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« Métro, boulot, oiseaux »

Strasbourg
Opéra national du Rhin
01/19/2022 -  et 22, 25, 27, 30 janvier (Strasbourg), 20, 22 février (Mulhouse) 2022
Walter Braunfels : Die Vögel, opus 30
Marie-Eve Munger (Le Rossignol), Tuomas Katajala (Bonespoir), Cody Quattlebaum (Fidèlami), Josef Wagner (Prométhée), Christoph Pohl (La Huppe), Julie Goussot (Le Roitelet), Antoin Herrera-López Kessel (L’Aigle), Young-Min Suk (Zeus), Daniel Dropulja (Le Corbeau), Namdeuk Lee (Le Flamant rose), Simonetta Cavalli, Nathalie Gaudefroy (Deux Grives), Dilan Ayata, Tatiana Zolotikova, Aline Gozlan (Trois Hirondelles)
Chœur de l’Opéra national du Rhin, Alessandro Zuppardo (direction), Orchestre philharmonique de Strasbourg, Sora Elisabeth Lee*/Aziz Shokhakimov (direction)
Ted Huffman (mise en scène), Andrew Lieberman (décor), Doey Lüthi (costumes), Bernd Purkrabek (lumières), Pim Veulings (chorégraphie)


(© Klara Beck)


L’histoire des Oiseaux commence le 30 novembre 1920, par une création brillante au Nationaltheater de Munich. L’Allemagne, économiquement à genoux, sort d’une capitulation humiliante, la jeune République de Bavière est agitée d’insurrections violentes, tout un public a besoin de rêver, d’échapper à un quotidien morose, et c’est exactement ce que ce nouvel opéra de Walter Braunfels va lui offrir : un moment d’enchantement. Le Generalmusikdirektor Bruno Walter dirige, la délicieuse Maria Ivogün chante le rôle du Rossignol, les décors et les costumes des peintres Leo Pasetti et Ludwig Kirschner créent de fascinantes illusions d’optique, solistes et choristes ont inlassablement répété pour incarner crédiblement toute une biodiversité d’espèces d’oiseaux... Succès fracassant, critiques unanimement positives pour la partition de Braunfels et le livret, libre adaptation de la comédie antique d’Aristophane : les représentations de l’ouvrage dans de nombreuses autres villes d’Allemagne vont se succéder à une cadence impressionnante. Mais Les Oiseaux deviennent vite trop lourds et complexes à représenter, dans des maisons d’opéra aux finances grevées par la crise inflationniste de 1923. Une actualité chassant l’autre, l’ouvrage tombe en désuétude, marginalisé par l’émergence d’un Zeitoper plus moderne, en fait déjà bien avant la mise au ban de Walter Braunfels par le régime nazi.


Il faut attendre trois quarts de siècle pour que Les Oiseaux réapparaissent en pleine lumière, mais cette fois au disque : l’enregistrement de Lothar Zagrosek de 1996, publié par Decca dans sa passionnante collection « Entartete Musik ». A nouveau l’émerveillement est là, prolongé en 2004 par une mémorable mise en scène de Yannis Kokkos à Genève, toute en perspectives aériennes et en fantaisies colorées. La jeune Marlis Petersen chante le Rossignol, Ulf Schirmer fait chatoyer l’orchestre : un moment de grâce, et assurément la démonstration moderne de l’extraordinaire potentiel de l’ouvrage.


Depuis, Les Oiseaux font lentement leur chemin, leur récent centenaire y contribuant notablement. L’intéressante mise en scène de Frank Castorf à Munich, bric-à-brac de références hétérogènes (cabaret berlinois, carnaval de Rio, nazisme émergent, citations visuelles du film The Birds d’Alfred Hitchock…), la scénographie sombre et grinçante de Nadja Loschky à Cologne, relecture du premier conflit mondial et de l’avènement du nazisme sous couvert de fable ornithologique, où les masques des oiseaux suggèrent délibérément des masques à gaz… Des perspectives nouvelles, mais qui pour l’instant respectaient toutes un certain merveilleux scénique, à notre sens indispensable à l’épanouissement d’un tel ouvrage.


On se réjouissait donc beaucoup de cette création française, que le directeur général Alain Perroux souhaitait à dessein programmer dès la première année de son mandat à l’Opéra national du Rhin. Mais malheureusement, à force de concours de circonstances désastreux et de mauvais paris de distribution, aucun miracle n’a pu avoir lieu.


L’américain Ted Huffman était-il un bon choix ? Avouons qu’on en doutait déjà un peu avant, au vu de son parcours précédent, dont le très clinique 4.48 Psychosis de Philip Venables présenté à Strasbourg en 2019. Un homme de théâtre intéressant, certes, mais la part du rêve dans tout ça ? Une question qu’on se pose encore plus crucialement ici, et dès le lever du rideau, en découvrant un décor grisâtre d’open space bureaucratique et des costumes modernes d’une stricte banalité. Un quotidien d’un ennui mortifère, dont les protagonistes essayent en vain de s’évader en échafaudant un scénario révolutionnaire vaguement folingue, en vase clos. « Métro, boulot, oiseaux », titre le programme, et à la fin, après une longue période de désordres, tout redevient aussi morne et plat qu’au début. Le problème est qu’au-delà d’une certaine virtuosité dans sa mise au point, davantage sensible après l’entracte, le propos manque beaucoup trop d’imagination visuelle. Costumes peu créatifs voire affligeants, éclairages pauvres, mêlées chorales confuses, turbulences chorégraphiques encombrantes : on s’étonne vraiment de l’accueil tout à fait poli réservé à l’équipe scénique par le public de cette soirée de première, alors qu’on aurait pu s’attendre à une bronca mémorable.


Sur le plateau, pas de véritable aléa de distribution, mais pas beaucoup de voix marquantes non plus. La soprano canadienne Marie-Eve Munger a un joli suraigu mais le timbre, un peu serré, n’a pas l’aisance envoûtante attendue dans le rôle clé du Rossignol. Les barytons Christoph Pohl et Cody Quattlebaum restent pâles, souvent couverts par l’orchestre, mal intelligibles, et la mise en scène ne les aide de toute façon guère à construire des personnages intéressants. Un cran au-dessus : le Bonespoir de Tuomas Katajala, ténor assez percutant, presque trop, ce qui déséquilibre son duo rêveur avec le Rossignol à l’acte II, et le Prométhée de Josef Wagner, qui habite plutôt bien son intervention, en principe grandiose mais certainement plus difficile à incarner ici, en agent d’entretien qui tire derrière lui une grosse poubelle.


Désastre sanitaire en fosse : cinq instrumentistes à vent empêchés pour cause de virus, remplacés au pied levé par des collègues qui n’ont pas pu répéter, et chef (Aziz Shokhakimov) défaillant pour la même raison. La soirée retombe sur les épaules de la jeune assistante Sora Elisabeth Lee, heureusement pas du tout fragiles. La battue, énergique, sauve les meubles, et il faut sans doute beaucoup de sang-froid pour gérer des décalages parfois terribles, dont un début de deuxième acte erratique. Là on ne peut plus, au mieux, que deviner le pouvoir d’envoûtement et la sensualité d’une telle musique.


Une première française, certes, et à ce titre un moment historique, mais qui ne présente Les Oiseaux qu’au tiers de leur potentiel réel. Les carrières des plus grands opéras ont ainsi été jalonnées d’occasions manquées...



Laurent Barthel

 

 

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