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Dans les cordes !

Paris
Cité de la musique
06/10/2022 -  
Anton Webern : Quatuor à cordes, opus 28 (*) – Trio à cordes, opus 20
Kevin Juillerat : Mues (création)
Clara Iannotta : Echo from Afar (création)
Emmanuel Nunes : Einspielung I (*)

Valeria Kafelnikov (harpe), Jeanne‑Marie Conquer, Diego Tosi (*) (violon), John Stulz (alto), Renaud Déjardin (violoncelle), João Svidzinski (électronique Ircam)


D. Tosi


Après les tutti telluriques du concert inaugural, ce deuxième concert du festival ManiFeste nous donne rendez‑vous à l’Amphithéâtre de la Cité de la musique pour un programme chambriste assuré par les solistes de l’Ensemble intercontemporain (EIC).


Première œuvre du catalogue webernien à faire usage du dodécaphonisme, le Trio à cordes (1927) montre le compositeur aux prises avec sa nouvelle méthode. S’il conserve les structures classiques, à l’instar de son maître Schoenberg, sa manière personnelle de générer la série par déduction fait déjà de Webern (1883‑1945) ce « tailleur d’éblouissants diamants » célébré par Stravinsky. Les musiciens, à défaut de pouvoir rendre cette musique plus aimable qu’elle ne l’est, s’emploient à soigner les phrasés, à chanter leurs monceaux mélodiques même si les lignes hérissées d’intervalles disjoints restent périlleuses pour l’intonation (aigus un peu strangulés du violon). Le second mouvement cache de petits rythmes de danse (viennoise), traduits par d’élégants portamentos. Fidèle à l’imprimé (quand ses collègues optent pour des partitions électroniques), l’altiste John Stulz négocie habilement son rôle central dans la polyphonie.


Avec son contrepoint pur et son déroulé d’une série construite à partir du motif B‑A‑C‑H, le Quatuor opus 28 n’échappe pas au souci, typiquement webernien, d’une certaine raréfaction de la matière. L’œuvre, aux côté du Concerto opus 24 et son carré magique, fut particulièrement goûtée des musiciens sériels de l’après‑guerre, qui y perçurent l’acmé de la période didactique du Viennois. Le Quatuor séduit (si j’ose dire) pourtant davantage que le Trio : il n’appartient pas à ces partitions dont on dit en mauvaise part qu’elles sont conçues davantage pour être lues que pour être entendues. La fragmentation de la série en segments riches de relations est d’abord un facteur déroutant pour l’écoute, mais les musiciens (rejoints par Diego Tosi au second violon) en exaucent les vertus combinatoires et la richesse des sonorités, comme dans la fugue finale, où des trilles se superposent à des pizzicatos.


Stravinsky – encore lui ! – disait par boutade que les harpistes passent la moitié du temps à accorder leur instrument, l’autre moitié à jouer faux. Si l’on ajoute que Kevin Juillerat (né en 1987), dans Mues, pousse la perversité jusqu’à placer des objets entre les cordes et à demander à l’interprète d’user d’un archet, il semble difficile d’appréhender le niveau de l’exécution... On se persuade bien vite que Valeria Kafelnikov en maîtrise tous les paramètres, de conserve avec la partie électronique. Qu’elle égrène des aigus cristallins, qu’elle fourrage, accroupie, dans les graves, ou qu’elle frotte les cordes à l’aide d’un cylindre en métal pour produire des quarts de ton, sa performance relève autant de l’accomplissement que du théâtre musical.


Autre création de la soirée, Echo from Afar de Clara Iannotta (née en 1983) partage un certain nombre de points communs avec la pièce précédente, au premier rang desquels le recours à l’électronique en temps réel et à des modes de jeu singuliers. Jugez‑en plutôt : l’accord de la harpe est modifié et certaines cordes sont préparées à l’aide de pinces et d’autres objets, à l’instar d’une corde du violon et de l’alto ; le trio à cordes, dans la pure tradition baroque (Biber), joue de surcroît en scordatura. Loin de laisser l’auditeur sur le bord du chemin, ces procédés engendrent une matière fascinante et hospitalière dans laquelle on entre facilement. Valeria Kafelnikov, Jeanne‑Marie Conquer, John Stulz et Renaud Déjardin s’en sont appropriés la poétique sans coup férir. Auprès de l’anguleux Webern, les sonorités mixtes de la compositrice romaine – même flirtant avec la saturation – agissent comme un baume apaisant.


Diego Tosi entre seul en scène pour Einspielung I d’Emmanuel Nunes (1941‑2012), proposé ici dans sa version avec électronique de 2011. Le violoniste de l’EIC connaît bien la partition pour avoir laissé un bel enregistrement de la version originale (1979, sans électronique), chez Solstice. Œuvre formellement très construite – comme toujours avec le Portugais – dans laquelle pas moins de 219 changements de tempo sont notés, lesquels servent à baliser l’écoute de ce vaste (dix‑sept minutes) mouvement continu. Frappe l’interaction dense, organique, entre sons acoustiques et sons électroniques dont la mise en espace est réglée au cordeau par João Svidzinski. Main gauche ferme et archet virevoltant, Diego Tosi nous donne une interprétation dialectique en ceci qu’elle dépasse l’opposition entre la rigueur de la composition et la latitude induite par son titre, Einspielung signifiant « s’échauffer avant de jouer ».



Jérémie Bigorie

 

 

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