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Extinction

Bruxelles
La Monnaie
04/29/2022 -  et 30 avril, 3, 5, 6, 8*, 10,11, 13, 14 mai 2022
Requiem
Wolfgang Amadeus Mozart : Requiem, K. 626 – Meistermusik, K. 477b – Miserere mei, K. 73s [85] – Ne pulvis et cinis, K. Anh. 122 – Solfeggio, K. 385b [393] n° 2 – Quis Te comprehendat, K. Anh. 110 – O Gottes Lamm, K. 336c [343] n° 1
Sandrine Piau (soprano), Sara Mingardo (alto), Anicio Zorzi Giustiniani (ténor), Luca Tittoto (basse), Chadi Lazreq (soprano garçon)
Pygmalion, Raphaël Pichon (direction musicale)
Romeo Castellucci (mise en scène, décors, costumes, lumières), Silvia Costa (collaboration à la mise en scène et aux costumes), Evelin Facchini (chorégraphie), Marco Giusti (collaboration aux lumières)


(© Bernd Uhlig)


A tout ce qui a disparu, disparaît et disparaîtra. Pour Romeo Castellucci, le Requiem (1791) de Mozart constitue bien plus qu’une messe des morts : une réflexion humaniste et globale sur la célébration et la finitude de la vie et de toutes choses. Cette production, créée en 2019 au Festival d’Aix‑en‑Provence, et dédiée aux citoyens ukrainiens, s’inscrit dans une tendance assez neuve, consistant à mettre en scène des oratorios et des œuvres religieuses, souvent avec l’appui d’une chorégraphie. Aux différentes séquences du Requiem viennent s’intercaler des pages le plus souvent brèves et méconnues du compositeur, certaines a cappella, sans que ces ajouts ne portent préjudice au déroulement naturel et à la force émotionnelle de ce chef d’œuvre inachevé, le tout pour une durée d’une heure et quarante minutes, sans interruption.


Le metteur en scène a conçu une fois de plus un spectacle riche de significations, d’une grande inventivité et d’une parfaite maîtrise. Il se déroule comme un cycle de vie, avec, au début, une vieille femme âgée disparaissant dans son lit, représentation aussi stupéfiante qu’efficace de la mort, et, à la fin, un bébé déposé par sa mère, présente aux côtés d’une jeune fille, d’une femme et de cette dame âgée, autant de représentations de la même personne à différents âges. Tout au long de la représentation s’affichent le nom de différentes choses qui se sont éteintes, ou destinées à disparaître, comme des espèces, des langues, des religions, des monuments, des lacs – même la flèche de Notre‑Dame de Paris et le théâtre de Marioupol sont cités, jusqu’à nous tous, vous et moi.


Les choristes, actifs presque en permanence, participent en plus de chanter à la chorégraphie, comme dans C(H)ŒURS d’Alain Platel, bien que les mouvements paraissent moins énergiques. Ils évoluent dans différentes tenues, des habits de tous les jours très colorés ou des costumes folkloriques évoquant les pays de l’Est, que les spectateurs admirent à l’occasion de festivités populaires célébrant la vie, comme cette sorte d’arbre de mai, ronde des rubans autour d’un piquet, dans l’esprit d’une fête de la Saint‑Jean. A propos de couleurs, qui évoquent notamment celles de l’efflorescence, symbole par excellence de l’éphémère, Romeo Castellucci, assisté de Marco Giusti, a effectué un travail splendide sur les éclairages, exploitant les contrastes entre le clair et le sombre, les couleurs vives et les teintes neutres. Cette mise en scène relève même de l’art pictural, en particulier à la fin, lorsque se soulève et pivote le plateau sur lequel les chanteurs et les danseurs se sont déplacés, offrant comme une peinture abstraite portant les traces d’un spectacle qui, lui aussi, ne dure qu’un temps. Les différents tableaux, diversifiés et contrastés, se succèdent harmonieusement, sans baisse de tension, et certains imprègnent la mémoire par leur pure et saisissante splendeur, en particulier celle ou une jeune fille vêtue de blanc et recouverte de couleurs, de plumes et de miel, s’accroche à une paroi blanche, comme une crucifixion.


Seul bémol, très relatif : la force de cette mise en scène aux intentions magistralement réalisées tend à détourner l’attention de l’exécution musicale, néanmoins à la hauteur, qu’il s’agisse des solistes, Sandrine Piau, Sara Mingardo, Anicio Zorzi Giustiniani et Luca Tittoto, au sein desquels figure aussi le jeune Chadi Lazreq, à la voix légère mais suffisamment ferme, ou de l’orchestre Pygmalion, impeccablement dirigé par Raphaël Pichon. Le chef réussit à réunir dans un tout cohérent les pièces ajoutées et les séquences du Requiem tout en atteignant un équilibre idéal avec le plateau. Les musiciens développent une sonorité légère, voir émaciée, mais l’exécution demeure précise et alterne vigueur et recueillement. Les choristes, formidables, appartiennent à cette formation créée en 2006 et qui collabore à cette occasion pour la première fois avec la Monnaie. Ils excellent sur le plan vocal, mais aussi dans leur manière très aboutie de prendre part à l’action, en dansant ou en adoptant divers gestes et postures, créant ainsi de véritables tableaux vivants.


Après Parsifal, Orphée et Eurydice, La Flûte enchantée et Jeanne d’Arc au bûcher, tous puissants et inoubliables, Romeo Castellucci compte décidément parmi les metteurs en scène les plus exceptionnels de notre temps. Manifestation rarissime à la Monnaie, le public accorde une ovation debout à ce spectacle d’une indescriptible beauté.



Sébastien Foucart

 

 

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