About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Un spectacle plutôt qu’une vision

Paris
Opéra Bastille
06/28/2022 -  et 1er, 4, 7, 10, 13 juillet 2022
Charles Gounod : Faust
Benjamin Bernheim (Faust), Christian Van Horn (Méphistophélès), Florian Sempey (Valentin), Guilhem Worms (Wagner), Angel Blue (Marguerite), Emily D’Angelo (Siebel), Sylvie Brunet‑Grupposo (Dame Marthe), Jean‑Yves Chilot (Faust âgé)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, Ching‑Lien Wu (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Thomas Hengelbrock (direction musicale)
Tobias Kratzer (mise en scène), Rainer Sellmaier (décors, costumes), Michael Bauer (lumières), Manuel Braun (vidéo)


(© Charles Duprat/Opéra national de Paris)


Sur la scène, un vieil homme – parfait Jean‑Yves Chilot – s’est offert une nuit, sans doute ratée, avec une prostituée : le vieux Faust. Devant la rampe, le ténor, futur jeune Faust. Le premier croisera parfois le second, comme si le philtre n’avait pas produit son effet. C’est la première idée, pour l’opéra de Gounod, de Tobias Kratzer, dont le Tannhäuser, à Bayreuth, avait suscité maint commentaire. Voleront ensuite au‑dessus de Paris illuminé, tel Superman, Méphistophélès et le docteur rajeuni, avant d’atterrir dans une boîte où l’on se déhanche sur un rythme sans le moindre rapport avec celui de la valse. On aura, entretemps, découvert un Valentin entraîneur de l’équipe de basket d’une cité.


Le metteur en scène allemand démythifie l’œuvre de Goethe, devenue fait divers trivial, sans s’interdire certains détournements. Méphisto, par exemple, déflore une Marguerite aux yeux bandés, plus tard enceinte d’un bébé cornu, référence évidente au Rosemary’s Baby de Polanski, de quoi affoler le radiologue dont le cabinet remplace la chambre de Marguerite au IV. Faust n’est qu’un naïf, qu’un timide objet entre les mains du démon. A la fin, figure sacrificielle, Siebel s’accusera de l’infanticide et sera emmené par les démons. Marguerite, ainsi, est bien sauvée comme le chante le chœur.


Tobias Kratzer a donc des idées, plus ou moins recevables. Et certaines scènes sont très fortes, comme celle de l’Eglise... ici dans une rame de métro qui, grâce à la vidéo, semble filer devant nous. Omniprésente, la vidéo assure d’ailleurs à la production, comme aurait dit Debussy, tout le confort moderne, en multipliant notamment les gros plans. Elle transforme le ballet, réduit à son dernier numéro, la bacchanale de Phryné, en une chevauchée nocturne à travers Paris... où Méphisto provoque l’incendie de Notre‑Dame.


Aussi intéressant puisse‑t‑il être ici ou là, l’ensemble relève souvent d’une accumulation d’effets plus que d’une véritable vision. Il laisse une impression de déjà‑vu : ce genre de transposition, entre HLM et discothèque, ordinateur et téléphone portable, survêt et marcel, sent le réchauffé et le dédoublement de Faust, base de la production ratée du regretté Jean‑Louis Martinoty, n’a rien de nouveau. La direction d’acteurs, de son côté, accuse de fâcheuses baisses de tension, en particulier aux deux premiers actes, pendant que Faust reste finalement assez peu caractérisé et Méphisto assez conventionnel.


La musique compense‑t‑elle ? Pas toujours. Certes plus chanteur qu’interprète, victime aussi de la mise en scène, Benjamin Bernheim est en tout cas admirable de technique et de style, avec une Cavatine d’anthologie – noblesse du phrasé, raffinement de la voix de tête. La grande, la très grande tradition française. Plus que le Valentin décevant de Florian Sempey. Le soldat n’entre pas dans une voix dont il force l’émission, le grave manque, la ligne est hétérogène. A leurs côtés, seuls la Dame Marthe à la fois drôle et pitoyable de Sylvie Brunet‑Grupposo et le Wagner bien campé de Guilhem représentent l’école française. On a préféré, comme pour Cendrillon, chercher ailleurs Marguerite et Méphisto, alors qu’on aurait pu en trouver de plus orthodoxes. Passé un III joliment chanté mais bien terne, Angel Blue, au français très honorable, prend ses marques, Marguerite incarnée et émouvante, déployant de superbes aigus, quasi inexistante néanmoins dans le bas médium et le grave. Christian Van Horn a surtout beaucoup d’abattage : s’il a le timbre mordant du diable, l’articulation est trop exotique, le chant trop brut et le grave trop court. Le Siebel d’Emily D’Angelo, en revanche, n’appelle qu’éloges, belle voix parfaitement conduite, notamment dans la Romance du IV.


Thomas Hengelbrock a en effet rétabli l’intégralité de la scène de la chambre, avec l’air de Marguerite. C’est de sa direction, finalement, que vient le meilleur de la soirée, même si on l’a connu plus théâtral : absolue clarté des lignes, raffinements coloristes, tenue impeccable des ensembles, refus du pompiérisme, lyrisme généreux, tout est là, à la faveur, peut‑être, de certaines lenteurs. Et Ching‑Lien Wu porte le chœur à un niveau rarement atteint.


L’année dernière, la production n’avait pu être présentée au public à cause de la covid, mais était accessible en streaming. Thomas Hengelbrock succède maintenant à Lorenzo Viotti, Angel Blue à Ermonela Jaho, Emily d’Angelo à Michèle Losier.



Didier van Moere

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com