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Un diamant dans les cendres

Limoges
Opéra
02/06/2022 -  et 8*, 10, 12 février 2022
Giuseppe Verdi : La traviata
Amina Edris (Violetta), Nico Darmanin (Alfredo), Sergio Vitale (Giorgio), Yete Queiroz (Flora), Séraphine Cotrez (Annina), Matthieu Justine (Gastone), Francesco Salvadori (Douphol), Frédéric Goncalvez (D’Obigny), Guy Bonfiglio (Grenvil), Jacqueline Cornille, Noémie Develay‑Ressiguier (comédiennes), Paloma Donnini (figurante), Fabien Leriche (domestique), JamieRock (Commissionnaire), JosuéMiranda (Giuseppe)
Chœur de l’Opéra de Limoges, Edward Ananian-Cooper (chef de chœur), Orchestre de l’Opéra de Limoges, Robert Tuohy (direction musicale)
Chloé Lechat (mise en scène), Judith Chaine (dramaturge), Emmanuelle Favre (scénographe), Dominique Bruguière (conception lumières), Arianna Fantin (conception costumes)


(© Steve Barek)


« Cendres et diamant » : c’était le titre d’un compte rendu écrit en 1994, à l’occasion d’une Traviata londonienne qui avait vu, dans une production sans grand éclat dirigée par Georg Solti, la découverte dans le rôle de Violetta d’une soprano qui, près de trente années plus tard, est toujours au firmament du monde lyrique : Angela Gheorghiu. C’est aussi l’impression laissée par la production du chef‑d’œuvre de Verdi présentée par l’Opéra de Limoges. Une grande Violetta est née. Alors qu’il s’agit de sa prise de rôle, Amina Edris est une artiste qui, de Manon de Massenet à Alice de Robert le diable, de Micaëla à Violetta, ne cesse de nous impressionner.


Et elle a fort à faire au milieu d’une production improbable qui, sous prétexte de nous éclairer sur le sort des femmes (il est vrai que de Suor Angelica à Carmen, de Butterfly à Liù, il ne nous était pas venu à l’idée que les opéras du XIXe siècle donnaient à voir des personnages emblématiques de femmes clouées au pilori par la société, sans rire) réussit l’exploit d’irriter par des ajouts totalement inutiles et de nous interroger par une absence totale de vision. Nous devons donc supporter la présence envahissante de la sœur et de la mère d’Alfredo (nommées Virginia et Jacqueline dans la note d’intention de la metteuse en scène, allez savoir pourquoi). La première est présente en creux dans le livret pour justifier la demande de Giorgio auprès de Violetta de sorte qu’elle sacrifie son amour pour sauver le mariage de la sœur « pura sicome un’angelo » ; la seconde, inventée pour l’occasion, est incarnée par une comédienne âgée en fauteuil roulant qui prend un bain de pieds dans la piscine de l’appartement de Violetta, opportunément déplacé à Ibiza, et agit comme une sorte de complice des hommes pour pousser sa fille au mariage. Celle‑ci nous inflige des discours creux faussement improvisés en début d’acte, pour bien nous faire comprendre le regard concupiscent desdits hommes et leurs vues sur son corps. Fichtre !


Le déplacement de l’action à Ibiza ne nous offre rien de plus qu’une contradiction quasi permanente avec les paroles des personnages, la fête n’apportant rien de neuf, si ce n’est des hommes travestis au milieu des femmes dans le chœur des Bohémiennes, et des mouvements de tai‑chi en fond derrière Alfredo lors de son air « Dei miei bollenti spiriti », l’acte deux se déroulant dans une sorte de hammam tenu par Violetta. La direction d’acteurs est aux abonnés absents. Violetta, Giorgio et Alfredo sont réduits à s’asseoir voire s’allonger sur des bancs du hammam pour les moments intenses de cet acte où tout le drame se noue. Les chanteurs se retrouvent le plus souvent face au public au moment où ils sont censés s’affronter, et Alfredo finit torse nu, on se demande bien pourquoi. N’en jetez plus ! L’œil est sans cesse diverti de l’action par des mouvements annexes, comme une femme qui se trémousse pendant « Sempre libera » au premier acte, ou comme des groupes qui sont censés mimer l’enlèvement des Sabines dans le hammam. Quant à l’« Addio del passato » au cours duquel des couples viennent voler des chaussures de Violetta, sur un mur au milieu de son appartement, que dire, si ce n’est qu’ils nous gênent ?


Au milieu de tout cela, le Maltais Nico Darmanin laisse une impression mitigée. Son élégant ténor est très musical, et il nous épargne dans sa partie certains portamenti de tradition. Sa prestation culmine dans le grand air du deuxième acte, porté par un souffle long et uni, de belles nuances et un réel engagement. Reste qu’il ne présente qu’une voix limitée en largeur et en volume, assez insuffisante pour les éclats vengeurs de la scène chez Flora, et qu’il ne peut qu’avoir le dessous dans ses duos avec Violetta, même si « Parigi o cara » est de très belle facture. Sergio Vitale, appelé à la rescousse à quelques heures de la générale, impressionne par sa carrure physique autant que vocale, l’intensité de sa présence (malgré l’absence de direction d’acteur) et par un chant très nuancé. Son baryton ample et clair émeut dès l’attaque de « Pura sicome un’angelo », d’une infinie délicatesse, et il impose un personnage plus compatissant que de coutume face à Violetta, comme face à Alfredo avec un « Di Provenza » admirablement maîtrisé, grâce à une longueur de souffle permettant des suspensions touchantes, jusqu’à la cabalette « No, non udrai rimproveri » heureusement préservée et d’un impact remarquable.


Parmi les comprimarii, on retiendra la remarquable Flora au mezzo charnu de Yete Queiroz, le baryton très prometteur de Francesco Salvadori, Douphol de beau relief, et la douce Annina de la mezzo Séraphine Cotrez.


Mais au cours de la représentation, on n’aura eu d’yeux et d’oreilles que pour Amina Edris. Pour une prise de rôle, elle réussit un sans‑faute. Si les vocalises de l’acte I sont assurées avec classe et aisance, on ne peut attendre de ce somptueux et puissant falcon tout le brio qu’y mettent les voix plus légères. Mais dès les tout premiers mots, la charge émotionnelle est là, sidérante ! Et c’est dans le récitatif « E strano » qu’elle impose d’emblée un art du chant rarissime, fait d’une diction sculptée sur le mot, qui creuse en lui la touche de l’émotion. Un tel sens du phrasé, allié à un timbre où le métal se mêle à l’ambre, à une projection considérable et à une technique sans faille (des messe di voce d’école) font de sa prestation une de celles qui marquent l’auditeur durablement. Ses « Morro » face à Germont prennent aux tripes, « Gran dio morir si giovine » bouleverse, mais elle sait surtout distiller les émotions les plus fines par un jeu inouï sur les colorations, qui fait état d’une maîtrise des enjeux du chant digne des plus grandes références passées. Maîtrise culminant dans un « Addio del passato » dont heureusement le second couplet est préservé (merci Robert Tuohy), où le legato et la longueur de souffle de la soprano néo‑zélandaise laissent pantois, jusqu’à des aigus pianissimo callassiens, dont toute la douleur de Violetta mourante et son ardeur désespérée sont chargées. Avec son peignoir doré, ses cheveux tombant sur ses épaules, elle nous laisse l’image d’une sublime « dévoyée », inoubliable.


Pour la soutenir dans ce chemin de croix, Robert Tuohy fait montre de tout le talent dont il est coutumier, et dirige avec finesse et pondération un orchestre réduit à trente‑huit musiciens, sans jamais couvrir les voix, dessinant un arc dramatique où la tension jamais ne retombe, sans aucun excès. Grâce à lui, les ensembles, si importants, sont admirablement équilibrés. Et on n’oubliera pas la prestation splendide du hautbois solo de Tatsian Revina dialoguant avec Violetta dans l’« Addio del passato ». Le chœur maison, sous la houlette d’Edward Ananian‑Cooper, fait montre d’un impact remarquable, malgré les difficultés actuelles (répétitions masquées). Ils tirent leur épingle du jeu au milieu d’une production plus que contestable.



Philippe Manoli

 

 

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