisa), Charlotte Hellekant (Polina, Milovzor), Mireille Capelle (Gouvernante), Emma Posman (Masha, Prilepa)
Académie des Chœurs de la Monnaie, Chœurs d’enfants et de jeunes, Chœurs de la Monnaie, Christoph Heil (chef des chœurs), Orchestre symphonique de la Monnaie, Nathalie Stutzmann (direction musicale)
David Marton (mise en scène), Christian Friedländer (décors), Pola Kardum (costumes), Henning Streck (lumières)


(© La Monnaie/Bernd Uhlig)


La voici enfin, cette Dame de pique (1890). Cette production était prévue en mars 2020, mais les répétitions ont dû s’interrompre à cause de la pandémie. Comme le monde évolue vite, l’actualité se concentre désormais sur d’autres sujets, comme la guerre en Ukraine. La Monnaie refuse heureusement de bannir le répertoire et les interprètes russes, et des chanteurs de ce pays évoluent même sur le plateau avec un artiste ukrainien. Un autre opéra de Tchaïkovski, Eugène Onéguine, sera ainsi monté plus tard, en janvier et en février, ainsi que Le Nez de Chostakovitch, en juin.


La mise en scène de David Marton convainc moins que la précédente. Déjà, sa note d’intention laisse circonspect : elle évoque pour l’essentiel le souvenir d’un professeur de piano atypique à Budapest. De pianiste, il en est, en effet, question dès le début : un personnage à la figure christique se présente comme un soliste en représentation. Une fois que l’orchestre débute, le virtuose s’endort, tête baissée vers le clavier. Ce qui se déroule ensuite correspond-il à ce qu’il rêve ? Ploie‑t‑il sous le joug du régime ? A chacun d’interpréter.


Il ne faut pas s’attendre ensuite à de fastueuses scènes et des effets surnaturels. La scénographie enfonce le clou, comme d’autres avant elle, de l’existence désespérément terne, où la banalité côtoie la vanité, de la société russe des années 1980, en tout cas telle que beaucoup se la représentent, avec ces constructions bétonnées et ces couleurs incongrues et défraîchies. Elle contient toutefois de beaux effets visuels, en particuliers le dispositif en noir et blanc du deuxième acte, susceptible, prévient la Monnaie, de provoquer quelque inconfort pour les épileptiques. Le spectacle montre, toutefois, d’une manière peu significative le changement d’ère avant et après la fin de l’Union soviétique, alors que, comme le précise le programme, « la situation géopolitique et le conflit militaire en Ukraine ont amené l’équipe artistique [...] à davantage réfléchir [...] aux causes du basculement d’un régime vers un autre, d’un type de société vers un autre ».


Malgré une direction d’acteur convenable et une esquisse assez juste de la psychologie des personnages, ce spectacle aux fulgurances rares, et finalement un peu vain, suscite une impression d’ennui, voire d’indifférence. David Marton propose ainsi une interprétation, par certains aspects, relativement pertinente, par d’autres, plus discutable, avec quelques artifices pas toujours heureux. Sa mise en scène paraîtra dérangeante, voire iconoclaste, pour ceux qui sont attachés à la nouvelle de Pouchkine à la lettre, et sans doute participe‑t‑elle à ce tenace sentiment de frustration ou de déconvenue ressenti à la sortie.


La direction musicale, en revanche, nous fascine : elle, au moins, traduit les contrastes de cet opéra. Passionnée et scrupuleuse, Nathalie Stutzmann, pour la première fois dans cette fosse, lui imprime le souffle et l’impulsion que la mise à scène échoue à lui conférer. L’orchestre, assez précis, affiche beaucoup de fluidité et de naturel, et il restitue parfaitement les couleurs et le ton de cette musique richement pourvue de splendides solos de bois, tous admirablement tenus. Capable de finesse et de puissance, habile dans l’enchaînement des séquences et la mise en valeur des thèmes conducteurs, la chef développe une conception solide et cohérente de cette œuvre. L’orchestre s’impose ainsi comme un personnage à part entière.


La distribution, quant à elle, présente une réelle cohésion, sans individualités trop écrasantes. Le talent de Dmitry Golovnin suffit à rendre le personnage d’Hermann attractif, même si celui‑ci suscite peu de compassion. L’émission paraît un peu trop raide, par moments, mais le timbre parvient à séduire, et le chant demeure, tout au long d’une partie exigeante, voire meurtrière, de bonne tenue, malgré une ampleur et une projection peu impressionnantes. Physiquement méconnaissable en Tomsky, grâce à un admirable travail sur le maquillage, la perruque et les costumes, Laurent Naouri ne semble aucunement incommodé par la langue russe, et confirme son talent d’acteur, critère déterminant pour ce personnage, dans cette production, du moins. Jacques Imbrailo apporte du brillant et de la finesse à Yeletsky, valorisé avant tout par un style et un timbre adéquats, bien que les graves viennent à manquer à cette voix légère, tandis qu’Alexander Kravets, qui chante assez souvent sur cette scène, se profile en authentique ténor de caractère, doublé d’un acteur convaincant.


La Lisa d’Anna Nechaeva manque de puissance et d’intensité pour réellement convaincre, surtout dans son air si attendu du troisième acte qui laisse malheureusement trop indifférent, malgré la typicité du timbre, alors que certaines parviennent à nous tirer des larmes. Charlotte Hellekant n’imprime pas assez la mémoire en Polina, à moins que cela s’explique par la mise en scène, compte tenu des mérites de cette chanteuse. Finalement, l’incarnation féminine à retenir reste la Comtesse d’Anne Sofie von Otter, qui accomplit une prise de rôle magnifique. La mezzo‑soprano, à l’aise dans les graves, incarne une femme en robe de chambre fatiguée et sur le déclin. Le reste du plateau, Maxim Melnik, Justin Hopkins pour ces messieurs, Mireille Capelle, Emma Posman pour ces dames, répond raisonnablement aux attentes. Les choristes, enfin, se signalent positivement à tous point de vue, et dans cette œuvre, ils revêtent une importance presque moussorgskienne. Espérons éprouver plus d’émotion dans Eugène Onéguine l’hiver prochain et retrouver Nathalie Stutzmann à la Monnaie, à l’occasion, par exemple, d’une nouvelle production de Boris Godounov, la précédente datant de 2006, ou, rêvons un peu, du rare Mazeppa.



Sébastien Foucart

 

 

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